Riyad négocie 130 MQ-9B et 200 drones Gambit CCA avec General Atomics, un contrat à plusieurs milliards qui redessinerait la puissance aérienne saoudienne.
En résumé
Les discussions confirmées au Dubai Airshow 2025 entre Arabie saoudite et General Atomics portent sur un package inédit : jusqu’à 130 drones MQ-9B SkyGuardian et 200 drones Gambit CCA, soit le plus grand projet de drones américains jamais envisagé au Moyen-Orient. Ce programme s’inscrit dans une trajectoire où Riyad cherche à sortir de sa dépendance aux seuls avions pilotés (F-15SA, Eurofighter Typhoon) et aux drones chinois Wing Loong et CH-4, en se dotant de systèmes plus intégrés aux architectures occidentales et aux opérations combinées avec les États-Unis. Les MQ-9B offriraient une couverture ISR et de frappe de longue durée, tandis que les Gambit joueraient le rôle de “loyal wingmen” en soutien des chasseurs actuels et futurs, dont les F-35 envisagés. Sur le plan économique, la valeur cumulée du contrat, combinée aux futurs F-35, pourrait se compter en dizaines de milliards de dollars, avec une part de production localisée dans le cadre de Vision 2030. Pour Riyad, il ne s’agit pas seulement d’acheter des drones, mais de repositionner sa supériorité aérienne régionale et sa dissuasion face à l’Iran.
Le deal géant dévoilé au Dubai Airshow 2025
Au Dubai Airshow 2025, General Atomics a confirmé que ses discussions avec Riyad incluent désormais jusqu’à 200 Collaborative Combat Aircraft basés sur la famille Gambit, en plus de 130 drones MQ-9B, dans ce qui serait l’un des plus grands contrats de drones américains jamais conclus avec un pays du Golfe.
Les responsables de l’industriel évoquent un contrat “toujours en négociation”, mais dont l’architecture est désormais claire :
- un noyau de 130 MQ-9B SkyGuardian/SeaGuardian, capables de missions ISR, de frappe et de surveillance maritime ;
- une flotte pouvant aller jusqu’à 200 Gambit CCA, dérivée de la plateforme YFQ-42A exposée à Dubaï, conçue pour opérer en essaim autour d’avions de combat pilotés.
Pour donner un ordre de grandeur du cadre financier, la notification américaine pour 8 MQ-9B destinés au Qatar est évaluée à près de 2 milliards de dollars, incluant appareils, armements et soutien. En se basant sur des estimations de l’industrie situant le coût unitaire complet d’un MQ-9B autour de 30 à 32 millions de dollars, un lot de 130 appareils pourrait dépasser à lui seul 4 milliards de dollars, sans compter les armes, les stations sol et la formation.
Les CCA Gambit, encore en phase de montée en puissance, n’ont pas de prix public. Mais les analystes situent l’ensemble du package MQ-9B + Gambit dans la tranche haute des dizaines de milliards, surtout si l’on inclut la maintenance sur plusieurs décennies et une éventuelle production locale.
La logique opérationnelle des drones MQ-9B pour Riyad
La réponse aux besoins saoudiens en endurance et en surveillance
Le MQ-9B est une évolution du Reaper, avec une endurance dépassant 40 heures, un plafond d’environ 15 000 mètres et une capacité à intégrer l’espace aérien civil grâce au respect des normes STANAG 4671. Son radar multi-mode Lynx et sa boule optronique HD permettent une surveillance continue de larges zones terrestres et maritimes, en mode jour/nuit et par mauvais temps.
Pour Arabie saoudite, dont le territoire s’étend sur plus de 2,1 millions de kilomètres carrés et qui doit surveiller à la fois la mer Rouge, le golfe Persique et de longues frontières terrestres, la combinaison endurance + capteurs fait sens. Les drones MQ-9B pourraient :
- surveiller les lignes maritimes vitales (détroits, routes pétrolières) ;
- suivre les mouvements de groupes armés et de missiles de croisière ou balistiques iraniens ;
- fournir une alerte avancée pour la défense aérienne saoudienne ;
- soutenir les opérations au-delà des frontières, notamment au Yémen, tout en limitant l’exposition des équipages.
Riyad exploite déjà des drones chinois CH-4 et Wing Loong I/II, ainsi que le plus récent Wing Loong-10B (HALE). Ces systèmes ont servi intensivement au Yémen, mais restent moins intégrés aux architectures OTAN et aux chaînes de commandement américaines. En basculant vers le MQ-9B, l’armée saoudienne accède à :
- un écosystème largement partagé par des partenaires comme le Royaume-Uni, la Belgique, le Danemark, le Canada, l’Inde ou le Japon ;
- une interopérabilité renforcée avec les forces américaines lors d’exercices conjoints ou d’opérations réelles ;
- un meilleur accès aux capacités de renseignement multi-capteurs et à la guerre en réseau.
