Deux turboréacteurs à double-flux Adour ont fait du Jaguar une plateforme d’attaque au sol endurante, sûre et efficace à basse altitude.

En résumé

Le SEPECAT Jaguar a été l’un des premiers chasseurs européens à adopter une propulsion bimoteur par moteur à double-flux à faible taux de bypass. Les Rolls-Royce/Turbomeca Adour (basse dilution, avec poussée avec réchauffe) offraient une consommation spécifique réduite aux altitudes et vitesses caractéristiques des missions d’attaque au sol. Cette architecture a amélioré le rendement énergétique, la sécurité en cas de panne, la tenue aux FOD et la charge utile au décollage court, tout en abaissant l’empreinte infrarouge à basse couche. Avec une poussée unitaire de l’ordre de 22,75 kN à sec et 32,5 kN avec réchauffe, un rapport de dilution ~0,75–0,8 et une pression totale ~10:1, l’Adour a permis des profils « lo-lo-lo » économes, un rayon d’action crédible et une disponibilité élevée en escadron. Les limites existaient — réponse moteur, performances supersoniques modestes — mais, pour un avion pensé pour le vol tactique à très basse altitude, l’équation coût/effet restait favorable. Cette combinaison a façonné la doctrine d’emploi du Jaguar en Europe, au Moyen-Orient et en Asie, et reste un cas d’école de choix propulsif aligné sur la mission.

Le rôle décisif des turboréacteurs Adour dans la performance du Jaguar d’attaque au sol

Le principe d’un turboréacteur double-flux à faible dilution

Le moteur à double-flux (turbofan) détourne une partie du flux d’air autour du cœur chaud pour produire de la poussée supplémentaire en refroidissant l’efflux et en augmentant l’efficacité propulsive. Le paramètre clé est le taux de bypass (masse d’air dérivée/masse d’air cœur). Sur un moteur de combat, un taux bas (~0,75–0,8) reste un compromis : trainée frontale limitée, aptitude à la poussée avec réchauffe et meilleure consommation spécifique qu’un turbojet pur, surtout en subsonique rapide. L’Adour adopte une architecture bi-corps (deux arbres concentriques), un compresseur BP suivi d’un HP, une chambre annulaire, deux turbines et une tuyère à réchauffe. Cette chaîne a permis d’optimiser l’écoulement pour le « plancher » du Jaguar : 200 à 300 m d’altitude, entre Mach 0,8 et 0,95, où la densité d’air et les manœuvres à facteur de charge modéré exigent un équilibre entre économie, débit massique et stabilité de pompage. Dans ces conditions, un turbofan bas régime de dilution fournit plus de poussée « utile » par kilogramme de kérosène qu’un turbojet, tout en restant compatible avec une postcombustion pour le décollage court, l’évasion ou l’attaque en ressource.

La configuration bimoteur et ses effets opérationnels

Le Jaguar a été conçu autour de deux Adour installés en nacelles intégrées au fuselage. Sur le plan opérationnel, la redondance moteur a compté : en cas d’ingestion (oiseaux, graviers) ou d’avarie, la cellule pouvait poursuivre en monomoteur, atterrir en sécurité, voire regagner la base. La disponibilité opérationnelle bénéficiait aussi de modules remplaçables sur avion (compressor/HP, boîte accessoires), réduisant le temps-sol. En chiffres, les versions classiques de l’Adour pour Jaguar délivraient environ 22,75 kN à sec par moteur et 32,5 kN (≈ 7 300 lbf) avec réchauffe, certaines évolutions (Mk 104/106) approchant ou dépassant 35 kN en réchauffe. Le rapport de dilution ~0,75–0,8 et la pression totale ~10–10,5 optimisaient la poussée en basse couche. Résultat côté avion : masse maximale au décollage ≈ 15,7 t, charge externe typique jusqu’à 4 500 kg, carburant interne ≈ 4 200 L, avec option de trois réservoirs pendulaires de 1 200 L. Le rendement énergétique en profil bas autorisait un rayon d’action sur carburant interne annoncé autour de 850 km (profil mixte), extensible avec bidons et ravitaillement en vol, ce qui s’est traduit par des patrouilles basse altitude soutenues et des fenêtres d’attaque plus longues.

Le « pourquoi » du choix Adour pour l’attaque au sol

Dans la mission d’attaque au sol, la vitesse de transit et la persistance au ras du terrain priment sur la pointe supersonique. Un turbofan bas ratio procure un meilleur « propulsive efficiency » à Mach subsonique, là où la traînée parasite et le régime gaz dominent les bilans. L’Adour affichait à sec une consommation spécifique voisine de 80–85 kg/(kN·h) (ordre de grandeur cohérent pour sa génération), inférieure à celle de nombreux turbojets du début des années 1970. Cette sobriété locale, multipliée par deux moteurs, s’est traduite par plus de temps sur zone à emports équivalents, ou plus d’emports à endurance constante. Par ailleurs, le flux froid dilué abaisse la température d’éjection et donc la signature infrarouge, un point utile contre les MANPADS au départ des années 1980. Enfin, la compatibilité réchauffe autorisait des accélérations franches en sortie de passe tir, une ressource énergique après largage, et des décollages courts avec plein carburant et munitions.

