Le très grand drone furtif GJ-X, aile volante « cranked kite », aurait volé près de Malan. Analyse technique, missions possibles et enjeux stratégiques.

En résumé

La Chine testerait en vol un drone furtif de très grande taille, surnommé GJ-X, à planform « cranked kite » (aile volante à cassure). L’appareil a été repéré en septembre sur le site d’essais de Malan (Xinjiang) via imagerie satellite, avec une envergure estimée à environ 42 m. Un court clip diffusé mi-octobre montre un aéronef de configuration similaire en vol, avec gouvernes type « split rudders » et bossage d’échappement laissant penser à un bimoteur. Le dessous semble présenter une peinture contre-ombrée pour casser la signature visuelle. Son rôle exact reste débattu : UCAV à capacité d’attaque, « bombardier sans pilote » ou grande plateforme ISR pénétrante, à l’image de l’américain RQ-180. Dans tous les cas, le GJ-X s’inscrirait dans un flux soutenu de programmes chinois (J-36, J-XDS, GJ-11) visant la supériorité informationnelle et la masse aérienne déportée. Les enjeux sont clairs : rayon d’action inter-théâtres, charge utile modulaire (capteurs, armes, leurres), persistance au-dessus de 12 000 m, et survivabilité multi-spectrale (forme, matériaux, gestion thermique). À cette échelle, l’appareil se place dans une classe rarissime de drones furtifs, sous celle des bombardiers B-21, mais bien au-delà des démonstrateurs type X-47B.

Le programme et la configuration : une aile volante « cranked kite » à grande échelle

L’élément le plus tangible tient aux observations répétées sur le terrain d’essais de Malan. En septembre, un appareil très sombre, placé en seuil de piste, présente une envergure évaluée à ~42 m (137 ft) avec un bord d’attaque à cassure (« cranked kite ») et un fuselage noyé dans l’aile. Cette géométrie optimise la portance à grand allongement tout en gérant les contraintes de stabilité et d’emport interne. En vol, des split rudders en extrados/saumons évoquent les solutions déjà vues sur B-2 pour le contrôle lacet sans dérive, limitant les surfaces verticales et donc la traînée radar. Un renflement au-dessus de l’arrière laisse deviner un double flux récessé, suggérant deux turboréacteurs intégrés, avec conduits en S et lèvres d’échappement masquées pour atténuer l’IR et la SER dorsale.

L’option bimoteur est cohérente avec la masse estimée (ordre de grandeur de plusieurs dizaines de tonnes au décollage), la redondance en croisière haute altitude et la capacité à emporter simultanément des capteurs lourds (AESA large ouverture, suites ELINT/COMINT, antennes latérales) et des soutes. La peinture ventrale, à contraste foncé dessinant des « ailes » et un « fuselage » fictifs, relève d’une contre-ombrage visant à perturber l’identification visuelle sous certains angles et luminosités, utile au-dessus de 10 000–15 000 m.

Côté performances, une aile de 42 m, à épaisseur relative réduite et flèche modérée, laisse viser un Mach de croisière autour de 0,7–0,8, un plafond > 15 000 m et une endurance > 20 h avec réservoirs structuraux. À titre de repère, un X-47B (18,9 m d’envergure) affiche une masse maxi ~20 t et une endurance bien inférieure ; à l’inverse, un RQ-180 est crédité d’une endurance 24 h et d’une envergure supposée > 39–40 m. Le GJ-X se placerait donc dans une niche d’aile volante stratégique capable d’emporter plusieurs tonnes de charge utile interne (capteurs, munitions, ravitaillement de leurres), tout en maintenant une faible observabilité large bande grâce au profil, aux bords crénelés des trappes et au traitement de l’échappement. Les prises d’air non visibles sur les clichés suggèrent soit des entrées dorsales rasantes avec caches radar, soit une intégration plus profonde du type « serpentine » au bord d’attaque interne. Dans tous les cas, la conception vise la réduction d’échos dans les quadrants avant et latéraux, cruciale pour pénétrer des bulles A2/AD modernes.

Le rôle opérationnel : UCAV, bombardier sans pilote ou grande plateforme ISR

Le débat doctrinal porte sur l’emploi : frappe cinétique, reconnaissance pénétrante, ou polyvalence. Un UCAV de cette taille permettrait des raids en profondeur avec soutes internes pour armements guidés de 250 à 1 000 kg, profils de pénétration à haute altitude puis descente terminale, ou largage stand-off (missiles air-sol subsoniques > 250 km). La charge utile totale réaliste (ordre de 2–6 t selon configuration et rayon d’action) autoriserait aussi des kits de brouillage, de leurrage actif (DRFM), des distributeurs de leurres remorqués ou consommables, et des pods E/O-IR grand diamètre.

En variante ISR, la surface alaire et le volume central facilitent l’intégration d’un radar AESA à ouverture synthétique (bande X/Ku) en barrette, d’antennes passives (ELINT/COMINT) sur tout le pourtour, et d’un mât optronique ventral longue focale. Le profil de mission type : transit > 1 500 km, orbite à 15 000–18 000 m pendant 10–18 h, balayage SAR à résolution métrique, cartographie GMTI, géolocalisation d’émetteurs, corrélation temps-réel via liaisons à large bande. Une telle ISR pénétrante comble l’intervalle entre satellites (révisites lentes, contraintes orbitales) et plateformes habitées (coût/risque politique).

