Voici une analyse approfondie des raisons qui poussent certains pays à rejeter le F‑35 malgré ses capacités de pointe.
Le F‑35 Lightning II est présenté comme le chasseur furtif de cinquième génération le plus avancé au monde. Pourtant, certains pays refusent de l’acquérir. Ce choix ne tient pas à une réticence au progrès, mais à des contraintes concrètes. Sur le plan budgétaire, l’investissement global dépasse largement le prix unitaire. Sur le plan technique, des gouvernements redoutent une dépendance vis-à-vis des États‑Unis, notamment via le contrôle des mises à jour logicielles et données opérationnelles. Sur le plan stratégique, les relations politiques instables peuvent compromettre la fiabilité du partenariat. Enfin, sur le plan industriel, des alternatives européennes telles que le Gripen, le Rafale ou l’Eurofighter permettent de concilier performance, souveraineté et coûts maîtrisés.
L’aspect budgétaire : coûts globaux et incertitudes
L’achat d’un F‑35 ne se limite pas au prix unitaire. Un F‑35A coûte environ 75 millions d’euros, les versions F‑35B ou C dépassent 85 millions d’euros. Mais ce coût initial masque un engagement bien plus élevé : sur plusieurs décennies, une flotte nationale peut générer des dépenses cumulées de 20 à 30 milliards d’euros. Le contrat canadien pour 88 appareils représentait environ 12 milliards d’euros, sans compter les coûts de maintenance, de formation et de mises à jour. En outre, France évaluent les coûts d’entretien sur trente ans à plus du double du prix achat. L’incertitude budgétaire devient critique dès lors que l’inflation, les sanctions ou la modification du statut de partenaire peuvent bouleverser le modèle financier. Le Portugal, par exemple, a stoppé son programme estimé à 6 milliards USD, invoquant des risques de surcoûts non transparents. Le Canada reporte l’essentiel de son engagement initial, craignant une conséquence durable sur ses finances publiques.
La dépendance technologique et le contrôle des données
Washington conserve le contrôle des mises à jour logicielles, des pièces détachées et du support. Même en l’absence d’un véritable interrupteur physique, il peut empêcher un État d’utiliser ses appareils en suspendant le support technique. Certains analystes parlent d’un « verrouillage progressif » si l’accès aux logiciels est interrompu. Le Danemark a exprimé publiquement des regrets après l’achat de 27 F‑35, craignant que les États‑Unis puissent limiter l’emploi des appareils en cas de désaccord politique, notamment pour des opérations concernant le Groenland. Le Portugal et l’Allemagne partagent des craintes similaires. Ces pays estiment que ce verrou numérique compromet l’autonomie opérationnelle, ce qui les conduit à privilégier des options ne nécessitant pas ce niveau de contrôle extérieur.
Les impératifs politiques et diplomatiques
La politique étrangère américaine actuelle alimente la méfiance. Les tensions entre Washington et plusieurs alliés européens sous l’administration précédente ont conduit certains États à revoir leur engagement. Le Canada, confronté à des menaces de droits de douane et de revanches géopolitiques, a relancé l’examen de son contrat initial. Le Portugal a cité l’irréversibilité des décisions US comme critère d’arrêt de son projet. Taïwan a abandonné l’idée d’acquérir des F‑35B craignant d’aggraver les tensions avec Pékin. Dans chaque cas, l’achat d’un tel avion devient un acte diplomatique, susceptible d’être utilisé comme levier politique.
Les alternatives opérationnelles crédibles
Face à ces limites, plusieurs États optent pour des chasseurs européens. Le Gripen E, le Dassault Rafale et l’Eurofighter Typhoon offrent un compromis solide. Ils coûtent moins cher, sont modifiables localement, et ne dépendent pas d’un seul fournisseur. Leur furtivité est moindre, mais leur endurance, leur modularité et leur maintenance facilités conviennent mieux à des scenarii réalistes. La Suède, le Portugal et d’autres nations nord-européennes privilégient ces options pour conserver une indépendance stratégique. Leur calcul repose sur un meilleur retour sur investissement, une maîtrise industrielle et une flexibilité tactique accrue. Le nombre d’unités livrées reste limité comparé au F‑35, mais ces alternatives répondent à des exigences spécifiques sans sacrifier la souveraineté.
Les retombées industrielles et géopolitiques
L’hésitation ou le retrait de certains États affecte directement l’économie du programme F‑35. Lockheed Martin construit environ 155 avions par an, et le programme représente environ 72 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel, soutenant environ 275 000 emplois aux États‑Unis. Une diminution du nombre de clients augmente ensuite le coût unitaire pour les acheteurs restants. Pendant ce temps, les fabricants européens, dont Dassault et Saab, gagnent en crédibilité. L’Union européenne renforce son financement pour soutenir des systèmes d’armement autonomes. À long terme, cela interroge la durabilité d’un programme piloté exclusivement par les États‑Unis. La question devient stratégique : vaut‑il mieux conserver une dépendance élevée ou favoriser une montée en puissance industrielle régionale ?
Une équation stratégique complexe
Le refus d’acquérir le F‑35 ne se limite pas à des griefs techniques ou économiques. Il s’agit aussi d’un exercice de calcul stratégique : préserver la maîtrise des outils de défense, limiter la dépendance exogène, protéger les budgets nationaux et anticiper des scénarios géopolitiques imprévisibles. L’option américaine reste techniquement supérieure, mais les conditions attachées à cette supériorité ne conviennent pas à tous. Le choix doit intégrer une lecture politique, budgétaire, industrielle et technique. Pour certains États, une machine de guerre moins avancée reste préférable si elle permet de garantir l’autonomie de décision.
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