L’US Air Force prévoit de retirer une partie des F-22 afin de financer le programme NGAD. Analyse des coûts, des enjeux industriels et des critiques.

En résumé

Aux États-Unis, le débat sur la retraite anticipée du F-22 Raptor en 2025 oppose défenseurs de l’aéronef et responsables militaires. L’US Air Force envisage de réduire son parc de F-22 — l’un des chasseurs les plus avancés jamais construits — pour libérer des fonds vers le programme NGAD (Next-Generation Air Dominance), rebaptisé F-47 dans sa phase d’ingénierie et de développement. Ce projet vise à concevoir un avion de combat de sixième génération, accompagné de drones et systèmes réseaux, répondant aux futures guerres aériennes. Le coût d’un F-22 est extrêmement élevé, tant à l’achat qu’à l’entretien furtif, et le NGAD promet des capacités disruptives mais à un prix lui aussi astronomique. La polémique naît du fait que certains estiment que le F-22 est encore très performant, notamment face à des menaces comme le J-20 chinois, et trop précieux pour être retiré prématurément, surtout sans possibilité d’export.

La genèse du projet NGAD et son rôle stratégique

Le programme Next-Generation Air Dominance est l’effort des États-Unis pour dépasser les chasseurs de cinquième génération comme le F-22 et le F-35. Plutôt qu’un simple avion, NGAD est conçu comme un système de systèmes intégrant un avion piloté de sixième génération, des drones “Loyal Wingmen”, et des capteurs connectés pour dominer l’espace aérien dans des environnements contestés. Cette approche répond à l’évolution des menaces mondiales, où les adversaires développent des missiles à longue portée, des radars avancés et des chasseurs furtifs modernes.

Le NGAD se distingue par son architecture avancée, sa furtivité accrue et sa capacité à coordonner une flotte d’aéronefs habités et non habités, ce qui pourrait transformer la manière de conduire des opérations aériennes. Dans cette optique, l’US Air Force considère NGAD comme la pièce centrale de sa future stratégie d’air dominance — terme désignant la capacité à contrôler l’espace aérien contre toute opposition. …

Les coûts réels du F-22 et de NGAD

Le F-22 Raptor coûte extrêmement cher : son coût unitaire est souvent cité autour de 440 millions de dollars, incluant développement et production, bien que des études passées aient estimé le coût à environ 206 à 216 millions de dollars par appareil sans les coûts d’infrastructure.

Ce n’est pas seulement le prix d’achat qui pèse. Chaque heure de vol d’un F-22 est coûteuse, en raison des matériaux furtifs complexes qui exigent un entretien intensif pour maintenir la signature radar faible et les performances optimales. L’utilisation de coatings et de matériaux composites de pointe augmente les heures-homme de maintenance et les coûts logistiques bien au-delà de ceux d’un avion de génération précédente.

Le programme NGAD, de son côté, est encore largement classifié. Cependant, des estimations indiquent que chaque cellule pourrait coûter plusieurs centaines de millions de dollars, sans compter les systèmes en réseau et les drones associés. Le budget demandé pour NGAD dans l’exercice 2025 atteignait plusieurs milliards de dollars, notamment 3,4 milliards pour la famille NGAD.

Cette compétition financière entre entretenir des F-22 vieillissants et financer NGAD est au cœur du débat stratégique.

Pourquoi l’US Air Force envisage de réduire le parc de F-22

L’US Air Force a justifié sa volonté de retrait anticipé ou de divestment pour plusieurs raisons pragmatiques. D’une part, une grande partie de la flotte est constituée de Block 20, des modèles initiaux plus anciens. Ces avions n’ont pas reçu les mises à niveau complètes des versions ultérieures et sont principalement utilisés pour l’entraînement. L’USAF estime qu’il serait coût-prohibitif de les mettre à niveau au standard Block 30/35, avec des estimations de coûts de plusieurs milliards de dollars pour une remise à niveau complète.

Plutôt que de dépenser ces sommes, l’USAF cherche à réserver le budget pour NGAD et d’autres priorités comme le F-35. Cela s’inscrit dans une stratégie globale de “divest to invest”, autrement dit vendre ou retirer des actifs coûteux pour libérer des fonds vers des technologies futures. Cette logique budgétaire vise à anticiper les conflits de haute intensité contre des adversaires équipés de systèmes anti-accès sophistiqués.