Une option polyvalente reste crédible : la cellule assurerait des missions séquentielles (ISR de ciblage, puis tir stand-off) en imposant une discipline d’émission stricte. Les « split rudders » et l’absence d’empennage confirment un accent sur la furtivité directionnelle et la tenue en croisière longue durée. Enfin, une coopération avec des essaims plus petits (GJ-11, loyal wingmen) fournirait saturation et répartition des rôles : le « porteur » GJ-X héberge capteurs et relais, les éléments escortes exécutent brouillage et frappes. Dans un scénario Taiwan-Est Chine, un tel système créerait une persistance de capteurs au-delà de la première chaîne d’îles, avec cadence de mission élevée si deux ou trois cellules tournent en « carousel » (décollage toutes les 6–8 h), ce qui accroît la pression ISR et la capacité de ciblage dynamique (kill chain multi-domaine).

Chine drone furtif GJ-X

Le positionnement industriel : comparaisons et lectures techniques

Par rapport à GJ-11 (Sharp Sword), aile volante plus compacte (~14 m d’envergure), le GJ-X appartient manifestement à une classe supérieure : rayon d’action stratégique, soutes plus profondes, et capteurs plus volumineux. Face au X-47B, démonstrateur navalisé, le GJ-X vise moins l’appontage que la pénétration durable en espace contesté. L’analogie la plus pertinente demeure l’américain RQ-180, plateforme ISR furtive HALE non armée selon les sources ouvertes : grande envergure, endurance 24 h, pénétration silencieuse, collecte multi-spectrale, relais de données. Le GJ-X pourrait associer cette logique ISR à une capacité d’emport cinétique, option que les États-Unis ont plutôt réservée à d’autres vecteurs (B-21, missiles air-air/air-sol lancés par plateformes habitées).

Sur le plan aérodynamique, le « cranked kite » permet d’optimiser la distribution de charge (sections internes fortement portantes, panneaux externes à incidence adaptée) et de gérer les interactions instationnaires à haute incidence. Les split rudders produisent un moment de lacet sans pénaliser la SER comme le ferait une dérive. Le choix d’un bimoteur suggère une recherche d’altitude/portée, mais aussi d’availability en mission longue. Côté matériaux, on attend une peau composite carbone-époxy, revêtements absorbants large bande, joints en dents de scie, et traitements thermiques de l’échappement pour masquer le panache IR jusqu’à 3–5 µm. Les antennes peuvent être conformes (AESA en paroi), ce qui explique l’absence apparente de radômes saillants.

Économiquement, une cellule de 40+ m d’envergure, capteurs stratégiques et chaîne de production limitée, se chiffrerait très probablement au-delà de 150–250 M € l’unité si l’on extrapole des programmes étrangers comparables (coûts indicatifs non publics). Le coût horaire serait largement supérieur à celui d’un MALE (MQ-9-like) et plus proche des plateformes HALE spécialisées, mais amorti par des effets capacitaires : réduction du risque humain, pénétration soutenue, exploitation d’angles morts des défenses. La Chine disposerait ainsi d’un outil de surveillance stratégique et de frappe stand-off apte à remodeler des KPPs (Key Performance Parameters) de ses opérations aériennes au-delà de 1 500–2 500 km.

Les conséquences stratégiques : dissuasion, A2/AD et tempo opérationnel

Un GJ-X opérationnel modifierait trois variables. Premièrement, la pénétration ISR : observation persistante des bases aériennes, des hubs logistiques et des groupes navals adverses, avec production d’ordres de ciblage quasi temps-réel. Dans un théâtre Pacifique occidental, une endurance > 20 h et un plafond > 15 000 m autorisent des profils d’orbite au-delà de 1 500 km des côtes, tout en conservant la capacité à s’approcher pour affiner une piste. Deuxièmement, l’effet de masse déportée : combiné à des loyal wingmen et à des essaims consommables, le GJ-X servirait de « nœud mère » pour coordonner brouillage, leurres et frappes, saturant la défense multicouche (radars S/X, SAM à longue portée, chasseurs AEW-guidés). Troisièmement, la pression de tempo : la persistance ISR couplée à des armes stand-off (300–1 000 km) raccourcit la boucle détecter-décider-frapper.

Pour les adversaires, la réponse implique : plus de radars passifs (détection d’empreintes RF/IR faibles), plus d’intercepteurs à grande altitude avec senseurs IRST, et de meilleures filets de capteurs distribués. Côté défense navale, la menace d’un UCAV furtif de grande taille impose davantage de CAP déportées et d’AWACS aux voilures portées par les groupes aéronavals. Les coûts suivent : un système A2/AD crédible contre ce type de plateforme réclame des capteurs multi-statiques, des missiles à autodirecteurs IR/actifs plus sensibles, et des réseaux de fusion de données robustes.

Enfin, sur le marché mondial, la vitrine GJ-X consolide l’avance chinoise perçue dans les ailes volantes furtives sans pilote : au-delà des MALE exportables, Pékin signalerait sa maîtrise de plateformes HALE pénétrantes, difficilement exportables mais exhibées pour la valeur politico-militaire. L’écart technologique devient un message. Les budgets occidentaux (États-Unis en tête) ont déjà acté la montée en puissance des essaims et des drones « quarterback » ; le GJ-X accélère cette trajectoire et pousse à financer des contre-mesures passives, la résilience réseau et des intercepteurs à haute altitude dédiés.

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