Avion d’attaque méconnu, le Mikoyan MiG-27 a frappé l’Afghanistan, servi l’Inde au Kargil et laissé planer une confusion tenace autour de la guerre du Golfe.
En résumé
Le Mikoyan MiG-27 (Flogger-D/J) est un avion d’attaque au sol dérivé du MiG-23, conçu dans les années 1970 par l’Union soviétique pour frapper des objectifs terrestres en profondeur. Doté d’une voilure à géométrie variable, d’un puissant turboréacteur R-29B-300 et d’un canon rotatif de 30 mm, il emporte jusqu’à 4 000 kg de bombes et de roquettes sur plusieurs points d’emport. Sa carrière opérationnelle est pourtant restée limitée et souvent mal comprise. L’appareil a bien été engagé par les Soviet Air Forces en Afghanistan dans les dernières années de la guerre, à partir de 1987, principalement pour des missions d’attaque au sol depuis des altitudes de sécurité imposées par la menace des missiles sol-air portatifs. Il a ensuite surtout connu le feu sous les couleurs de l’Indian Air Force, notamment lors de la guerre de Kargil en 1999, ainsi qu’au Sri Lanka. Contrairement à une idée répandue, il n’a pas combattu pendant la guerre du Golfe de 1991, où c’est le MiG-23BN irakien qui a assuré l’essentiel des missions d’attaque au sol. Progressivement remplacé par des appareils plus modernes et plus robustes, le MiG-27 incarne les limites d’un bombardier tactique rapide, très puissant mais peu adapté aux conflits asymétriques et aux environnements saturés en défenses sol-air modernes.

Le développement d’un Flogger spécialisé dans l’attaque au sol
Le MiG-27 naît d’une logique de rationalisation : partir du MiG-23, chasseur à aile à géométrie variable, pour créer un appareil d’attaque au sol dédié. L’idée est d’obtenir une plateforme plus simple à produire qu’un Sukhoi Su-24, mais plus performante qu’un Su-7 ou qu’un MiG-21, avec une meilleure survivabilité en vol à basse altitude.
L’avion conserve la cellule de base du MiG-23, mais avec une proue redessinée et abaissée pour améliorer la visibilité vers l’avant, un cockpit plus blindé et une avionique orientée vers l’attaque au sol. Sur la version MiG-27K, il mesure environ 17,08 m de long, avec une envergure variable de 13,97 m ailes déployées à 7,78 m ailes repliées, et une hauteur de 5 m. Sa masse maximale au décollage dépasse 20 000 kg.
Propulsé par un turboréacteur Tumanski R-29B-300 d’environ 112,8 kN de poussée avec postcombustion, le MiG-27 atteint des vitesses voisines de Mach 1,7 (environ 1 800 km/h en altitude) et opère à des altitudes pouvant dépasser 14 000 m, même si sa vocation réelle est le vol rasant, entre 50 m et 500 m, pour échapper aux radars.
Son armement principal est un canon rotatif GSh-6-30 de 30 mm, à six tubes, capable de délivrer près de 5 000 coups par minute, avec typiquement 300 obus. La puissance de recul est telle qu’elle provoque des contraintes mécaniques sévères sur la cellule et la structure avant, au point de générer fissures et incidents, ce qui conduira à limiter son usage ou à adapter les profils de tir.
Sous les ailes et le fuselage, le MiG-27 peut emporter jusqu’à 4 000 kg de bombes lisses, de bombes à fragmentation, de roquettes S-5, S-8 ou S-24, ainsi que des missiles air-sol guidés comme le Kh-23 Grom (AS-7 Kerry) ou des missiles antiradars Kh-28 (AS-9 Kyle), selon les versions. La combinaison vitesse/charge offensive en fait, sur le papier, un tueur de blindés et de points d’appui pour un conflit de haute intensité en Europe.
La guerre en Afghanistan, un baptême du feu à haute altitude
Une arrivée tardive dans un conflit déjà usant
Contrairement à ce que l’on imagine parfois, le MiG-27 ne se jette pas dans la guerre en Afghanistan dès 1979. Dans les premières années, les forces soviétiques misent surtout sur les Su-17/22, les MiG-21 et, plus tard, les Su-25 pour l’appui aérien rapproché.
Ce n’est qu’à partir de 1987-1988 que des régiments de MiG-27 sont déployés, lorsque Moscou cherche à renforcer l’aviation de frappe tout en préparant son retrait. Le 134e régiment d’aviation de chasse-bombardement (134th APIB), équipé de MiG-27D/M et de biplaces MiG-23UB, est déployé sur la base de Shindand, dans l’ouest de l’Afghanistan, après une phase d’entraînement spécifique au Kazakhstan.
L’avion arrive donc tard, dans un conflit où la guérilla afghane est déjà largement équipée de missiles sol-air portatifs (MANPADS) de type FIM-92 Stinger et équivalents. Cette réalité tactique va profondément contraindre l’emploi du MiG-27, pourtant conçu pour le vol à basse altitude.
