Alors que la Belgique remplace ses F-16 par le F-35, le débat s’intensifie sur les offsets industrielles promises aux entreprises belges : bilan, enjeux et critiques.

En résumé

La Belgique a décidé en 2018 de remplacer ses avions de combat F-16 par le F-35A afin de moderniser sa composante air tout en respectant ses engagements au sein de l’OTAN. Ce choix s’accompagne de promesses d’retombées économiques substantielles : contrats pour l’industrie belge, intégration dans la chaîne d’approvisionnement mondiale, création d’emplois et transfert technologique. Les mécanismes d’offset belges imposent un minimum de 100 % de contreparties industrielles pour les acquisitions de défense. Toutefois, plusieurs observateurs estiment que la réalité est encore floue : peu de montants chiffrés publics sont disponibles et les bénéfices industriels prennent du temps à émerger. L’article examine les engagements pris, ce qui a été obtenu à ce jour, les exemples précis d’entreprises belges impliquées et les enjeux stratégiques associés. À l’analyse, les retombées sont réelles mais limitées à ce jour et nécessitent un suivi rigoureux pour être pleinement convaincantes.

Le cadre stratégique du remplacement du F-16

La Belgique a lancé en 2017 un appel d’offres pour remplacer sa flotte vieillissante de F-16 (54 appareils estimés) afin de couvrir ses missions de défense, de partage nucléaire et d’interopérabilité au sein de l’OTAN. En octobre 2018, Bruxelles a officiellement sélectionné le F-35A de Lockheed Martin après une phase d’évaluation dans laquelle l’appareil américain a été jugé meilleur selon sept critères, dont le coût-global, les performances et le retour industriel. Le contrat initial porte sur 34 avions, avec une option pour 11 de plus, portant la flotte belge à 45 unités.
L’argument d’interopérabilité avec l’OTAN, d’accès à une « 5e génération » d’avions, et la mission nucléaire belge au sein de l’alliance ont été des facteurs déterminants. Les retombées industrielles étaient rapidement annoncées comme un élément majeur pour justifier l’investissement et obtenir l’adhésion politique. Le dispositif belge d’Industrial Benefits Programme (offsets) impose que chaque contrat de défense donne lieu à des contre-parties industrielles directes, semi-directes ou indirectes, avec un seuil minimal technique et exportable.
Ainsi, le remplacement des F-16 par le F-35 n’est pas uniquement un enjeu militaire : c’est aussi un pari sur l’industrie belge, ses capacités exportatrices et sa participation à une chaîne de valeur globale.

Les promesses d’offsets et les engagements belges

Au moment de l’annonce, le gouvernement belge et Lockheed Martin ont souligné qu’un volet industriel important était attaché à ce programme. Sur le site officiel du F-35, on mentionne que la Belgique s’intègre dans le « global enterprise » du F-35 avec partenariats industriels directs et indirects. En octobre 2025, un accord spécifique a été signé : la Belgique a obtenu qu’auprès de Pratt & Whitney (moteur F135 du F-35) et de Safran Aero Boosters ainsi que de BMT Aerospace, des composants critiques soient fabriqués en Belgique.
Parmi les engagements :

  • Safran Aero Boosters (Wallonie) doit établir une nouvelle ligne de production de composants du moteur F135.
  • BMT Aerospace (Flandre) s’engage dans un « manufacturing concept innovant » pour modules moteurs.
  • Des entreprises belges telles que Sonaca, SABCA, ILIAS Solutions sont citées comme intégrées aux chaînes d’industrialisation, maintenance ou logistique du programme.
    Le gouvernement belge présente cet aspect comme un investissement stratégique dans la souveraineté industrielle, la création d’emplois qualifiés et le maintien d’activités aéronautiques haut de gamme. Le ministre de la Défense a affirmé que « le retour économique du programme F-35 s’étend au-delà de Lockheed Martin ».
    Techniquement, l’accord d’offset belge prévoit que les contre-parties doivent générer un flux d’exportation « nouveau ou additionnel » pour les entreprises nationales : c’est un critère exigé.
    Mais le détail des engagements financiers et des volumes reste largement confidentiel ou non publié de façon complète. Cela laisse place à des interrogations sur la réelle ampleur des retombées promises.

