Découvrez le Blackburn Buccaneer: design, performances, missions navales et historiques, du cahier des charges NA.39 à la guerre du Golfe, chiffres à l’appui.

Le contexte stratégique et la mission d’origine

Au milieu des années 1950, la Royal Navy recherche un chasseur-bombardier de la Royal Navy capable d’attaquer vite, très bas, et loin. La menace vient des croiseurs soviétiques de classe Sverdlov. Le cahier des charges NA.39 exige un avion militaire britannique biplace à ailes repliables, capable de 1 020 km/h (550 kn) au niveau de la mer, avec un rayon d’action de 740 km (400 nmi) à basse altitude et 1 500 km (800 nmi) à plus haute altitude, et 3,6 t (8 000 lb) d’emport. Cette philosophie dicte le rôle du Blackburn Buccaneer : frapper des navires et des infrastructures côtières par surprise, en exploitant l’horizon radar et la vitesse à très basse altitude.

Le Blackburn Buccaneer, un avion fait pour la basse altitude

Le design du Blackburn Buccaneer

La cellule pensée pour le vol rasant

Le design du Blackburn Buccaneer privilégie la solidité et la finesse aérodynamique à basse altitude : fuselage « area-ruled », aile médiane compacte et frein aérodynamique arrière à coquilles. L’atout majeur réside dans le contrôle de couche limite (BLC) : de l’air haute pression, prélevé sur les moteurs, est soufflé sur le bord d’attaque, les volets et même le stabilisateur. Résultat : vitesse d’approche plus faible, meilleure portance et sécurité à l’appontage. À masse de 19,5 t (43 000 lb), la vitesse de catapultage peut tomber à 220 km/h (120 kn) avec soufflage, contre 325 km/h (175 kn) sans.

La soute rotative et l’empreinte discrète

Le Buccaneer adopte une soute à armement rotative. Plutôt que d’ouvrir deux portes dans un flux d’air violent à basse altitude, une porte cylindrique pivote pour exposer la charge puis se referme. Cette solution limite la traînée, maintient la vitesse et réduit les pics de signature radar. La soute accepte 1 814 kg (4 000 lb) d’armement ou un réservoir de convoyage de 2 000 L (440 gal imp). Sous les ailes, quatre points portent 5 443 kg (12 000 lb) supplémentaires. L’emport total approche 7,26 t, remarquable pour un appareil subsonique.

Le cockpit et l’avionique

Le cockpit du Blackburn Buccaneer abrite deux membres d’équipage en tandem sur sièges éjectables Martin-Baker, légèrement décalés l’un par rapport à l’autre pour dégager la vue de l’observateur. Le nez reçoit le radar Ferranti Blue Parrot, optimisé pour la recherche maritime et l’attaque ; il fournit également des indications de pilotage pour le largage en cabré d’une arme nucléaire. Autopilote et stabilisation assistent le vol serré au ras des flots.

La motorisation

Le Buccaneer S.1 vole d’abord avec des de Havilland Gyron Junior jugés sous-motorisés. La version S.2 adopte deux Rolls-Royce Spey Mk.101 à faible consommation, apportant environ +40 % de poussée et une autonomie accrue. Les entrées d’air et l’aile sont adaptées en conséquence.

Les performances et les capacités

La vitesse du Blackburn Buccaneer atteint 1 070 km/h (580 kn / 670 mph) à 60 m (200 ft), soit Mach 0,95. La plafond opérationnel culmine à 12 000 m (40 000 ft). La distance franchissable atteint 3 700 km (2 000 nmi), avec des possibilités de ravitaillement en vol (perche déportée et nacelle « buddy »). Le rayon d’action du Blackburn Buccaneer en profil rasant s’inscrit autour des 740 km (400 nmi) selon le besoin initial. Ces caractéristiques traduisent les capacités du Blackburn Buccaneer : endurance à très basse altitude, stabilité et précision d’attaque.

L’armement du Blackburn Buccaneer

Pensé à l’origine pour le bombardier Blackburn Buccaneer nucléaire, l’appareil emporte d’abord Red Beard (10 à 20 kt, 794 kg (1 750 lb)), puis WE.177 (versions A/B/C, 0,5 à 10 kt pour A, jusqu’à 200–450 kt pour B/C), portés en interne sur la porte de soute rotative. En conventionnel, il emporte bombes lisses de 454 kg (1 000 lb), pods roquettes SNEB 68 mm, AIM-9 Sidewinder pour l’autoprotection et, surtout, des missiles antinavires : Martel AJ.168 (TV) et AS.37 (anti-radar), puis Sea Eagle à guidage inertiel/radar actif d’environ 110 km de portée. À partir des années 1980, il peut désigner au laser avec AN/AVQ-23 Pave Spike et larguer des Paveway.

