Conçu pour protéger l’immensité soviétique, le MiG-31 Foxhound a servi de véritable centre de commande volant, guidant d’autres chasseurs grâce à une liaison de données avancée.
En résumé
Le MiG-31 Foxhound n’est pas seulement un intercepteur lourd capable de filer à Mach 2,8. Dès son entrée en service au début des années 1980, il a introduit un concept alors très en avance : celui d’un centre de commande volant, capable de détecter, suivre et distribuer des pistes à d’autres chasseurs. Grâce à son radar Zaslon à antenne à balayage électronique, le MiG-31 pouvait suivre jusqu’à dix cibles et en engager quatre simultanément, tout en partageant automatiquement ces informations via une liaison de données sécurisée APD-518. Un groupe de quatre MiG-31, déployé en ligne de bataille, couvrait ainsi un front de 800 à 900 km de large, tout en restant connecté au réseau de guidage sol AK-RLDN et aux avions AWACS A-50. Dans ce schéma, des MiG-23 ou MiG-29 “esclaves” pouvaient voler radars éteints, se contentant de recevoir la désignation d’objectif. Le Foxhound préfigurait, avant l’heure, la logique de guerre en réseau et de “distributed lethality” aujourd’hui au cœur des doctrines occidentales.

L’intercepteur pensé comme centre de commande volant
Conçu pour l’Aviatsiya PVO, la défense aérienne soviétique, le MiG-31 devait couvrir un espace gigantesque : l’URSS s’étend sur plus de 9 000 km d’est en ouest. L’idée n’était pas seulement de disposer d’un avion de chasse soviétique plus rapide et plus haut que le MiG-25, mais d’un système complet capable de surveiller de grandes portions de ciel et de coordonner plusieurs plateformes.
Avec un rayon d’action de l’ordre de 700 à 1 000 km en mission d’interception, une masse maximale au décollage proche de 46 à 50 tonnes et une vitesse de pointe supérieure à Mach 2,5, le MiG-31 pouvait créer une “barrière mobile” sur des milliers de kilomètres. Mais cette performance cinématique n’avait de sens que si l’appareil pouvait transformer sa portée radar en avantage collectif. C’est pour cela que la cellule a été pensée dès l’origine pour intégrer un radar massif et un ensemble de liaisons de données dédiées.
Dans la doctrine PVO, les Foxhound n’étaient pas destinés à manœuvrer en combat rapproché. Ils devaient intercepter loin, vite, haut, souvent en conditions météo difficiles et de nuit, contre des bombardiers ou des missiles de croisière volant à basse altitude. La solution soviétique a été de faire du MiG-31 le pivot d’un système de défense aérienne en couches, connectant le sol, les chasseurs et les AWACS.
Le radar Zaslon, cœur de l’art de l’interception guidée
Une portée et une capacité de suivi hors norme
Le radar Zaslon (N007), premier radar à antenne à balayage électronique embarqué sur un chasseur de série, reste la pièce maîtresse du dispositif. Selon les sources ouvertes, il pouvait détecter un bombardier à plus de 200 km, suivre jusqu’à dix cibles et en engager quatre en parallèle avec des missiles R-33, chacun ayant une portée dépassant 100 km.
Techniquement, le Zaslon fonctionne en bande X, avec un balayage électronique en azimut et en site. Contrairement aux antennes mécaniques de l’époque, il peut changer de faisceau en quelques microsecondes, ce qui autorise un suivi simultané de nombreuses pistes. Couplé à un calculateur de bord relativement puissant pour son temps, il permettait au MiG-31 d’identifier plusieurs groupes de cibles, de prioriser les menaces et de proposer des solutions de tir quasi automatiques.
Cette puissance de traitement était essentielle pour l’interception guidée : le Foxhound ne se contentait pas de voir loin, il devait aussi distribuer cette information à ses équipiers et aux chasseurs d’escorte.