Les retombées industrielles observées et exemples précis

Concrètement, quelques faits illustrent ce qui a déjà été obtenu :

  • L’accord moteur F135 signé en octobre 2025 entre la Belgique, Pratt & Whitney, Safran et BMT représente un pas significatif : c’est une participation dans un composant central de l’avion, ce qui va au-delà d’un simple assemblage secondaire.
  • Sonaca, SABCA et ILIAS Solutions sont mentionnées dans des articles comme bénéficiant d’activités liées à la production de structures, de pièces en titane ou de logiciels logistiques sur le réseau F-35.
  • Le fait que la Belgique demande que les avions supplémentaires soient assemblés en Europe (à l’usine FACO de Cameri en Italie) est directement lié à la volonté de maximiser les bénéfices industriels.
  • Répartition régionale : l’accord moteur mentionne explicitement une coopération entre Flandre et Wallonie, afin de veiller à l’équilibre territorial.
    Ces exemples montrent que l’industrie belge est intégrée dans la chaîne d’approvisionnement mondiale du F-35 et que des engagements tangibles ont été signés.
    Cependant, il manque à ce jour des chiffres publics transparents sur le nombre d’emplois créés, la valeur totale des contrats pour l’industrie belge et la proportion réalisée par rapport aux promesses initiales. Aucune source crédible ne semble indiquer que les retombées ont déjà atteint leur maximum ou que le total des retours est supérieur au montant investi.
    Par conséquent, s’il y a de réelles retombées, elles sont encore en phase de montée, ce qui tempère l’enthousiasme.
F-35 Belgique

Évaluation critique : est-ce positif au final ?

Pour porter un jugement franc, il convient de peser les aspects positifs et les selons.

Points positifs :

  • L’industrie belge obtient des contrats à haute valeur ajoutée (composants moteurs, pièces structurales, logiciels logistiques) : cela signifie une montée en compétence, une intégration dans une chaîne de production mondiale et des opportunités d’exportation.
  • Le dispositif d’offset belge est parmi les plus exigeants en Europe (minimum 100 % de contre-parties) ; cette rigueur pousse le gouvernement à négocier des retours industriels.
  • L’intégration industrielle européenne (via Cameri, etc.) est favorable à la Belgique pour éviter une captation exclusive par les États-Unis et favoriser des synergies avec d’autres pays.
  • L’accord régional Flandre/Wallonie montre une volonté de répartition équilibrée, ce qui est un atout politique et social.

Points de réserve :

  • Le temps de maturation est long : les retombées prometteuses sont signées récemment (2025) et beaucoup de contrats restent à exécuter. Le retour industriel complet prendra des années.
  • Le coût global du programme est très élevé. Même si le prix unitaire de l’avion n’est pas forcément disproportionné, les coûts de soutien, infrastructures, munitions, formation et cycle de vie restent lourds à supporter. Le bénéfice économique doit être comparé à cet agrégat.
  • Transparence limitée : sans données publiques claires sur les montants réellement dépensés dans l’industrie belge, il est difficile de confirmer que les promesses soient entièrement tenues.
  • Stratégie industrielle et souveraineté : certains critiquent le fait que malgré les offsets, la dépendance aux États-Unis reste forte (maintenance, pièces, logiciels) et que cela limite la pleine autonomie industrielle belge.

Conclusion de l’évaluation : sur la base des informations disponibles, le bilan est positif mais mitigé. Les retombées industrielles sont réelles et prometteuses, mais elles ne sont pas encore pleinement concrétisées. Il est trop tôt pour dire que toutes les promesses ont été tenues. L’objectif sera de suivre l’exécution des contrats, la création d’emplois durables, les exportations belges et le maintien de l’effort industriel national lié à ce programme.

