Le 23 juin 2025, des Rafale et Mirage 2000 ont intercepté des ballons stratosphériques à plus de 20 km d’altitude dans un exercice inédit de l’Armée de l’air.

Une opération inédite dans la très haute altitude

Le 23 juin 2025, l’Armée de l’Air et de l’Espace française a conduit une opération technique rare et stratégique : l’interception de ballons stratosphériques par des avions de chasse. L’exercice s’est déroulé depuis la base aérienne 120 de Cazaux, dans les Landes, mobilisant des Rafale et Mirage 2000-5 armés de missiles MICA. Selon l’état-major, les appareils ont engagé des cibles simulées évoluant à plus de 20 000 mètres d’altitude, soit dans la zone dite de Très Haute Altitude (THA).

Cette opération, menée dans un contexte de tension croissante autour de la surveillance aérienne – amplifiée par l’affaire des ballons chinois interceptés par les États-Unis en 2023 – vise à renforcer la capacité française à contrôler les couches supérieures de l’atmosphère. À ces altitudes, les capacités de détection, d’interception et de guidage sont remises en question, notamment à cause de la raréfaction de l’air, des limites des radars conventionnels et des marges de manœuvre réduites pour les vecteurs d’arme.

Cette réussite technique marque une première pour l’armée française. Elle s’inscrit dans un effort plus large d’adaptation aux menaces modernes, où les ballons stratosphériques deviennent des vecteurs d’observation, de surveillance ou de perturbation électroniques peu coûteux et difficiles à neutraliser avec les doctrines classiques.

Une stratégie aérienne tournée vers la Très Haute Altitude

La zone dite THA (Très Haute Altitude), comprise entre 20 000 et 50 000 mètres, n’est ni tout à fait aérienne, ni véritablement spatiale. Elle représente une zone grise en matière de doctrine militaire. Longtemps considérée comme peu exploitable opérationnellement, elle attire désormais l’attention des stratèges. L’Armée de l’air française adapte sa doctrine pour tenir compte de l’usage croissant des ballons stratosphériques, capables de rester en vol stationnaire durant plusieurs jours à haute altitude.

Les exercices menés à Cazaux entrent dans le cadre du plan « Stratégie Air et Espace 2030 », visant à renforcer les capacités françaises de vol en avion de chasse dans des environnements extrêmes. À cette altitude, les avions traditionnels voient leur maniabilité réduite, leurs moteurs peinent à produire de la poussée, et l’environnement électromagnétique est instable. Pourtant, les Rafale, grâce à leurs moteurs Snecma M88-2, conservent une capacité d’interception jusque vers 21 000 mètres. Leur radar RBE2 AESA permet une détection à longue portée, même de cibles peu réactives thermiquement comme des ballons.

L’opération a consisté à guider le missile MICA EM (Electromagnetic) à longue portée vers des cibles très peu mobiles et faiblement réfléchissantes, dans une atmosphère ténue. Ce tir montre que, dans certaines conditions, les avions de chasse français peuvent projeter leur puissance bien au-delà des plafonds standards de vol.

Interception de ballons stratosphériques par des Rafale

Une réponse tactique aux menaces émergentes

Depuis l’affaire du ballon chinois abattu au-dessus du territoire américain en février 2023, plusieurs pays, dont la France, ont engagé des efforts pour contrer ces engins aux capacités souvent sous-estimées. L’interception réalisée en juin 2025 s’inscrit dans cette logique de réarmement informationnel. Les ballons stratosphériques, en apparence rudimentaires, peuvent transporter des charges utiles de surveillance optique, radar, ou de guerre électronique, voire des intercepteurs ou des mini-drones. Ils coûtent en moyenne 50 000 à 150 000 euros selon leur charge, soit beaucoup moins qu’un satellite, et ne nécessitent pas les mêmes autorisations.

Pour un avion de chasse comme le Mirage 2000-5, volant à environ 2 340 km/h à haute altitude, intercepter un ballon stationnaire à 20 000 mètres représente un défi cinétique. L’avion doit approcher à une vitesse subsonique stabilisée pour effectuer un tir efficace, tout en assurant la précision du missile. Cette manœuvre a été rendue possible grâce à une coordination entre le système radar du Rafale, les liaisons tactiques L16 et le commandement opérationnel.

Le missile MICA, conçu pour des cibles rapides et manœuvrantes, s’est montré apte à détruire des objets lents, en ajustant ses algorithmes de guidage. Cela démontre la flexibilité du système d’armes français, capable de s’adapter aux nouvelles menaces sans modification majeure de ses équipements.

Une démonstration de souveraineté technique

Au-delà de la prouesse technique, cette opération traduit une affirmation stratégique : la France entend contrôler son espace aérien et ses zones d’influence dans toutes les couches de l’atmosphère. Le général Stéphane Mille, chef d’état-major de l’Armée de l’air et de l’Espace, avait insisté sur cette ambition dès 2023, indiquant que la zone THA deviendrait une priorité opérationnelle.

Le choix de Cazaux pour cet exercice n’est pas anodin. La base accueille des escadrons spécialisés dans l’expérimentation, comme l’Escadron de chasse et d’expérimentation 5/330 Côte d’Argent, qui travaille à la validation de profils d’engagement non conventionnels. Les vols réalisés ont mobilisé au moins deux Rafale et un Mirage 2000-5, avec plusieurs passes de tir à différents régimes d’altitude et de vitesse.

Cette démonstration s’inscrit aussi dans le contexte de compétition technologique avec des puissances comme la Chine ou les États-Unis, qui investissent massivement dans les systèmes non pilotés et les capacités de brouillage aérien. Les États-Unis ont récemment intégré des capacités anti-ballons à leurs avions F-22 et F-35, avec des résultats opérationnels mitigés. La France semble ici avoir trouvé une formule viable avec des moyens existants.

Cette capacité pourrait aussi être mobilisée dans les théâtres extérieurs : Sahel, Indo-Pacifique, ou au-dessus des territoires ultramarins. Dans ces régions, la surveillance atmosphérique par ballons devient un enjeu, face à des adversaires asymétriques ou disposant de moyens sophistiqués de surveillance.

Un jalon vers la doctrine aérienne du futur

L’interception de ballons stratosphériques par des avions de chasse français constitue un précédent opérationnel. Elle démontre que la projection de force ne se limite plus à l’atmosphère classique. À mesure que les menaces se déplacent vers les couches supérieures de l’air, les doctrines devront intégrer cette verticalité élargie.

L’Armée de l’air et de l’Espace prépare déjà une série d’exercices complémentaires. Ils porteront sur la détection passive à grande altitude, l’interopérabilité avec des drones stratosphériques et le renforcement de la coordination sol-air-espace. La Direction Générale de l’Armement (DGA) étudie aussi des capteurs capables de détecter les signatures infrasoniques des ballons ou leurs émissions électromagnétiques.

Cette stratégie s’appuie sur les plateformes existantes comme le Rafale, dont les prochaines versions devraient intégrer des modules spécialisés pour la très haute altitude. Il s’agit également d’anticiper l’arrivée de systèmes aéroportés concurrents : drones solaires, ballons relais de communications ou intercepteurs orbitaux.

En développant une capacité d’engagement crédible à plus de 20 kilomètres d’altitude, la France ouvre une voie doctrinale dans laquelle les avions de chasse classiques peuvent encore jouer un rôle face aux technologies émergentes. Cela implique aussi un changement de paradigme dans la formation des pilotes, la gestion de mission, et l’intégration de l’intelligence artificielle pour l’aide à la décision.

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