Des missions d’attaque au sol sous la menace des MANPADS
Face à la prolifération des MANPADS, les MiG-27 reçoivent l’ordre de ne pas descendre sous environ 5 000 m (16 400 ft). À cette altitude, l’appareil échappe en grande partie aux missiles portables, mais perd l’essentiel de la précision que permettait le vol rasant.
Les missions types comprennent :
- le bombardement de convois de ravitaillement des moudjahidines,
- la frappe de dépôts logistiques et de caches dans des vallées étroites,
- la pose de mines et sous-munitions (bombes à sous-munitions et dispersions minées),
- l’illumination ou le marquage de zones pour l’artillerie, via des bombes éclairantes.
Dans la pratique, les pilotes emploient surtout des bombes non guidées larguées en piqué modéré ou en « toss bombing » depuis moyenne altitude, parfois de nuit. Le manque de munitions guidées, la difficulté à acquérir visuellement des cibles camouflées et la topographie montagneuse réduisent considérablement l’efficacité tactique du MiG-27 dans ce rôle. Des analyses russes postérieures au conflit jugent ses résultats « mitigés » comparés à ceux du Su-25, mieux protégé, plus maniable à basse altitude et capable d’opérer plus près des troupes au sol.
Les pertes exactes restent discutées, mais plusieurs sources évoquent des MiG-27 abattus ou endommagés par la DCA et les MANPADS, malgré l’ altitude de sécurité, notamment lors des opérations autour de Kandahar en 1988-1989. Le bilan opérationnel ressort comme un demi-succès : l’avion apporte une masse de feu supplémentaire, mais ne change pas le cours de la guerre et révèle ses limites dans un conflit asymétrique où la précision et la survivabilité priment sur la vitesse pure.
La confusion persistante autour de la guerre du Golfe
L’affirmation selon laquelle le MiG-27 aurait été utilisé lors de la guerre du Golfe en 1991 revient régulièrement, souvent dans des textes génériques sur les « Flogger » irakiens. En réalité, la documentation sérieuse ne confirme pas cette présence.
L’Irak avait bien engagé des avions de la famille MiG-23, mais sous la forme de MiG-23BN, version d’attaque du MiG-23, ainsi que des Su-22, Su-24, Mirage F1 et Su-25. Les inventaires irakiens et les études post-conflit indiquent clairement que Bagdad disposait de MiG-23BN, pas de MiG-27.
Plusieurs éléments expliquent la confusion :
- la silhouette très proche des MiG-23BN et MiG-27,
- l’emploi du même surnom OTAN « Flogger » pour toute la famille,
- la tendance de certaines sources non spécialisées à regrouper MiG-23BN et MiG-27 sous une même désignation.
Pendant la guerre du Golfe, ce sont donc les MiG-23BN irakiens qui mènent des missions d’attaque au sol à basse altitude contre des objectifs koweïtiens ou de la coalition, avant d’être, pour beaucoup, détruits au sol ou abattus par les chasseurs F-15 et F-16, ou par les défenses sol-air.
Être clair sur ce point n’est pas un détail. Cela permet de comprendre que le MiG-27, malgré son potentiel, n’a pas été exporté massivement au Moyen-Orient, et que son véritable théâtre de référence reste l’Afghanistan pour l’Union soviétique, puis le sous-continent indien.
Les usages majeurs hors URSS : Inde et Sri Lanka
La vraie carrière internationale du MiG-27 se joue surtout en Asie. L’Inde en reçoit environ 165 exemplaires, produits sous licence par Hindustan Aeronautics sous le nom de MiG-27M/ML « Bahadur ».
Dans l’Indian Air Force, le MiG-27 devient l’un des principaux vecteurs d’attaque tactique dans les années 1980-1990. Lors de la guerre de Kargil en 1999, il effectue des frappes répétées contre des positions pakistanaises en haute altitude, dans le cadre de l’opération Safed Sagar. Volant dans un environnement montagneux extrême, il emporte bombes lisses, roquettes et, ponctuellement, bombes guidées, avec des profils d’attaque complexes pour respecter les contraintes politiques et la ligne de contrôle.
Le 27 mai 1999, un MiG-27 indien est perdu après un problème moteur, probablement lié à un impact de missile sol-air portatif ANZA Mark 1. Le pilote, le Flight Lieutenant Nachiketa, est capturé par les forces pakistanaises, avant d’être libéré. Cet épisode illustre à nouveau la vulnérabilité de l’appareil dans des environnements où la défense sol-air légère est omniprésente.
L’aviation sri-lankaise, de son côté, acquiert quelques MiG-27 remanufacturés au début des années 2000. Ils sont utilisés contre les Tigres tamouls dans un contexte de guerre civile, avec des attaques contre des positions, des dépôts et des infrastructures logistiques. Là encore, l’appareil fournit une masse de feu appréciable, mais au prix d’une forte sollicitation des cellules et d’une maintenance coûteuse pour un pays aux moyens limités.
