Le radar Irbis-E du Su-35 combine scan passif PESA, portée déclarée de 400 km, modes LPI et missiles R-37M pour contrer la furtivité. Analyse technique.

En résumé

Le Su-35 équipé du radar N035 Irbis-E dispose d’un système de détection avancé fondé sur une architecture PESA (Passive Electronically Scanned Array). Cette technologie, bien que précédant les radars AESA, permet d’atteindre des portées annoncées de l’ordre de 350 à 400 km contre des cibles à section radar conventionnelle (~3 m²) et environ 90 km contre des cibles furtives très faibles (par exemple RCS ~0,01 m²). Le radar peut suivre jusqu’à 30 cibles aériennes simultanément et engager jusqu’à 8 de ces cibles en même temps. Il est également couplé avec des radars en bande L (N036B-1-01) pour étendre la couverture contre les signatures furtives. Grâce à des modes « low probability of intercept » (LPI), l’appareil peut limiter ses émissions radar et lancer des missiles de longue portée comme le R‑37M (Mach 6, ~300 km+) sans se faire détecter. Cette combinaison remet en question une partie de la doctrine « furtivité inviolable » en obligeant l’adversaire à envisager le combat à vue, domaine dans lequel le Su-35 excelle par sa super-manœuvrabilité.

SUKHOI SU-35

Le contexte de l’appareil Su-35 et de son radar

Le Su-35 est l’évolution « 4++ génération » du chasseur russe Su-27. Il est motorisé par deux moteurs à double flux AL-41F1S, bénéficie de gouvernes à poussée vectorielle et intègre une suite avionique modernisée. Selon les données publiques, il a une envergure d’environ 15,3 m, une longueur d’environ 21,9 m et un plafond opérationnel d’environ 18 000 m.
Le radar Irbis-E a été développé par l’institut Tikhomirov NIIP à partir du radar Bars (N011M) des Su-30 et Su-35 antérieurs.
Il s’agit d’un composant central du système de conduite de tir de l’avion, lui donnant une capacité d’acquisition et de poursuite tout-terrain et tous-régimes. Cette architecture radar constitue un des arguments clés de l’exportation du Su-35 (ex. Chine, Algérie, etc.).
Le besoin était de doter un appareil non furtif d’un capteur capable de « voir loin », de détecter des cibles à grande distance, et de compenser ainsi la faiblesse en furtivité. Le choix d’un PESA puissant (avec antenne mécanique et modules actifs en arsenure de gallium) répond à cette intention.

Les caractéristiques techniques du radar Irbis-E

Portée de détection et capacité contre furtifs

Le fabricant indique que le radar peut détecter une cible d’environ 3 m² de surface radar (RCS) jusqu’à 350-400 km en « search narrow beam ». Certaines sources modèrent à environ 200-250 km en mode recherche large ou « uncued ».
Pour les cibles furtives à très faible RCS (≈0,01 m²), des estimations indépendantes indiquent des portées d’ordre 50-90 km voire moins. Un analyste évoque 48 km de détection et 30 km de suivi pour un F-35.
Le radar revendique la capacité de suivre jusqu’à 30 cibles simultanément et d’en engager jusqu’à 8.

Architecture et modules

Le N035 utilise une antenne PESA montée sur un entraînement électro-hydraulique à deux étages, offrant un champ de regard mécanique (azimut ±60°) et électronique (scanning du faisceau ±60°) pour un champ total annoncé d’environ ±120°. Les modules d’émission/réception sont en arsenure de gallium (GaAs), ce qui permet des performances élevées en matière de puissance d’émission et de sensibilité de réception.
Le signal-traitement est assuré par une unité Solo-35.01 et un processeur de données Solo-35.02, hérité du radar Bars mais fortement amélioré.

Modes et couverture spectrale

Le radar offre des modes air-air (détection/tracking) et air-sol (cartographie, SAR, Doppler beam sharpening). En air-sol, il peut détecter et engager jusqu’à 4 cibles au sol ou navales tout en continuant la recherche aérienne.
L’intégration de radars complémentaires en bande L (radars d’aile N036B-1-01) permet d’élargir la couverture en fréquence et d’améliorer la détection de signatures furtives, car la bande L est moins affectée par certaines techniques de furtivité.

Modes LPI et furtivité-radar

Le radar est conçu pour disposer de modes Low Probability of Intercept (LPI), réduisant la quantité et la cohérence des émissions radar afin de limiter la détection par les récepteurs d’alerte radar ennemis. De cette façon, l’avion peut lancer des missiles longue-portée sans se faire trop repérer. Cette caractéristique est un argument revendiqué pour la lutte anti-furtivité.

