Dernier chasseur à hélice de l’USAF, le F-82 Twin Mustang ouvre le conflit coréen avec les premières victoires aériennes. Capacités, missions, bilan.

En résumé

Dernier chasseur à pistons acquis en série par l’US Air Force, le F-82 Twin Mustang naît comme escorteur à très long rayon d’action puis devient intercepteur de nuit. En juin 1950, ses appareils basés au Japon sont projetés au-dessus de la Corée. Ils assurent la couverture des évacuations à Kimpo et signent la première victoire aérienne américaine du conflit, face à des Yak-11 et La-7 nord-coréens. Son radar embarqué et son autonomie apportent une valeur immédiate pour les interceptions tout temps, l’escorte de C-54 et B-26 et des frappes au sol. Mais la vitesse reste modeste à l’ère des jets, la maintenance souffre et l’appareil est remplacé dès 1951 par le F-94. Le programme totalise des victoires revendiquées en l’air et au sol, des pertes en combat et hors combat, et se prolonge brièvement en Alaska sur des F-82H adaptés au froid. La traversée record “Betty Jo” illustre son endurance. Héritage : un jalon entre l’aviation à pistons et l’interception radar moderne.

Le concept et le design d’un chasseur biplace à double fuselage

Conçu en 1943-1945 pour escorter les B-29 à très longue distance, le Twin Mustang réunit deux fuselages sur une aile commune afin d’augmenteur l’endurance et de partager la charge de travail sur vols de 8 à 10 heures. Si la silhouette évoque deux P-51 accolés, la cellule est nouvelle à près de 80 %, avec une voilure centrale abritant six mitrailleuses Browning de 12,7 mm. Les versions d’escorte F-82E reçoivent deux Allison V-1710-143/145 de 1 600 ch chacun (1 193 kW) entraînant des hélices contrarotatives, ce qui réduit le couple et améliore la tenue à basse vitesse. Les variantes F-82F/G troquent le siège droit de copilote pour un opérateur radar et un pod ventral abritant l’équipement d’interception. L’appareil affiche une envergure de 15,62 m (51 ft 3 in) pour une longueur proche de 12,0 m (39 ft 5 in), ce qui reste compatible avec les pistes japonaises de l’immédiat après-guerre. L’endurance est son atout signature : le 27-28 février 1947, le F-82B “Betty Jo” relie Hawaï à New York sans escale, soit 8 129 km (5 051 mi) en 14 h 32 min, grâce à des réservoirs supplémentaires atteignant 6 874 l, démonstration de concept qui crédibilise son rôle d’escorteur.

Les performances et l’armement en chiffres

Les données varient selon les versions. Un F-82G de série atteint environ 644 km/h (400 mph) en vitesse maxi, avec un plafond voisin de 11 900 m (38 900 ft) et un rayon d’action de 3 600 km (2 240 mi) en configuration standard. Des sources de synthèse donnent 742 km/h (461 mph) en pointe et 3 605 km (1 950 nmi) de distance franchissable pour certaines cellules allégées. L’armement fixe regroupe six 12,7 mm logées dans la voilure centrale (2 400 coups au total selon dotations). Les points d’emport acceptent jusqu’à 900 kg (2 000 lb) de bombes ou 20 roquettes HVAR de 127 mm (5 in), de quoi basculer de l’interception à l’appui-sol sur la même mission. Ces chiffres replacent le F-82 au niveau d’un chasseur lourd de transition : endurance et puissance de feu élevées, mais vitesse inférieure aux jets adverses de deuxième génération.

Les capteurs et l’avionique : la clé de l’interception tout temps

Le saut capacitaire du Twin Mustang tient à son radar. Le F-82F emporte un AN/APG-28, tandis que le F-82G adopte le SCR-720C18, logés dans une nacelle ventrale dont l’antenne dépasse les disques d’hélices pour éviter les interférences. Le dispositif s’accompagne d’un pilote automatique et d’une station opérateur droite dédiée, avec procédures d’interception inspirées des P-61 “Black Widow”. L’ensemble forme, en 1948-1950, une chaîne de détection-poursuite encore rare dans les forces aériennes de la région Asie-Pacifique. Dans la pratique, la fusion « œil pilote + écran opérateur » permet de percer les couches nuageuses et de tenir la CAP de nuit au-dessus de points sensibles. Le compromis poids/traînée de la nacelle pénalise un peu la vitesse, mais la plus-value opérationnelle en météo dégradée est décisive au-dessus de la Corée où les plafonds bas sont fréquents.

Les unités et la montée en puissance au début du conflit

À l’été 1950, la Far East Air Forces aligne environ quarante Twin Mustang répartis entre le 68th Fighter (All-Weather) Squadron à Itazuke AB (Kyūshū) et le 339th F(AW)S à Johnson/Yokota AB (Honshū). Dès le 25 juin, des patrouilles météo-reconnaissance franchissent la mer de Corée à travers des couches nuageuses épaisses pour observer colonnes et ponts au sud de Séoul. Le 27 juin au matin, des F-82 assurent la couverture des C-54 Skymaster évacuant civils et personnels de Kimpo Airfield. À 11 h 50, une formation mixte Yak-11/La-7 nord-coréenne apparaît au-dessus du terrain : trois appareils seront abattus. Le Lt William “Skeeter” Hudson, avec le Lt Carl Fraser à l’optronique, descend un Yak-11 ; le Lt Charles Moran puis le Maj James Little revendiquent chacun une La-7. Cet engagement signe la première victoire aérienne américaine de la Guerre de Corée et sécurise une évacuation critique à très faible altitude.