La place des MQ-9B dans l’architecture de défense saoudienne
La Royal Saudi Air Force aligne déjà une flotte impressionnante de F-15C/D/S/SA (plus de 200 exemplaires), d’Eurofighter Typhoon (environ 70) et de Tornado IDS modernisés. Ces avions offrent une puissance de frappe significative, mais leur emploi à long rayon d’action avec des patrouilles prolongées reste coûteux en heures de vol et en fatigue des équipages.
Les MQ-9B permettraient de déporter une partie de la mission :
- missions de renseignement et de désignation d’objectifs avant l’arrivée des chasseurs ;
- frappes de précision avec munitions guidées, lorsque la menace sol-air est limitée ;
- surveillance maritime pour la protection des infrastructures pétrolières offshore et des câbles sous-marins.
À terme, ces drones pourraient être intégrés dans une trame de capteurs distribués, partageant en temps réel leurs flux avec les centres de commandement, les F-15SA, les Typhoon, les avions AEW&C Saab 2000 et E-3, ainsi qu’avec les systèmes de défense sol-air Patriot ou THAAD.
Le pari des Collaborative Combat Aircraft Gambit
La famille Gambit comme base de drones de combat collaboratifs
La famille Gambit est conçue autour d’un “core” commun : cellules, train d’atterrissage, avionique de base et architecture numérique, sur lequel viennent se greffer des modules de mission. Les différentes variantes annoncées couvrent des rôles distincts :
- Gambit 1 orienté intelligence, surveillance et reconnaissance (ISR) ;
- Gambit 2 pour le combat multi-domaine ;
- Gambit 3 pour l’entraînement avancé ;
- Gambit 4 pour la reconnaissance furtive ;
- Gambit 5 pour des opérations embarquées ;
- Gambit 6 pour des missions air-air et air-sol, y compris guerre électronique, SEAD et frappe en profondeur.
L’objectif est de fournir un CCA modulaire, produit à grande échelle, capable d’agir en “loyal wingman” d’avions pilotés, avec une autonomie croissante :
- opérations en essaim, avec partage de données entre drones ;
- capacités d’autoplanification de mission ;
- exécution d’attaques coordonnées contre des défenses sol-air.
GA-ASI met en avant le YFQ-42A, basé sur Gambit, comme démonstrateur de cette logique de drones de combat collaboratifs, conçus pour accompagner des chasseurs comme le F-35 Lightning II ou les futurs systèmes NGAD américains.

L’intégration des CCA dans les forces saoudiennes
Pour Riyad, l’intérêt des Gambit CCA est double. D’abord, ils permettent de densifier le volume de plateformes disponibles en première ligne. Là où un squadron de F-15SA aligne quelques dizaines d’appareils, des dizaines de CCA peuvent être déployés en avant, absorbant une partie des risques face aux défenses adverses.
Ensuite, ces CCA préparent l’arrivée éventuelle d’une flotte de F-35 saoudiens. Washington a annoncé son intention de vendre des F-35 à Riyad, dans une version moins avancée que celle livrée à Israël, afin de préserver la “qualitative military edge” israélienne. Ces appareils n’arriveraient de toute façon qu’à moyen terme.
Entre-temps, les Gambit CCA peuvent être intégrés :
- en soutien des F-15SA et Typhoon pour des missions de pénétration, d’attaque en profondeur et de SEAD ;
- comme relais de capteurs en avant de la force, transmettant les données aux avions pilotés ;
- comme porteurs de leurres ou de brouillage pour saturer les défenses iraniennes ou houthies.
L’enjeu doctrinal est considérable : il s’agit de passer d’une force centrée sur quelques plateformes haut de gamme à un modèle combinant un “noyau” de chasseurs habités et une masse de drones de combat collaboratifs.
Le cadre économique et industriel d’un contrat à plusieurs milliards
Les différentes estimations disponibles pour le MQ-9B et les packages export (Qatar, Pologne, autres clients) suggèrent qu’un contrat de 130 appareils, incluant armements, soutien et formation, pourrait facilement atteindre 8 à 10 milliards de dollars. Si l’on ajoute la composante Gambit CCA – plus complexe, plus récente et probablement plus coûteuse – certains analystes évoquent un ensemble MQ-9B + CCA à plus de 20 milliards de dollars sur la durée de vie du programme.
Ce projet s’inscrit dans un contexte plus large : les États-Unis préparent ou ont déjà annoncé un package d’armements à plus de 100 milliards de dollars pour Riyad, incluant avions, hélicoptères, missiles, défense aérienne, et potentiellement F-35. Le volet MQ-9B/Gambit viendrait se greffer sur cet accord-cadre, en lien direct avec une normalisation stratégique renforcée entre Washington et Riyad.