Une couverture en ligne de bataille sur 800 à 900 km
Là où le MiG-31 fait la différence, c’est dans sa capacité à opérer en meute. Des sources techniques indiquent qu’un groupe de quatre Foxhound, alignés en formation “line abreast”, pouvait couvrir une bande d’espace aérien de 800 à 900 km de large, tout en restant à 200 km à 250 km les uns des autres.
Dans cette configuration, un seul radar allumé suffit. Le leader illumine et suit les cibles ; ses trois équipiers reçoivent en temps quasi réel les informations de piste et les désignations d’objectif. La profondeur de la zone couverte atteint jusqu’à 2 000 km de long, en liaison avec les centres de commandement au sol via la liaison RK-RLDN.
Ce dispositif permet de créer une véritable “barrière radar” au-dessus de la toundra, des approches maritimes arctiques ou des axes stratégiques sibériens, avec une densité de capteurs relativement faible par rapport à l’étendue à surveiller.
La liaison de données APD-518 comme colonne vertébrale
Un réseau sécurisé entre Foxhound et avions esclaves
Le secret de ce fonctionnement réside dans la liaison de données sécurisée APD-518. Ce système numérique dirige la circulation des informations entre le leader de patrouille, les autres MiG-31 et les chasseurs moins bien équipés. La documentation disponible indique qu’un MiG-31 peut guider jusqu’à quatre appareils d’autres types (MiG-23, MiG-25, MiG-29, Su-15, Su-27) vers des cibles que lui seul voit.
En pratique, la liaison APD-518 transmet :
- les coordonnées tridimensionnelles des cibles (distance, azimut, altitude) ;
- les ordres de manœuvre de base (cap, altitude, vitesse) pour les chasseurs esclaves ;
- les solutions de tir et les fenêtres de lancement optimales pour leurs missiles.
Les avions “esclaves” peuvent ainsi conserver leurs radars éteints jusqu’à l’instant du tir, ou même tirer en utilisant uniquement la désignation fournie par le Foxhound, selon le type de missile. Ce fonctionnement réduit drastiquement leur signature électromagnétique et complique la tâche des systèmes d’alerte adverses.
Une intégration poussée au réseau sol et aux AWACS
L’APD-518 ne relie pas seulement les avions entre eux. Il permet aussi au MiG-31 d’être intégré au réseau de guidage sol AK-RLDN et de dialoguer avec les avions AWACS A-50. Un Foxhound peut ainsi recevoir une désignation initiale du sol ou de l’A-50, s’élancer à haute altitude et haute vitesse, puis prendre en charge la poursuite fine de la cible.
Ce maillage crée une architecture multiniveau :
- le sol distribue les missions d’interception et la situation générale ;
- les A-50 fournissent une vue large du théâtre, notamment au-dessus de zones océaniques ;
- les MiG-31 assurent la “haute résolution” en avant de la ligne, avec des moyens de tir organiques et la capacité à guider d’autres chasseurs.
Dans ce schéma, le Foxhound devient réellement un centre de commande volant, capable de fonctionner en mode semi-autonome si le réseau sol est dégradé.
Le MiG-31 comme mini-AWACS pour MiG-23 et MiG-29
Une interception guidée avec radars éteints
Sur le plan tactique, cette architecture offre un avantage majeur : la possibilité pour les MiG-23 ou MiG-29 de se comporter comme des “tireurs silencieux”. En gardant leurs radars éteints, ils réduisent fortement leur probabilité de détection par les récepteurs d’alerte radar adverses. Ils se placent sur les vecteurs fournis par le MiG-31, puis allument brièvement leurs senseurs pour confirmer la cible et tirer, voire, dans certains cas, se contentent d’un tir sur désignation de tiers.
Ce concept préfigure les tactiques modernes de “shooter-illuminator” et de tir coopératif, où un appareil capteur et un appareil tireur peuvent être séparés de plusieurs dizaines de kilomètres. À l’époque, très peu de forces aériennes disposaient d’une telle capacité organique sans passer par un gros avion AWACS dédié.
Le MiG-31 Foxhound se retrouve ainsi au cœur d’un dispositif de “meute”, où sa puissance radar et sa vitesse comblent les lacunes des chasseurs de première ligne. Il fournit la portée de détection, la fusion des pistes et la coordination ; les MiG-23 ou MiG-29 apportent le volume et le nombre de missiles.
