Pourquoi la Navy gardera le Super Hornet aux côtés du F-35C : rôles complémentaires, « truck » à munitions, coûts d’exploitation et modernisations.

En résumé

La Carrier Air Wing américaine ne passera pas au tout-F-35C. La Marine préserve le F/A-18E/F Super Hornet pour ce qu’il fait mieux : générer des sorties nombreuses, emporter beaucoup d’armement externe, tenir la cadence en mer et servir de « truck » à munitions pour les raids où la furtivité n’est pas indispensable. Le F-35C apporte la pénétration discrète, la fusion de capteurs et l’ouverture de corridors en zone A2/AD grâce à sa faible signature, mais son emport interne limite la masse de bombes quand il faut rester furtif. Le Super Hornet Block III gagne en potentiel (durée de vie portée à 10 000 h, réseau TTNT/DTP-N, IRST) et reste compétitif en coûts, avec une chaîne de maintenance bien huilée sur porte-avions. L’arrivée du ravitailleur MQ-25 étend les rayons d’action et renforce la complémentarité : le F-35C perce, le Super Hornet suit et livre la charge. Les données budgétaires et de disponibilité confirment ce partage des rôles.

Le cadre opérationnel : une aile embarquée mixte par design

La composition actuelle des Carrier Air Wings prévoit trois escadrons de F/A-18E/F et un escadron de F-35C (en montée progressive), avec E-2D, EA-18G et hélicoptères. Cette mixité n’est pas transitoire : elle répond à deux besoins antagonistes mais complémentaires — furtivité pour ouvrir la voie et profondeur de munitions pour frapper massivement en environnement permissif ou semi-permissif. À court terme, la Navy vise une montée des flottes F-35C sans renoncer au volume de Super Hornet nécessaire pour la permanence et l’attrition en mer.

F/A-18 Super Hornet

Le rôle du Super Hornet comme « truck » à munitions

Le F/A-18E/F aligne 11 points d’emport et une charge externe d’environ 8 050 kg. Sur un raid « permissif », un couple F/A-18E/F peut emporter des combinaisons lourdes : JDAM de 227 kg à 907 kg, JSOW (≈ 500 kg), missiles antinavires, tout en gardant des bidons et des missiles air-air. Dans des raids « sensor-shooter », le F-35C détecte/pointe en discrétion tandis que le Super Hornet délivre le volume d’armes depuis l’arrière de la bulle de menace. Cette logique de magazine depth est la clé d’une frappe soutenue depuis un CVN.

La valeur ajoutée du F-35C : l’ouverture de corridor

Le F-35C dispose d’un rayon de combat d’environ 670 nm (≈ 1 240 km) sur carburant interne avec deux bombes de 907 kg (GBU-31) en soute et deux AIM-120. Il peut aussi passer en « mode bête » avec charges externes (jusqu’à ~8 165 kg combinés interne/externe), au prix de la signature radar. Sa fusion de capteurs et liaisons de données en font un quarterback de la bulle de combat qui désigne des cibles au profit d’autres plateformes, dont le Super Hornet.

Les coûts d’exploitation : ce que disent les chiffres

Deux lectures coexistent et il faut les distinguer clairement :

  • Tendance de soutenabilité F-35 : le GAO rapporte une hausse des coûts de soutien du programme F-35 (estimation de cycle de vie portée à 1,58 T$ en 2023, +44 % vs 2018), avec des taux de disponibilité inférieurs aux objectifs, y compris pour la variante F-35C. Ces éléments pèsent sur la génération de sorties en mer.
  • Tarifs remboursables Navy FY2024 : les barèmes inter-agences indiquent, à titre de référence budgétaire, des taux horaires de 13 310 $ (F-35C) et 17 584–22 266 $ (F/A-18E/F). Ce ne sont pas des « coûts par heure de vol » au sens MCO complet, mais ils illustrent des référentiels internes pour facturer l’emploi. La Navy rappelle que ces chiffres ne capturent ni tout le soutien, ni les munitions, ni la dépréciation.

En pratique, la Navy conserve le Super Hornet parce qu’il soutient des cadences élevées avec une maintenance familière de porte-avions, et parce que l’option « fort emport externe » reste la plus économe pour de nombreuses missions.

