La Russie crée une nouvelle branche militaire consacrée aux drones : quelles logiques, quelle organisation, quelle portée sur le front ukrainien et pour l’OTAN ?
En résumé
La Russie vient de formaliser la mise en place d’Unmanned Systems Forces (USF), une nouvelle branche des forces armées entièrement dédiée à la guerre des drones. Ce choix s’inscrit dans la logique de la modernisation des forces russes par les drones et reflète la « militarisation russe des drones tactiques » dans le contexte du conflit en Ukraine et au-delà. Le colonel Sergey Ishtuganov a été nommé à la tête de cette structure tandis que le président Vladimir Putin avait déjà donné pour instruction la création d’un tel commandement. La Russie estime pouvoir produire un volume très élevé de systèmes sans pilote grâce à des usines comme celle de Albatross Group à Yelabuga (Tatarstan), tout en réduisant sa dépendance. La stratégie russo-urkrainienne est claire : en combinant drones de reconnaissance, munitions létales et guerre électronique, Moscou cherche à imposer sa supériorité dans la guerre des drones en Russie et à contraindre l’OTAN à adapter ses défenses.

Le cadre institutionnel et l’organisation de la nouvelle branche
La décision de constituer la nouvelle branche cadre avec la stratégie russe d’évolution vers un format plus flexible et technologique. En décembre 2024, le ministre russe de la Défense avait annoncé la création d’une force dédiée aux systèmes sans pilote. Le 12 novembre 2025, via l’agence TASS, la formation de l’Unmanned Systems Forces fut officiellement confirmée, avec la structure organisationnelle établie et un premier commandement nommé.
Le colonel Ishtuganov a déclaré que des régiments opérationnels – incluant personnels, unités techniques et logistiques – ont déjà été constitués et que l’expansion se poursuit. Jusqu’à présent, la Russie ne publie pas le nombre exact de régiments ou d’effectifs, mais certaines sources évoquent un objectif ambitieux de 210 000 personnels d’ici 2030 pour cette force autonome.
Cette structuration marque un tournant : la création d’un « commandement russe des drones » dévoile que Moscou considère désormais les systèmes sans-pilote non comme un simple appui tactique mais comme un pilier à part entière de la stratégie militaire. Ce changement s’inscrit dans la doctrine russe de combat par drones, qui intègre ces systèmes dans toute l’architecture des forces, aériennes, terrestres et navales.
Les raisons de cette création dans le contexte du conflit ukrainien
La guerre en Ukraine a mis en lumière la montée rapide de la place des drones dans la guerre moderne russe et plus globalement dans les conflits récents. Les forces russes comme ukrainiennes se sont tournées vers les UAV (Unmanned Aerial Vehicles), vers les munitions suicides ou « loitering munitions », ainsi qu’à des systèmes autonomes de ciblage. Un article rapportait l’usage intensif par la Russie de drones munis d’intelligence artificielle pour frapper des lignes logistiques ukrainiennes jusqu’à 50 km derrière le front.
Pour Moscou, la création de cette branche permet de répondre à plusieurs défis :
- structurer et centraliser toutes les unités drones, jusqu’ici éclatées entre brigades terrestres, forces aérospatiales et navales;
- tirer des leçons de l’initiative ukrainienne – l’Ukraine avait créé sa propre « Unmanned Systems Forces » en septembre 2024, ce que la Russie cite directement.
- exploiter l’effet masse : en structurant une force dédiée, la Russie peut accélérer la production, la formation et la doctrine, dans une logique d’industrialisation de la guerre des drones.
- contrer l’avantage tactique que les drones ont offert à l’Ukraine en matière de reconnaissance, frappe asymétrique, saturation et guerre électronique.
Ainsi la stratégie russe dans les drones militaires vise à faire des UAV un élément central du conflit ukrainien, mais aussi un levier d’influence dans la région et auprès de potentiels clients extérieurs. Cette réforme traduit l’idée que les drones ne sont pas un outil secondaire mais un outil de combat de premier plan.
Production, industrialisation et dépendance : 100 % russe possible ?
Un des aspects essentiels de cette nouvelle branche concerne la capacité industrielle. La Russie affiche l’ambition de produire massivement des drones pour alimenter cette force. Le 7 mars 2025, un article évoquait la possibilité pour la Russie d’installer une usine en Biélorussie capable de fabriquer jusqu’à 100 000 drones par an. Une autre usine, à Yelabuga (Tatarstan), exploite actuellement la production de drones de type Shahed-136/131 (d’origine iranienne) dans une logique de transfert technologique.
Cependant, la question de l’autonomie reste ouverte. Les rapports font état d’une forte dépendance initiale aux composants occidentaux ou iraniens : par exemple, certains drones russes produits à Yelabuga utilisent encore des composants électroniques occidentaux importés via l’Iran. Donc, bien que l’objectif soit une « capacité russe en drones de reconnaissance et d’attaque totalement native », la réalité technique impose encore des compromis.
En outre, la production de masse doit s’accompagner de diversification des types (air, sol, mer), de développement de la chaîne logistique, de la formation des opérateurs, et de la doctrine d’emploi. La simple quantité ne garantit pas la qualité ou la pertinence tactique. Ainsi, l’idée d’une industrialisation totale est ambitieuse mais ne pourra être pleinement réalisée que dans plusieurs années.
Même avec ces limites, l’industrialisation des drones en Russie s’accélère. L’existence d’un centre comme le Center for Advanced Unmanned Technologies « Rubicon », créé en août 2024 pour développer l’UAV et l’IA, illustre cette dynamique.
Impacts géopolitiques et enjeux pour l’OTAN
La création de cette branche russe a des implications directes pour l’OTAN et pour la sécurité européenne. D’abord, elle montre que la guerre des drones en Russie ne reste plus un apanage d’un théâtre secondaire mais prend une dimension stratégique, avec une chaîne de commandement autonome et des moyens différenciés.