F-22 Raptor

L’absence d’exportation du F-22 et l’impact budgétaire

Une particularité du F-22 est l’interdiction d’exportation, fixée par la loi américaine dans les années 1990. Contrairement au F-35, qui a été vendu à de nombreux alliés, aucun F-22 n’a été exporté. Cette politique a plusieurs conséquences financières :

  • Pas de masses critiques de production pour réduire les coûts unitaire.
  • Tous les coûts de R&D et de production restent exclusivement américains.
  • Aucune économie d’échelle ou partage financier avec des partenaires étrangers.

Ceci a rendu le programme encore plus coûteux. Si une politique différente avait été adoptée, des nations alliées auraient pu partager une partie des coûts de développement et d’entretien, améliorant la viabilité budgétaire du F-22.

La montée des menaces : le contexte géopolitique

La controverse n’est pas uniquement financière. Ceux qui s’opposent à la retraite anticipée du F-22 mettent en avant l’évolution des capacités de l’aviation russe et surtout chinoise. Le Chengdu J-20, chasseur furtif chinois, est déjà en service et continue d’évoluer avec des moteurs plus puissants et des capacités accrues. Dans certaines évaluations, le J-20 serait déployé en grandes quantités, ce qui pose un défi stratégique direct aux forces occidentales.

Dans ce contexte, des défenseurs du F-22 soulignent que le Raptor reste l’un des meilleurs avions de supériorité aérienne au monde, avec une furtivité de haut niveau, une capacité de supercroisière (vol supersonique sans postcombustion) et une suite de capteurs puissante, des atouts qui ne sont pas facilement remplacés dans l’immédiat par d’autres plateformes.

Les critiques de la politique de retrait

Les critiques de la stratégie de l’US Air Force viennent de plusieurs horizons : spécialistes de défense, législateurs et passionnés d’aviation. Ils avancent plusieurs arguments :

  • Le F-22 est encore technologiquement pertinent pour plusieurs décennies, notamment dans les missions air-air.
  • Retirer des chasseurs furtifs alors que les adversaires modernes progressent est stratégique risqué.
  • L’USAF aurait minimisé l’analyse coûts-bénéfices du retrait, selon certains rapports.
  • Sans exportation, le potentiel industriel et politique du F-22 est sous-exploité.

En conséquence, la Chambre des représentants a parfois bloqué certaines divestations dans les budgets annuels pour préserver des F-22, indiquant une divergence entre les militaires et les décideurs politiques.

L’incertitude du calendrier NGAD et ses risques

Le programme NGAD n’est pas sans ses propres défis. Il a connu des retards, des dépassements de coûts, et même des remises en question de faisabilité, poussant certains analystes à s’interroger si NGAD volera jamais comme prévu ou si son calendrier de déploiement peut être réalisé sans ajustements budgétaires significatifs.

Cette incertitude — conjuguée à la réduction du parc de F-22 — alimente la crainte d’un “gap” capacitaire”, où l’USAF pourrait se retrouver avec moins d’avions supérieurs en nombre ou en performance pendant une période transitoire critique.

Une stratégie aérienne en mutation

L’US Air Force tente de réinventer sa doctrine : passer d’un modèle fondé sur la quantité d’avions à un modèle focalisé sur la connectivité, l’autonomie et l’intégration des systèmes. Cette mutation reflète une vision où la dominance aérienne dépend moins du nombre d’avions et plus de leur capacité à opérer comme un réseau cohérent.

Pour certains planificateurs, c’est une adaptation nécessaire aux réalités d’un combat moderne face à des systèmes anti-accès/zone d’interdiction avancés (A2/AD). Pour d’autres, elle représente un pari risqué qui pourrait faire perdre un avantage tactique éprouvé.

Perspectives futures et décisions à venir

La décision finale sur la retraite du F-22 et le financement de NGAD aura des répercussions sur plusieurs décennies. Si NGAD tient ses promesses, il pourrait redéfinir la suprématie aérienne américaine. Si les défis budgétaires ou techniques persistent, l’USAF pourrait se retrouver entre deux générations d’avions sans bénéficie plein de l’un ou de l’autre.

Ce débat illustre une tension fondamentale : comment un pays peut-il équilibrer innovation technologique, exigences budgétaires et réalités stratégiques dans un contexte où ses adversaires ne restent pas immobiles ? Le verdict des décideurs politiques et militaires donnera une direction claire, mais le chemin reste parsemé d’incertitudes et de controverses.

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