Pour l’Arabie, la dimension industrielle est centrale. Depuis plusieurs années, la stratégie Vision 2030 impose des objectifs d’offsets, de transfert de technologies et de production locale via des acteurs comme Saudi Arabian Military Industries (SAMI) ou GAMI. Les propos tenus à Dubaï par General Atomics mentionnent explicitement l’étude d’options de production partielle sur le sol saoudien, compte tenu du volume de la commande :
- assemblage final de certains drones ;
- participation de sous-traitants saoudiens sur des éléments de structure ou de câblage ;
- création d’un hub régional de maintenance pour MQ-9B et Gambit.
Cette localisation permettrait à Riyad de réduire à terme une partie de ses coûts de soutien, mais aussi de se positionner comme fournisseur de services et de MCO (maintien en condition opérationnelle) pour d’autres clients du Golfe, voire d’Afrique.
Le lien avec le dossier F-35 et l’équilibre stratégique régional
L’accord sur les MQ-9B et les Gambit CCA ne peut pas être dissocié du dossier F-35. Washington a confirmé son intention de vendre jusqu’à 48 F-35 à Riyad, dans une configuration dégradée par rapport à celle d’Israël, afin de respecter le principe de supériorité militaire qualitative de l’État hébreu.
Pour l’Arabie saoudite, l’ensemble F-35 + MQ-9B + Gambit représente une architecture cohérente :
- le F-35 assure la pénétration furtive, la fusion de données et la coordination de la force ;
- les Gambit CCA apportent la masse, la dispersion des risques, les attaques saturantes et la guerre électronique ;
- les MQ-9B garantissent la persistance sur zone, la surveillance des théâtres éloignés et le relais d’information.
Cette combinaison renforce nettement la posture saoudienne face à l’Iran, qui déploie de plus en plus de missiles balistiques, de drones d’attaque et de capacités navales asymétriques. Elle pose aussi des questions à Israël, déjà inquiet de l’ouverture du “club F-35” à un voisin qui entretient une relation stratégique avec la Chine, tant sur les drones que sur les missiles.
Pour Washington, le pari est clair : encadrer la montée en puissance saoudienne en la rattachant à l’écosystème technologique américain (F-35, MQ-9B, CCA), plutôt que de laisser Riyad accélérer sa bascule vers les plateformes chinoises ou russes. Les drones Gambit et MQ-9B deviennent ainsi un instrument de politique étrangère autant qu’un outil militaire.
La transformation progressive de la puissance aérienne saoudienne
Si le contrat se concrétise, l’Arabie ne changera pas de visage militaire du jour au lendemain. Il faudra des années pour former les équipages, mettre en place les chaînes de commandement, adapter la défense aérienne à la présence massive de drones amis et intégrer ces systèmes à la doctrine.
Mais l’orientation est nette :
- d’une force centrée sur quelques dizaines de chasseurs lourds, Riyad basculerait vers une structure mêlant avions pilotés, drones MALE et CCA ;
- la priorité serait donnée à la supériorité informationnelle (ISR, fusion de données, partage temps réel) plutôt qu’au seul nombre d’avions de combat ;
- la capacité à mener des opérations soutenues à longue distance, contre des objectifs fixes et mobiles, serait significativement accrue.
Reste à savoir si Riyad acceptera les contraintes politiques et techniques attachées à ces systèmes américains : dépendance logicielle, limitations d’emploi, contrôle des mises à jour et vigilance accrue du Congrès américain. L’équilibre entre ambition d’autonomie stratégique et accès aux technologies les plus avancées sera au cœur de la prochaine décennie saoudienne.
Dans cette équation, les MQ-9B et les Gambit CCA ne sont pas uniquement de nouveaux drones : ils sont le test grandeur nature de la capacité du royaume à passer à une puissance aérienne de haute intensité, distribuée, numérique et profondément intégrée aux architectures occidentales de défense.
Sources
– Breaking Defense, “Saudis could buy up to 200 CCA drones, in addition to MQ-9s” ; “Saudi Arabia in talks to buy as many as 200 MQ-9 drones”
– Army Recognition, “Saudi Arabia in talks with General Atomics for up to 200 Gambit Collaborative Combat Aircraft”
– Newsweek, “Trump Ally in Talks for Biggest-Ever US Military Drone Deal”
– General Atomics, fiches et communiqués MQ-9B SkyGuardian / Gambit / YFQ-42A
– Defence Industry Europe, DSCA, AP, sur les ventes MQ-9B à Qatar et clients européens
– Oryx, Defence Security Asia, Eurasia Review, sur les drones chinois en Arabie saoudite
– Euro-SD, Wikipedia RSAF, sur la flotte de chasseurs saoudiens
– Reuters, Times of Israel, Forbes, JINSA, AP, sur les ventes d’armes US, F-35 et l’edge israélien
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