La palette de missions au-dessus de la Corée

Au-delà des interceptions, le F-82 protège les “air bridges” et escorte les B-26 Invader sur des sorties de harcèlement nocturne. Son autonomie lui permet de tenir des orbites longues au-dessus de Kimpo, Suwon et des corridors maritimes, avec des relèves limitées. Les roquettes HVAR et bombes de 227 kg (500 lb) servent à des frappes d’opportunité contre véhicules et dépôts, souvent sous plafond bas. Dans les statistiques de l’USAF, le type revendique 4 victoires en l’air et 16 appareils détruits au sol durant la campagne, avant de céder la garde de nuit au F-94 Starfire à partir d’avril 1951. Les pertes totales associées au type atteignent 22 cellules pendant la guerre, dont 11 au combat et 11 hors combat, un niveau cohérent avec une activité intense en tout temps et en tout lieu au début du conflit.

Les réussites opérationnelles et les limites rencontrées

Côté réussites, trois éléments ressortent. D’abord, la capacité tout temps : le radar de bord et l’équipage biplace réduisent l’attrition météo et comblent une lacune critique de l’USAF au tout début du conflit. Ensuite, l’endurance : des patrouilles de plusieurs heures au-dessus des nœuds routiers et des aérodromes offrent une permanence que les premiers jets ne peuvent pas égaler. Enfin, la polyvalence : l’armement de voilure et les points d’emport autorisent l’appui-sol réactif. Côté limites, la vitesse et la montée laissent le F-82 en retrait face aux MiG-15 ; l’appareil reste donc cantonné à l’interception d’aéronefs à pistons et à l’escorte à basse/ moyenne altitude. La maintenance souffre d’un soutien logistique dispersé et de cellules rapidement “haut-métrées”. Dès 1951, le F-94 prend le relais de nuit au Japon et en Corée ; le Twin Mustang se replie sur des théâtres particuliers comme l’Alaska avec la version F-82H « hiverisée », avant retrait définitif en 1953 sous l’effet conjugué de l’attrition et du manque de pièces.

L’empreinte laissée par un intercepteur de transition

Le F-82 est le dernier chasseur à hélice acquis en nombre par l’US Air Force, mais il introduit des pratiques qui s’imposeront avec les intercepteurs à réaction : équipage en binôme, procédures radar, interception tout temps et standardisation des pods capteurs. “Betty Jo” reste une démonstration spectaculaire d’endurance et de gestion carburant, utile pour les concepts d’escorte et de rayon d’action. Sur le plan tactique, ses premières semaines de guerre montrent qu’une avionique crédible peut compenser une vitesse moyenne, à condition d’opérer dans une bulle adaptée (départs de pistes sûres, relais carburant, coordination sol-air). En 1950-1951, la « niche » du F-82 demeure la couverture radar de points sensibles et l’escorte lente en météo marginale, exactement là où ses qualités structurantes s’expriment. C’est cette cohérence d’emploi qui explique son impact réel sur la sécurité des aéronefs alliés au tout début de la Guerre de Corée.

Ce que révèlent les chiffres : lecture critique

Pris isolément, 742 km/h (461 mph) de vitesse de pointe et 3 600 km (2 240 mi) de rayon d’action standard placent le F-82 dans la moyenne haute des chasseurs à pistons, mais non compétitif face aux jets pour la supériorité aérienne. En revanche, la combinaison radar + endurance + équipage biplace fait de lui un outil de maîtrise du ciel à basse météo. Les statisticiens retiendront un total revendiqué de 20 appareils ennemis détruits (dont 4 en combat aérien), et 22 F-82 perdus toutes causes confondues pendant la guerre. Ces agrégats, issus de rapports d’époque, cadrent avec la chronologie : pic d’activité mi-1950, décroissance en 1951 avec l’arrivée du F-94, transfert des cellules restantes vers des missions de défense aérienne éloignées. Rapport coût-effet, la « fenêtre d’opportunité » du type fut brève mais décisive : sécuriser des ponts aériens et tenir la ligne des aérodromes alliés dans les premières semaines du conflit.

L'utilisation du North American F-82 Twin Mustang pendant la Guerre de Corée

Un héritage technique qui dépasse sa courte carrière

Au-delà de son image “d’avion à deux fuselages”, le F-82 apporte des briques qui se retrouveront jusqu’aux intercepteurs modernes : répartition des tâches, capteurs avancés, procédures standardisées d’interception nocturne, et logique de mission longue durée. Les radars embarqués AN/APG-28 et SCR-720C, bien qu’anciens, structurent l’entraînement des équipages et préfigurent la bascule vers des intercepteurs à réaction dotés d’une avionique plus mature. L’appareil sert aussi de rappel sur la valeur opérationnelle des plateformes « de transition » : ce sont elles qui stabilisent la situation quand une armée de l’air affronte un choc stratégique inattendu. Dans ce rôle, le F-82 Twin Mustang a rempli le contrat : tenir le ciel quand les jets n’étaient pas encore disponibles en nombre, puis s’effacer.

Plateforme emblématique d’une période charnière, le Twin Mustang a transformé une idée simple — deux fuselages pour deux membres d’équipage — en avantage opérationnel au moment critique. Son héritage le plus durable est moins une ligne de palmarès qu’une leçon de méthode : capteurs, équipage et endurance peuvent, ensemble, compenser la vitesse brute et donner à une force aérienne le temps nécessaire pour se réorganiser.

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