Le Saab J35 Draken a été le premier avion de chasse de série doté d’une double aile delta, une innovation qui a transformé son agilité et ses missions.
Le Saab J35 Draken, développé par la Suède dans les années 1950, a marqué une rupture technologique en devenant le premier avion de chasse de série équipé d’une double aile delta. Cette configuration aérodynamique, inédite pour l’époque, permettait de combiner stabilité à haute vitesse et maniabilité à basse vitesse, deux qualités rarement réunies dans un même appareil. L’objectif était clair : concevoir un intercepteur capable d’atteindre Mach 2 tout en restant opérationnel depuis des pistes courtes et parfois sommaires. La double aile delta du Draken a offert un compromis unique, influençant son efficacité opérationnelle, sa commercialisation à l’export et sa longévité exceptionnelle, avec une carrière s’étendant jusqu’au début des années 2000 dans certains pays européens.
Une conception novatrice et complexe
Le choix d’une aile delta s’imposait déjà dans les années 1950 pour les chasseurs rapides. Ce type de plan porteur offrait une bonne portance à haute vitesse et un faible traînée supersonique. Mais il présentait deux limites : une faible efficacité à basse vitesse et des difficultés de contrôle lors des atterrissages. Les ingénieurs de Saab, confrontés aux spécificités de la défense suédoise, ont introduit une innovation radicale : une aile double delta.
Le Draken combinait deux angles de flèche différents sur la même voilure :
- Un delta interne fortement incliné (≈ 80°) pour garantir la stabilité et la réduction de traînée aux vitesses supersoniques.
- Un delta externe moins accentué (≈ 57°) pour améliorer la portance et la maniabilité lors des phases de vol lentes, notamment les approches d’atterrissage.
Cette géométrie produisait des tourbillons d’air favorables au contrôle de l’avion, même à des angles d’attaque élevés. Cela permettait de maintenir une portance efficace sans décrocher brutalement, une caractéristique rare pour un avion de cette génération.
Des effets aérodynamiques mesurables
La double aile delta générait un flux d’air tourbillonnaire stabilisé le long de la voilure, ce qui augmentait la portance. Concrètement, cela donnait au Draken la possibilité de voler à Mach 2 en haute altitude tout en pouvant effectuer des manœuvres serrées à basse vitesse. Les pilotes ont rapidement découvert que l’appareil pouvait exécuter des manœuvres inédites, comme le précurseur du cobra (forte incidence suivie d’un retour contrôlé), bien avant que les chasseurs soviétiques comme le Su-27 n’en fassent une démonstration publique.
En pratique, cette aérodynamique donnait au J35 des performances polyvalentes :
- Une vitesse maximale de 2 120 km/h (≈ Mach 2) en haute altitude.
- Une capacité de montée rapide, essentielle pour un intercepteur.
- Une manœuvrabilité suffisante pour le combat rapproché, atout rarement associé aux intercepteurs lourds.
Ces caractéristiques plaçaient le Draken dans une catégorie hybride, capable de rivaliser avec des chasseurs plus lourds, tout en restant adapté aux contraintes locales suédoises.
Un avion pensé pour les besoins suédois
La doctrine militaire de la Suède imposait des contraintes uniques. L’avion devait pouvoir opérer à partir de pistes courtes, parfois improvisées sur des tronçons de route. Cela exigeait un appareil capable de décoller rapidement, de se poser à basse vitesse et de supporter des conditions de terrain sommaires.
Grâce à sa double aile delta et à son frein parachute intégré, le Draken pouvait atterrir sur des pistes de moins de 800 m, un exploit pour un intercepteur supersonique. Cette flexibilité renforçait la résilience du dispositif aérien suédois face à une éventuelle attaque soviétique, car elle permettait de disperser les avions sur tout le territoire.
Sur le plan logistique, l’avion a aussi été conçu pour être facilement ravitaillé et réarmé par des équipes réduites. Le compromis entre performance supersonique et maniabilité basse vitesse était donc parfaitement adapté aux besoins nationaux.
Les missions militaires du Draken
Le Saab J35 a été conçu comme un intercepteur, capable d’abattre des bombardiers soviétiques pénétrant l’espace aérien nordique. Mais sa conception l’a progressivement orienté vers des rôles multiples :
- Interception supersonique : montée rapide et emploi de missiles air-air.
- Combat aérien rapproché : manœuvrabilité permise par la double aile delta.
- Attaque au sol : emport de bombes et de roquettes grâce à ses six points d’emport.
- Reconnaissance : certaines versions équipées de pods spécialisés.
Le Draken a ainsi servi dans plusieurs variantes, comme le J35F (interception), le J35D (multirôle) ou le S35E (reconnaissance). Cette polyvalence découle directement de sa conception aérodynamique, qui offrait une marge d’utilisation beaucoup plus large que prévue initialement.
Des conséquences opérationnelles et commerciales
Sur le plan opérationnel, le Draken a servi en Suède de 1960 à 1999, soit près de 40 ans. Son efficacité et sa robustesse ont convaincu d’autres pays européens. Le Danemark, la Finlande et l’Autriche l’ont adopté, ce qui a prolongé sa carrière jusqu’en 2005. L’exportation d’un avion aussi innovant, issu d’un pays neutre, a montré que la double aile delta représentait un argument commercial solide.
Comparé à d’autres chasseurs européens de la même période, comme le Dassault Mirage III ou l’English Electric Lightning, le Draken se distinguait par sa capacité à conjuguer polyvalence et interopérabilité. Les forces aériennes autrichiennes, par exemple, l’ont utilisé comme principal intercepteur pendant plus de 20 ans, preuve de sa fiabilité.
L’héritage technologique du Draken
La conception à double aile delta a ouvert la voie à d’autres innovations aéronautiques. Saab elle-même a poursuivi cette logique avec le Viggen, puis le Gripen, chacun adapté à la doctrine suédoise de dispersion et de flexibilité. Le Draken reste aussi un cas d’école en ingénierie aéronautique, car il a démontré qu’un compromis bien pensé entre aérodynamique et exigences opérationnelles pouvait produire un avion performant et durable.
Aujourd’hui, plusieurs exemplaires volent encore dans des organisations privées ou muséales, preuve que son architecture reste étudiée et admirée. Dans le domaine académique, son aile double delta est encore citée comme un exemple réussi de conception innovante pour résoudre un dilemme aérodynamique majeur.
Une avancée qui dépasse le cadre technique
Le Saab J35 Draken illustre comment une innovation technique peut façonner une stratégie militaire nationale et influencer des marchés internationaux. La double aile delta n’a pas seulement amélioré ses performances en vol : elle a garanti la souveraineté aérienne suédoise dans un contexte de Guerre froide, tout en ouvrant des débouchés à l’export. L’audace de Saab dans les années 1950 a permis de créer un avion qui, bien au-delà de sa carrière opérationnelle, continue de nourrir les réflexions sur la conception des avions de chasse modernes.
Retrouvez les informations sur le baptême en avion de chasse.