La modernisation Block III : endurance et connectivité

Le standard Block III s’articule autour de trois axes :

  • Allongement de vie : passage de 6 000 à 7 500 h, puis objectif 10 000 h via le Service Life Modification (SLM). C’est un gain majeur pour durer jusqu’aux années 2040.
  • Connectivité/traitement : DTP-N et réseau TTNT pour partager des pistes/cibles à haut débit au sein de la CVW.
  • Capteurs : généralisation de l’IRST21 (pod) pour la détection passive de cibles à faible SER à longue portée au-delà de l’horizon radar.

Ces incréments stabilisent la valeur tactique du Super Hornet en l’inscrivant dans la bulle de capteurs du F-35C.

Le rayon d’action : l’effet MQ-25

La critique récurrente vise le rayon d’action des jets embarqués. Le F-35C affiche ~670 nm en combat sur interne ; le Super Hornet, selon profils et charges, demeure plus court en pénétration armée. L’arrivée du MQ-25 Stingray (ravitailleur embarqué) change la donne : il déleste les F/A-18 des missions « tanker », augmente les marges carburant au catapultage/appontage et repousse la bulle d’effet de l’aile de 300 à 400 nm (≈ 555 à 740 km). C’est la pièce manquante qui étire à la fois le F-35C et le Super Hornet.

La génération de sorties : la raison d’être du binôme

Sur un cycle d’opérations en mer, la question n’est pas seulement « combien un avion peut emporter », mais combien d’avions le CVN peut lancer/récupérer et remettre en ligne sur 24 h, avec météo et maintenance. Le Super Hornet, massivement présent, reste l’outil de volume pour tenir l’alerte CAP, escorter, frapper en second échelon, ou « remplir la soute » d’un raid composite. Le F-35C gagne les premières pénétrations, lance les premières salves, détecte, désigne et déconflicte le paquet. La Navy cherche à densifier l’escadron F-35C à bord, mais sans perdre la résilience qu’apporte une majorité de F/A-18E/F.

Les chiffres de performance qui structurent les rôles

  • F-35C : Mach 1,6 (≈ 1 975 km/h), rayon de combat ~670 nm (1 240 km), 2× GBU-31 (907 kg) et 2× AIM-120 en soute en mode furtif, jusqu’à ≈ 8 165 kg combinés interne/externe en mode permissif.
  • F/A-18E/F : 11 points d’emport, charge externe ≈ 8 050 kg, profils polyvalents avec nacelles de désignation/IRST et missiles air-air/air-sol variés.

Ces ordres de grandeur expliquent pourquoi le F-35C ouvre et le Super Hornet sature.

La question du coût : métriques et réalités de pont d’envol

Le coût heure de vol varie selon le périmètre (fuel, pièces, rechanges, munitions, amortissements). Le GAO insiste sur la poussée des coûts de soutien du F-35 et sur des disponibilités sous cibles, ce qui contraint le tempo en mer. À l’inverse, les barèmes reimbursables FY2024 — indicatifs — affichent des valeurs parfois inférieures pour F-35C que pour F/A-18E/F, rappelant que ces lignes budgétaires ne sont pas des MCO complets. Là est la décision opérationnelle : garder le Super Hornet pour les rôles de masse et lisser l’emploi du F-35C sur les effets de rupture où il fait la différence.

Super Hornet

La trajectoire 2030-2040 : SLM, Block III et F/A-XX

La Navy étend la vie de flotte via SLM et conversion Block III (objectif 10 000 h), tout en préparant le F/A-XX pour la décennie prochaine. Autrement dit, le Super Hornet restera l’ossature jusqu’à l’arrivée d’un successeur à grand rayon et opérations en essaim avec drones. Entre-temps, l’augmentation progressive du nombre de F-35C par aile embarquée renforcera le capteur-tireur furtif, sans supprimer l’outil de projection volumique que reste le F/A-18E/F.

Une complémentarité assumée, pas un choix binaire

La Navy ne cherche pas à trancher entre furtivité et volume. Elle organise leur coopération. Le F-35C crée l’opportunité tactique ; le Super Hornet l’exploite avec des masses d’armement à coût contenu. L’arrivée du MQ-25 et la densification des réseaux TTNT feront monter la valeur du binôme, en attendant une génération F/A-XX pensée nativement pour le combat collaboratif avec drones. Le pont d’envol reste un écosystème : c’est la composition qui donne l’effet, pas la monoculture.