Un concept précoce de guerre en réseau
Ce rôle de mini-AWACS place le Foxhound dans une logique de guerre en réseau bien avant que l’expression ne devienne courante dans les forces occidentales. Les témoignages de pilotes et les analyses d’experts soulignent que cette philosophie de “weapon system de groupe” était un élément central du concept d’emploi dès les années 1980.
Au lieu de considérer chaque avion comme une entité autonome, les planificateurs soviétiques conçoivent une patrouille de MiG-31 comme un système unique : un large front de détection, un centre de décision distribué, et plusieurs plateformes de tir associées. Cette vision se rapproche de notions actuelles comme les “coopérative engagement capabilities” ou les “kill webs” multi-domaines.
Les atouts et limites d’un centre de commande volant
L’approche présente plusieurs avantages évidents :
- elle augmente la portée effective du dispositif en multipliant les points d’interception possibles ;
- elle permet d’économiser les ressources lourdes (AWACS), en délégant une partie de la fonction de contrôle aux intercepteurs eux-mêmes ;
- elle renforce la résilience : même si un centre sol ou un AWACS est neutralisé, un groupe de MiG-31 peut encore fonctionner en mode autonome.
Mais le système a aussi ses limites. La liaison de données, bien que directionnelle et sécurisée, n’est pas invulnérable au brouillage ou au renseignement électronique. La complexité de l’avion, son coût d’exploitation et la nécessité d’équipages expérimentés réduisent la taille de la flotte réellement disponible pour des patrouilles permanentes.
Enfin, l’architecture reste centrée sur la défense aérienne nationale. Elle est parfaitement adaptée à la protection de l’espace soviétique, moins à des projections de puissance lointaines où d’autres types de plateformes collaboratives (Su-35, Su-57, drones) prennent progressivement le relais.

Ce que le Foxhound annonce des réseaux de combat modernes
Le Foxhound a longtemps été perçu en Occident comme un simple intercepteur lourd, spécialisé dans la chasse aux bombardiers et aujourd’hui vecteur de missiles R-33 longue portée ou R-37. Mais son véritable héritage est ailleurs : dans sa capacité à distribuer l’information et à orchestrer des interceptions guidées sur des centaines de kilomètres.
Les architectures contemporaines – qu’il s’agisse de l’US Air Force avec ses F-15EX et F-35 connectés, ou de l’Europe avec ses projets de “combat cloud” – reprennent cette logique : un avion doté d’un capteur puissant devient un nœud de réseau, capable de nourrir en données d’autres plateformes moins visibles ou moins bien équipées. La nuance est que, désormais, les réseaux sont multi-domaines, mêlant drones, navires, satellites et systèmes terrestres.
Sous cet angle, le MiG-31 apparaît moins comme un dinosaure soviétique que comme un précurseur d’une manière moderne de penser l’espace aérien : non plus une somme d’appareils isolés, mais une toile dynamique de capteurs et de tireurs, tissée par des liaisons de données et orchestrée depuis le ciel.
Sources :
– Wikipedia, “Mikoyan MiG-31” (radar Zaslon, APD-518, capacités de suivi et d’engagement).
– Deagel / Airvectors / Aircraftinformation.info, fiches techniques MiG-31 et Zaslon (formation de quatre appareils, couverture 800–900 km, liaison de données, rôle de mini-AWACS).
– Armijai.lt, “MiG-31 Foxhound: origins, history and technical data report” (concept de patrouille de groupe, meute d’intercepteurs, partage des pistes).
– Secretprojects.co.uk, fils “MiG-31 avionics” et “Soviet GCI command & datalinks” (détails sur APD-518, capacités de guidage d’autres chasseurs, rôle de poste de commandement volant).
– Articles et analyses diverses (Topwar, Hushkit, Defence Magazine) sur le rôle du MiG-31 dans la PVO, sa modernisation et son emploi comme “flying headquarters”.
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