Pour l’OTAN, cela signifie :
- un besoin accru de détecter, contrer et neutraliser les drones russes, y compris en mer Baltique, en mer Noire ou dans l’arctique ;
- une potentielle saturation des défenses grâce à l’usage de drones de volume, de petites munitions et d’éléments autonomes (IA) ;
- une recomposition des doctrines de défense collective face à un adversaire capable de lancer des frappes à coût relativement faible et à haut rendement.
Des pays comme la Pologne et la Roumanie ont déjà annoncé le déploiement de systèmes anti-drones (type Merops) en réaction aux incursions des drones russes sur le flanc est de l’OTAN.
Sur le plan géopolitique, cette initiative s’inscrit dans la volonté de Moscou de réaffirmer sa capacité d’innovation militaire et de dissuasion régionale. Au-delà de l’Ukraine, la Russie peut proposer des drones à des alliés ou partenaires, ce qui constitue un levier d’influence. La création d’un « commandement russe des drones » marque donc aussi un message politique : celui d’un acteur militaire moderne prêt à rivaliser technologiquement.
Cet effort peut également inciter l’OTAN à accélérer sa propre modernisation dans le domaine des systèmes sans pilote. Une sorte d’effet d’entraînement est déjà perceptible.

Les défis internes à la Russie et les limites de la transformation
Malgré toutes ces volontés, plusieurs défis internes limitent l’efficacité immédiate de cette transformation.
La structuration est bien avancée, mais la doctrine reste à affiner. Le passage de l’expérimentation à la guerre industrielle impose une standardisation des systèmes, des tactiques, des flux de logistique et une maintenance lourde. Le recrutement, la formation de techniciens et d’opérateurs, ainsi que l’intégration des données et de l’IA sont des goulots d’étranglement. L’article mentionne que les effectifs sont en formation mais que le nombre reste plafonné.
Ensuite, l’industrialisation telle qu’elle est souhaitée exige des ressources financières, humaines et technologiques. On ne dispose pas de chiffre public clair pour le budget alloué à cette branche spécifique ; néanmoins, l’équipement de drones en volume sur plusieurs fronts est coûteux (développement, production, logistique, soutien). Il existe donc une tension entre ambition et moyens effectifs.
Sur le plan technique, bien que les drones de reconnaissance ou de frappe soient de plus en plus nombreux, la Russie continue d’affronter des difficultés dans la guerre électronique, dans le ciblage autonome à longue portée, ou dans l’autonomie complète des systèmes. Ces technologies sont coûteuses et mobilisent un savoir-faire que les sanctions internationales et les restrictions d’accès aux composants rendent plus difficile à acquérir.
Enfin, dans un contexte plus général de stratégie, la création d’une branche dédiée doit être articulée avec les autres composantes militaires (infanterie motorisée, artillerie, armée de l’air, marine). Si cela n’est pas bien coordonné, le risque est que les drones deviennent une “arme à part” sans intégration dans la logique globale de combat. La Russie est consciente de cette contrainte, mais en marche rapide, ce type de latence demeure.
Une lecture prospective de l’évolution militaire et industrielle
La mise en place de la nouvelle branche consacre la transformation de l’armée russe par les systèmes sans pilote. Il s’agit d’un changement structurel autant que tactique. La Russie ne se contente plus d’ajouter des drones, elle les « institutionnalise ». Cela marque un pas vers une armée plus automatisée, plus flexible, et potentiellement plus exportatrice.
Si cette transformation réussit, la Russie pourrait envisager :
- une capacité d’attaque par drone à grande échelle, y compris contre des cibles arrières ou des infrastructures critiques ;
- une production de drones de grand volume, capable d’alimenter des fronts multiples ou d’être mise à disposition d’alliés ;
- une position de force accrue dans la compétition technologique avec l’OTAN et une influence renforcée sur les marchés d’armement des systèmes sans pilote.
Cependant, tout n’est pas assuré. Pour que cette stratégie porte ses fruits, la Russie doit encore franchir plusieurs seuils : la maturité industrielle en composants critiques, l’intégration tactique dans tous les niveaux de combat, la capacité à opérer dans des environnements très contestés (avec guerre électronique, contre-drones, brouillage…), et la viabilité logique de masse du drone face à des défenses renforcées.
Sur le plan géopolitique, l’OTAN et ses alliés devront surveiller l’émergence de cette force russe comme un élément de permanence, et non comme une expérimentation temporaire. Si les Russes parviennent à aligner doctrine, production, et effet terrain, cela pourrait redéfinir les seuils d’alerte et les investissements européens dans la défense anti-drone.
La création de cette branche illustre la volonté russe de moderniser ses forces armées en profondeur, de faire des drones un pilier de sa guerre présente et future, et d’envoyer un signal fort à ses adversaires. Le chemin est désormais tracé : passera-t-il des programmes et organigrammes aux effets militaires décisifs et durables ? Le temps et les conflits à venir en donneront la réponse.
Sources
– TASS, « Russia establishes Unmanned Systems Forces », 12 novembre 2025.
– Anadolu Agency, « Russia announces unmanned systems forces as new branch of military », 12 novembre 2025.
– National Interest, « Russia just created a “Drone Force” to counter Ukraine’s drone unit », 13 novembre 2025.
– United24Media, « Russia forms Unmanned Systems Forces amid growing drone arms race with Ukraine », 12 novembre 2025.
– Business Insider, « Russia is gearing up to build 100,000 drones a year on NATO’s doorstep », 7 mars 2025.
– Le Monde, « Russia steps up use of new military technologies against Ukraine, including AI », 7 juin 2025.
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