Combinaison radar/missile et doctrine tactique

Le Su-35 avec son Irbis-E peut embarquer des missiles longue portée comme le R-37M (ou RVV-BD) capable d’atteindre jusqu’à 300-400 km selon profil.
La logique tactique est la suivante : détecter un adversaire (standard ou furtif) à distance, engager depuis une position relativement sûre, éventuellement sans dévoiler sa propre localisation grâce aux modes LPI, puis, si l’adversaire entre dans la zone visuelle, utiliser la grande manœuvrabilité du Su-35 pour le combat rapproché.
Cette approche contredit partiellement la doctrine occidentale fondée sur la furtivité et le BVR (beyond visual range). En effet, le radar russe affirme pouvoir repérer des cibles à très longue distance, forçant l’adversaire à repenser la supériorité furtive. Certaines analyses évoquent qu’un Su-35 pourrait détecter un F-35 avant que celui-ci ne le voie, entraînant un combat non seulement à longue distance mais aussi à portée visuelle où le Flanker excelle.
Par ailleurs, la capacité de l’Irbis-E à rester en mode veille tout en surveillant l’espace aérien et en guidant des missiles pendant que l’avion accomplit d’autres tâches en fait un outil tactique polyvalent.

Les atouts et les limites de la solution PESA du Su-35

Atouts

  • Le haut niveau de puissance d’émission permet d’atteindre de grandes portées de détection (350-400 km annoncés).
  • La capacité multi-cible (30 suivis / 8 engagements) est avantageuse dans un scénario air-air complexe.
  • L’intégration d’une couverture bande L et des modes LPI apporte une résilience face à la furtivité et aux contre-mesures électroniques.
  • L’utilisation conjointe de missiles longue portée force l’adversaire à redéployer ses défenses et à modifier sa doctrine.

Limites

  • Le radar reste un PESA, alors que les radars AESA (Active Electronically Scanned Array) offrent des avantages supérieurs : meilleure résistance au brouillage, capacités multi-fonctions plus pous­sées et moindre vulnérabilité aux détection des émissions.
  • Les performances annoncées de détection (400 km) sont très dépendantes du profil de la cible, de son RCS, de l’altitude, de l’azimut, et souvent valides en mode « cued » (avec appui d’un autre radar ou AWACS) ce qui réduit la portée pratique en recherche autonome.
  • Contre des cibles furtives de faible RCS, les portées chutent fortement (50-90 km).
  • La doctrine nécessite un bon renseignement, une bonne gestion des menaces et des tactiques cohérentes. Sans cela, l’avion pourrait se retrouver vulnérable.
  • Dans certains retours terrain (ex. Égypte) des défauts d’intégration ou de composants ont été signalés, affectant la fiabilité des systèmes radar et moteurs.
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Les implications stratégiques et tactiques de l’Irbis-Su-35

Changement de paradigme tactique

Le fait qu’un avion non furtif comme le Su-35 puisse revendiquer des capacités de détection longues distances remet en cause la suprématie absolue de la furtivité. L’adversaire doit désormais prévoir qu’un « simple » Flanker équipé d’un système performant peut détecter, suivre et engager depuis une grande distance. Cela exige des modifications dans la planification des missions, dans l’usage des aéronefs furtifs et dans la gestion des menaces.

Pression accrue sur l’adversaire

En forçant un adversaire à redéployer ses systèmes sol-air, à engager des intercepteurs, à protéger des sites éloignés, l’aviation russe avec le Su-35 peut imposer une attrition logistique et défensive. L’adversaire doit consacrer des ressources à la défense de zones larges, pas seulement autour du front. Cela crée un effet multiplicateur.

Positionnement export et influence géopolitique

Le Su-35 est proposé à de nombreux pays et l’atout radar Irbis-E constitue un argument commercial majeur. Des États-clients sont sensibles à la capacité de surveiller de larges volumes de l’espace aérien. Cela influence les équilibres régionaux, notamment face à des forces dotées de chasseurs furtifs.

Adaptation de la contre-furtivité

L’intégration d’un radar en bande L et de modes LPI signale une approche différente de la contre-furtivité. Au lieu de se reposer uniquement sur la furtivité passive, le système mise sur la puissance brute et l’intégration multi-bande pour détecter des signatures furtives.

Limites doctrine et avenir

Toutefois, si l’adversaire dispose d’un radar AESA moderne, d’une bonne guerre électronique et de chasseurs en supériorité numérique, la situation pourrait s’inverser. Le Su-35 reste vulnérable sans appui de réseau, de missiles performants ou de renseignement de qualité. Enfin, le passage à un radar AESA est déjà évoqué pour la version Su-35SM, ce qui montre que même l’architecture Irbis-E pourrait devenir obsolète.

Le radar Irbis-E du Su-35 ne constitue pas une panacée technologique mais représente une approche pragmatique et puissante de la détection et de l’engagement à longue portée dans le contexte aérien moderne. Il démontre qu’un combiné avion-radar-missile bien intégré peut contraindre un adversaire à redéfinir ses priorités tactiques. À l’heure où la furtivité est régulièrement présentée comme la solution ultime, la Russie rappelle qu’il existe d’autres voies, fondées sur la puissance, la couverture large bande et l’intégration radar/missile. L’équation pour un avion occidental est désormais : combien de temps pourra-t-il rester invisible, combien de temps d’avance dispose-t-il, et peut-il appliquer une doctrine de supériorité aérienne si un adversaire peut potentiellement le voir venir ? Le débat est ouvert.

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