Progressivement, les problèmes de fiabilité, les coûts du soutien et la difficulté à moderniser l’avionique poussent l’Inde à retirer ses MiG-27, le dernier escadron étant mis à la retraite en décembre 2019. Le Kazakhstan suit en 2023, mettant fin à l’histoire opérationnelle de l’appareil.
Les limites structurelles et le remplacement progressif du MiG-27
Sur le plan technique, le MiG-27 présente plusieurs limites qui expliquent sa retraite rapide en Russie, dès 1993.
- La cellule, optimisée pour le vol rapide à basse altitude, subit de fortes contraintes structurales à chaque mission de pénétration. Les campagnes intensives, comme en Afghanistan, accélèrent la fatigue.
- Le canon GSh-6-30, extrêmement puissant, engendre un recul tel qu’il endommage la structure avant, les équipements et parfois l’alimentation électrique, limitant l’usage intensif de cette « artillerie volante ».
- La protection n’est pas au niveau d’un Su-25 : le cockpit est blindé, mais l’appareil reste moins robuste aux tirs de canons automatiques et aux éclats.
- L’avionique et les systèmes de navigation-attaque restent en retrait face aux standards occidentaux des années 1990, en particulier en matière de munitions guidées de précision.
La fin de la guerre froide accélère la décision de Moscou : dès 1993, la Russie retire ses MiG-27 de première ligne et confie la mission d’attaque au sol soit au Su-24, soit au Su-25, soit à des chasseurs multi-rôles plus modernes.
En Inde, les MiG-27 modernisés bénéficient d’une avionique améliorée (GPS, écrans multifonctions, systèmes de guerre électronique), mais restent limités par leur cellule et par leur moteur R-29 souvent critiqué pour sa fiabilité. Les crashs répétés, notamment dans les années 2000 et 2010, finissent de convaincre New Delhi de tourner la page.
Le relais est pris par des plateformes multi-rôles plus flexibles : Su-30MKI, Mirage 2000, Jaguar modernisés, puis appareils plus récents. Dans la logique soviétique et russe, la mission d’attaque au sol est désormais assumée par les Su-34, Su-35 et, dans une moindre mesure, par les Su-25 modernisés, qui combinent meilleure survivabilité, plus grande polyvalence et intégration de munitions guidées.

Ce que révèle le MiG-27 de l’évolution de la guerre aérienne
Le MiG-27 est longtemps resté dans l’ombre des chasseurs emblématiques comme le MiG-29 ou le Su-27. Pourtant, son histoire opérationnelle, de la guerre en Afghanistan à la guerre de Kargil, dit beaucoup sur la transformation de la guerre aérienne depuis les années 1980.
Conçu comme un marteau destiné à écraser les colonnes de blindés de l’OTAN au ras du sol, il se retrouve confronté à des guérillas, à des montagnes et à des réseaux de missiles portatifs qui le forcent à voler haut et à utiliser des bombes peu précises. Il incarne le décalage entre une doctrine de guerre industrielle en Europe centrale et la réalité des conflits asymétriques.
Il montre aussi les limites des solutions « intermédiaires » : trop rapide et trop peu protégé pour faire un A-10 soviétique, trop spécialisé pour s’inscrire durablement dans la vague des chasseurs multi-rôles, le MiG-27 devient un cul-de-sac technologique. Les forces qui l’ont employé en tirent la même leçon : mieux vaut un avion légèrement moins performant sur le papier, mais robuste, polyvalent, bien soutenu et capable d’employer des munitions guidées avec précision.
Le retrait définitif du MiG-27 n’a donc rien d’anecdotique. Il marque la fin d’une génération de bombardiers tactiques à aile variable pensés pour un champ de bataille qui n’a jamais eu lieu, et rappelle qu’un avion, aussi impressionnant soit-il, n’a de valeur que s’il peut être engagé, jour après jour, dans les conditions réelles des conflits contemporains.
Sources
- Mikoyan MiG-27 – Historique, variantes et service opérationnel (Wikipedia, EN).
- MilitaryFactory, fiche technique MiG-27 (dimensions, performances, armement).
- Yefim Gordon, Dmitriy Komissarov, « Mikoyan MiG-23 & MiG-27 », Crécy Publishing, 2019.
- The National Interest, « Russia’s MiG-27 Fired a Cannon So Powerful it Damaged the Aircraft », 2024.
- AIN Online, « MiG-27 Bows Out of IAF Service », 2020.
- Times of India et Indian Express, articles sur l’emploi du MiG-27 pendant la guerre de Kargil et sa retraite en 2019.
- Sources diverses sur l’aviation irakienne et le MiG-23BN pendant la guerre du Golfe (Wikipedia, rapports post-conflit, analyses historiques).
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