Les enjeux stratégiques associés aux retombées

Au-delà de l’économie, les retombées industrielles présentent des enjeux stratégiques majeurs pour la Belgique.
Premièrement, il s’agit de la souveraineté technologique : en obtenant des contrats de production de composants critiques (moteur F135, pièces structurales), la Belgique renforce sa capacité à participer aux chaînes décisionnelles et opérationnelles de défense. Deuxièmement, la participation à un grand programme international comme le F-35 permet à l’industrie belge d’acquérir une visibilité export : être fournisseur dans cette chaîne améliore la crédibilité pour d’autres marchés.
Troisièmement, il y a la dimension de l’interopérabilité et de l’intégration OTAN : en adoptant le F-35, la Belgique s’aligne sur un standard très répandu parmi les alliés et cela renforce sa position stratégique. Les retombées industrielles jouent un rôle d’accompagnement à cette logique de posture.
Quatrièmement, la coordination régionale et nationale (Flandre/Wallonie) autour de ces retombées est un facteur de cohésion interne. Les contrats signés mentionnent explicitement cet équilibre.
Enfin, la stratégie européenne est aussi en jeu : certains industriels et États européens critiquent le choix du F-35 au détriment d’une solution européenne. Le débat sur l’intégration dans le programme Future Combat Air System (FCAS) est un exemple. Les retombées industrielles belges peuvent donc aussi être vues comme un pari sur la position de la Belgique entre États-Unis, OTAN et l’industrie européenne de défense.

Les risques à surveiller et les conditions de succès

Pour que les retombées industrielles soient pleinement efficaces, plusieurs conditions doivent être réunies.

  • Exécution des contrats : les entreprises belges doivent transformer les engagements en production effective, respecter les délais, la qualité et assurer la compétitivité.
  • Cycle de vie long terme : l’avion entrera en service progressivement et restera actif plusieurs décennies. La maintenance, les mises à jour logicielles, les pièces de rechange représentent un marché potentiellement important ; la Belgique doit s’y inscrire.
  • Exportabilité : la génération de nouveaux flux d’exportation belges (ce que les offsets requièrent) dépend de la capacité à vendre aussi des produits ou services dérivés à d’autres pays que la Belgique.
  • Innovation et montée en compétences : pour que les retombées soient durables, l’industrie nationale doit intégrer des technologies de pointe (additive manufacturing, matériaux composites, logiciels embarqués) et non seulement des pièces à faible valeur ajoutée. L’accord autour de la fabrication additive pour moteur F135 en est un bon exemple.
  • Cohérence industrielle et stratégique : la Belgique devra éviter de se retrouver dépendante d’un unique client (États-Unis) tout en maintenant sa participation européenne. Le débat sur le FCAS en est témoin.
  • Surveillance des coûts : les retombées ne doivent pas masquer un coût global excessif du programme pour le contribuable belge. Si le retour industriel est important mais que les coûts militaires sont disproportionnés, l’équilibre économique peut rester fragile.

Perspective et conclusion

La décision belge de remplacer les F-16 par le F-35 s’accompagne d’un volet industriel et économique qui mérite attention. Les retombées industrielles pour la Belgique sont concrètes et prometteuses, avec des accords récents permettant à des entreprises nationales d’intervenir sur des composants stratégiques (moteur, structures, logiciels). Cela renforce le tissu industriel, crée des opportunités d’exportation et améliore la position technologique du pays.
Cependant, ces gains ne doivent pas faire oublier que le programme reste coûteux, que tous les bénéfices ne sont pas encore cristallisés, et que la dépendance technologique aux États-Unis demeure un facteur de vulnérabilité. Pour que l’ensemble soit réellement positif, la Belgique devra suivre avec rigueur l’exécution des engagements industriels, encourager l’export et veiller à ce que les coûts militaires ne masquent pas les retombées économiques.
En définitive, l’offset lié à l’achat du F-35 est une chance réelle pour l’industrie belge — mais ce pari n’est pas encore totalement remporté. Le suivi, la transparence et l’engagement à long terme seront les clefs de sa réussite.

Sources :

  • Belgium – F-35 Lightning II (site officiel Lockheed Martin)
  • Aviation24.be – Belgian industry to produce key components for F-35 fighter jet engine
  • AeroTime – Belgium signs F-35 engine deal with Safran and Pratt & Whitney
  • ArmyRecognition – Why Belgium’s first F-35 stealth fighter jets mark the start of a new era for the country
  • Wikipedia – Offset agreement ; Remplacement des F-16 belges