Les missions du Blackburn Buccaneer

La frappe maritime et littorale

Dans l’aviation navale britannique, le Buccaneer devient l’outil de l’utilisation du Blackburn Buccaneer idéale : pénétrer à très basse altitude pour neutraliser un navire (frappe nucléaire ou conventionnelle), ou frapper des infrastructures côtières. Le chasseur-bombardier de la Royal Navy peut panacher AS.37 et AJ.168 (jusqu’à trois Martel) sur paquets de trois appareils, l’un portant le pod TV pour guider l’autre au-delà de l’horizon radar, avant l’ère Sea Eagle. L’arrivée de Sea Eagle (≈ 110 km) transforme la tactique : tir hors de portée des défenses navales et vraie capacité “fire-and-forget”, supérieure au Martel.

L’appui d’attaque au sol

Le Buccaneer montre une grande robustesse structurelle et une stabilité à très basse altitude précieuses pour l’attaque de ponts ou de pistes. Son combo Pave Spike + Paveway lui permet de désigner et/ou de larguer des munitions guidées avec précision, de jour, par bonnes conditions.

L’histoire du Blackburn Buccaneer en opérations

La Royal Navy dans les années 1960-1970

Le Buccaneer entre en service en 1962 et devient l’épine dorsale de la frappe navale britannique. Illustration marquante : en 1967, des S.2 participent à l’opération visant le Torrey Canyon, super-pétrolier échoué, pour enflammer la nappe d’hydrocarbures et limiter la catastrophe. Avec la fin des grands porte-avions britanniques (1979), les Buccaneer restants basculent à la RAF.

La RAF et le long cours

La carrière opérationnelle du Blackburn Buccaneer à la RAF est d’abord terrestre, puis maritime (Sea Eagle), avant une modernisation avionique et guerre électronique. Après un accident en 1980 lié à la fatigue de longeron, la flotte est inspectée, certaines cellules réformées, d’autres renforcées ; environ 60 appareils restent en service jusqu’aux années 1990.

La guerre du Golfe et le Blackburn Buccaneer

En janvier 1991, douze Buccaneer S.2B sont déployés en urgence durant Operation Granby. Leur mission première : désigner au laser les objectifs des Tornado et Jaguar via Pave Spike, puis larguer eux-mêmes des bombes guidées. Le 2 février 1991, ils mènent leur première mission sur un pont de l’Euphrate. Au total, la flotte de Buccaneer effectue environ 218 missions et détruit une vingtaine de ponts en guidant des LGB, tout en larguant 48 bombes guidées depuis les Buccaneer eux-mêmes. Les équipages soulignent un taux de réussite d’environ 50 % des guidages avec ce pod de jour, technologiquement daté mais redoutable dans ce contexte. Aucun appareil n’est perdu et l’aviation britannique gagne une capacité PGM crédible à moyenne altitude.

Le Blackburn Buccaneer, un avion fait pour la basse altitude

La comparaison avec le F-4 Phantom

Comparer le Blackburn Buccaneer au F-4 Phantom éclaire le rôle du Blackburn Buccaneer. Le Phantom est un intercepteur/fighter-bomber Mach 2,2 (≈ 2 370 km/h), conçu pour la défense de flotte et l’emport externe massif (≈ 8,4 t (18 000 lb)). La Royal Navy a ainsi complété ses groupes aériens : Phantom FG.1 pour l’interception, Buccaneer pour la frappe à basse altitude avec soute rotative et BLC, optimisés pour la pénétration sous les radars. Le Phantom domine en vitesse, mais le Buccaneer offre un emport interne, une stabilité rase-mottes, un rayon d’action supérieur à basse altitude et une signature aérodynamique mieux maîtrisée pour la mission antinavire.

Le remplaçant du Blackburn Buccaneer

Après la fin de la guerre froide, la RAF retire ses derniers Buccaneer en 1994. Le remplaçant du Blackburn Buccaneer pour la frappe maritime est le Tornado GR.1B, doté du Sea Eagle mais avec deux missiles seulement, quand les Buccaneer pouvaient en emporter jusqu’à quatre. La polyvalence et la modernisation du Tornado justifient toutefois ce passage de relais dans une flotte rationalisée.

Un héritage technique durable

Pensé pour la guerre froide et le Blackburn Buccaneer anti-navires, l’avion a imposé un triptyque devenu classique : vol rasant soutenu, soute interne à faible traînée et capteurs dédiés à l’attaque maritime. Son contrôle de couche limite et sa soute rotative restent des cas d’école d’ingénierie appliquée à une mission. Les opérations de 1991 ont, en outre, démontré la valeur de la coopération de désignation laser, préfigurant l’emploi intégré de pods et de munitions guidées qui s’est généralisé par la suite.

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