Le « comment » : réponse moteur, réchauffe et pilotage

Sur le manche, la gestion de deux turbofans à faible dilution impose des réflexes spécifiques. Le temps de réponse à forte demande, bien que maîtrisé, restait supérieur à celui d’un turbojet « nerveux » ; d’où des anticipations d’accélération planifiées avant l’entrée en vallée ou la ré-accélération post-attaque. La poussée avec réchauffe était engagée de façon ponctuelle pour franchir un obstacle, regagner l’énergie après une passe canon ou compenser une piste chaude et courte. En cas de panne d’un moteur, l’asymétrie de poussée était contenue par l’écartement modéré des moteurs et la dérive efficace ; la doctrine prévoyait une vitesse mini majorée et un taux de montée dégradé mais sûrs en monomoteur. L’ergonomie (NAVWASS puis intégrations ultérieures) et l’automatisation progressive ont permis de concentrer l’attention sur la trajectoire basse altitude, tandis que la réserve de poussée en réchauffe offrait un « filet de sécurité » à la demande.

Les chiffres qui racontent l’avion et son profil d’emploi

Au-delà des valeurs de poussée, la cellule du SEPECAT Jaguar était dimensionnée pour le vol soutenu en très basse altitude, avec une voilure de 24 m² et une charge alaire typique de 450–500 kg/m², garantissant une stabilité convenable en turbulence. La vitesse maximale atteignait Mach 1,6 à 11 000 m, mais l’intérêt se trouvait à Mach 0,9 près du sol, là où l’Adour gardait de la marge thermique sans « souffrir » d’une sur-dilution. La capacité interne de 4 200 L, complétée par 2 à 3 bidons de 1 200 L, autorisait des profils prolongés, avec des armes variées : bombes lisses, chutes freinées, roquettes 68–70 mm, missiles anti-radar, conteneurs canons. Sur le plan logistique, la densité énergétique du kérosène consommé à bas régime couplée au double-flux limitait le débit massique carburant par minute de vol, d’où des rotations plus nombreuses pour un même stock en base avancée.

Les avantages et limites face aux alternatives de l’époque

Face aux turbojets « secs » contemporains, l’Adour offrait une sobriété et une signature IR favorables au couteau entre les dents. Par rapport à des turbofans plus dilués (propres aux avions de transport), il préservait la compacité, le poids et la compatibilité avec la postcombustion, essentiels sur un chasseur. Les limites existaient : plafond pratique en montée moindre qu’un intercepteur pur, pointe supersonique plus laborieuse, et inertie légèrement accrue aux changements rapides de régime. Mais le cahier des charges n’était pas l’interception haute altitude : il s’agissait d’insérer une charge utile de 2 à 4 t sous le plafond radar, suivre le terrain et frapper en première passe. Pour cette équation, la propulsion bimoteur Adour a constitué un optimum robuste.

Le rôle décisif des turboréacteurs Adour dans la performance du Jaguar d’attaque au sol

Les retombées sur la maintenance, la sécurité et la disponibilité

La propulsion double apportait un gain de sécurité en opération dispersée. Sur terrains FOD-prone, l’ingestion d’un seul moteur restait gérable ; l’autre ramenait l’avion. Les modules Adour, pensés pour l’accès maintenance, réduisaient le « turn-around » : filtres, bougies, composants accessoires et contrôles vibro étaient traités au parking durci. En escadron, la disponibilité opérationnelle bénéficiait de la standardisation : mêmes familles d’outillage pour Jaguar, puis adoption large de l’Adour sur d’autres plateformes (Hawk, T-45). Le coût par heure de vol s’en trouvait stabilisé, tandis que l’économie de carburant à profil comparable compensait en partie la facture kérosène. Sur théâtres chauds, la marge de poussée avec réchauffe évitait de « taper » les températures limites au décollage, un facteur de vieillissement maîtrisé pour les turbines HP.

Les enseignements pour la conception et la doctrine

Le Jaguar illustre un principe simple : choisir la propulsion en fonction de la mission dominante. À très basse altitude, là où l’air dense pèse sur la traînée et où la furtivité IR relative compte, un turbofan à faible bypass et à consommation spécifique modérée est plus pertinent qu’un turbojet « pointu ». La configuration bimoteur augmente la résilience tactique et la sécurité des équipages, atout majeur pour une aviation d’attaque au sol exposée. Enfin, l’intégration d’un système de navigation/attaque crédible et d’une poussée avec réchauffe disponible « à la demande » permet de lisser les aléas de trajectoire et de météo au profit de l’effet militaire. Si les standards actuels (capteurs, liaisons de données, armements guidés) ont changé l’« au-dessus de la mêlée », la logique énergétique et mécanique derrière l’Adour demeure d’actualité : faire plus bas, plus vite et plus longtemps, pour moins de carburant.

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