Face aux tensions sur le projet européen d’avion de combat du futur, France et Espagne réaffirment leur engagement tandis que l’Allemagne reste réservée.
En résumé
Le Système de combat aérien du futur (SCAF), ou Future Combat Air System (FCAS) en anglais, est le projet majeur de l’Europe pour créer un avion de combat de sixième génération et ses systèmes associés. Initié par la France, l’Allemagne et l’Espagne, ce programme vise à remplacer les Rafale français et les Eurofighter Typhoon allemands et espagnols d’ici 2040 et à renforcer l’autonomie stratégique européenne. Ces dernières semaines, Paris et Madrid ont publiquement réaffirmé leur confiance dans l’avancement du programme lors de discussions trilatérales, malgré l’absence de commentaires officiels de Berlin. L’Allemagne a préféré garder le contenu des échanges confidentiel, reflétant des désaccords industriels et politiques persistants, notamment autour de la répartition des responsabilités entre Dassault Aviation et Airbus Defence and Space, et de la contribution technologique de chaque partenaire. Ce contexte met en lumière des enjeux budgétaires, industriels et diplomatiques significatifs, à un moment où l’Europe cherche à consolider sa défense aérienne autonome.
Le projet SCAF : objectifs et configuration technologique
Le Système de combat aérien du futur (SCAF), appelé Future Combat Air System (FCAS) en anglais, est un programme européen ambitieux dont l’objectif est de développer d’ici les années 2035–2040 un avion de combat de sixième génération capable de remplacer les appareils actuellement en service.
À la différence d’un simple avion, le SCAF est conçu comme un « système de systèmes » intégrant plusieurs composantes interconnectées. Il comprend un avion de nouvelle génération (New Generation Fighter, NGF) accompagné de drones opérateurs éloignés (remote carriers) et d’un réseau de données en temps réel, parfois désigné comme Combat Cloud. Ce réseau doit permettre une coordination étroite entre plateformes pilotées et non pilotées, améliorant la conscience situationnelle, la détection et la capacité de prise de décision en environnement contesté.
Le NGF est censé représenter un saut technologique en termes de furtivité, de capteurs, de connectivité et de capacités de traitement des données, dépassant ce qui existe aujourd’hui, y compris sur les avions de cinquième génération comme le F-35 Lightning II américain. L’intégration des drones et du cloud fait partie de la stratégie pour réduire les risques opérationnels et augmenter la flexibilité des missions.
Le SCAF doit s’intégrer à des capacités existantes telles que les Rafale français et les Eurofighter Typhoon allemands et espagnols tout en préparant les forces alliées à un futur scénario de combat multidomaine. Ce niveau d’intégration technique et opérationnel requiert une coordination étroite entre les industries concernées, notamment Dassault Aviation, Airbus Defence and Space, Safran, Thales et Indra Sistemas.
Le contexte politique des discussions récentes
Dans une réunion trilatérale récente à Berlin, la France et l’Espagne ont publiquement réaffirmé leur engagement vis-à-vis du SCAF, soulignant leur volonté de poursuivre l’étude des conditions pour passer à une phase de démonstrateur et de développement plus avancée. Les déclarations officielles ont mis l’accent sur l’importance de maintenir la coopération et de travailler vers un avion futur et un système de combat complet.
En revanche, l’Allemagne s’est montrée réticente à partager des détails concrets, indiquant que le contenu des discussions resterait confidentiel. Cette position a été interprétée par plusieurs analystes comme un signe de désaccords persistants entre Berlin et ses partenaires, en particulier sur la répartition industrielle, le rôle de chaque constructeur et la direction technologique du programme.
Parallèlement, certains rapports indiquent que l’Allemagne pourrait envisager une réduction de son implication, en se concentrant potentiellement sur des aspects spécifiques du programme comme les systèmes non pilotés ou le Combat Cloud, plutôt que sur l’avion lui-même.
Ces discussions interviennent après plusieurs mois de tensions où Berlin a notamment été évoqué comme pouvant rechercher de nouveaux partenaires comme la Suède ou le Royaume-Uni, si les désaccords avec Paris demeuraient trop profonds.

Les enjeux industriels et de gouvernance
Un des points clés du blocage réside dans les relations industrielles entre Dassault Aviation et Airbus Defence and Space. La société française veut souvent garder un rôle majeur dans le développement du NGF, tandis qu’Airbus, soutenue par certains milieux allemands, plaide pour une répartition plus équilibrée des responsabilités entre les partenaires.
Cette rivalité a donné lieu à des pressions syndicales en Allemagne, où l’union IG Metall a menacé de retirer son soutien à la coopération si Dassault conservait une position dominante, estimant que cela désavantagerait l’industrie allemande.
La complexité industrielle découle aussi de la présence de nombreux sous-traitants dans différents pays, chacun avec des intérêts économiques spécifiques. La construction d’un système aussi vaste implique des milliers d’emplois hautement qualifiés, des investissements massifs en recherche et développement, et des règles de partage du travail qui doivent satisfaire toutes les parties.
La gouvernance du programme est donc un élément aussi stratégique que technique. Sans un accord clair sur qui dirigera quelles parties du développement, les retards s’accumulent et le risque d’éclatement de la coopération augmente, ce qui pourrait compromettre le calendrier initial.
Budget européen : coûts, retards et arbitrages
Le SCAF est un programme d’armement européen de très grande envergure, dont le coût est estimé à plusieurs dizaines de milliards d’euros, souvent cité autour de €100 milliards (~116 milliards de dollars) sur l’ensemble de sa durée de vie, de la conception à la production et au soutien.
Ce niveau d’investissement n’a pas d’équivalent dans les programmes européens précédents pour un avion de combat. Il reflète à la fois la complexité des technologies à développer et l’ambition de l’Union européenne d’affirmer une autonomie stratégique en matière de défense, réduisant sa dépendance aux fournisseurs extérieurs.
Cependant, les retards dans les discussions politiques et industrielles peuvent augmenter encore les coûts. Dans tout grand programme aéronautique, chaque année de retard pèse sur le budget total, non seulement du fait des dépenses directes de R&D, mais aussi en termes de personnel, d’infrastructures et de gestion de projet. Pour un projet aussi large que le SCAF, cela peut se chiffrer en milliards d’euros supplémentaires si des retards majeurs persistent.
D’autre part, la redistribution des responsabilités entre pays a des conséquences directes sur les retombées économiques nationales. Les pays qui obtiennent une plus grande part du travail industriel tirent des avantages économiques importants, tant en termes d’emplois que d’exportations futures. C’est une des raisons pour lesquelles la gouvernance du programme est un sujet aussi sensible.
Transferts de technologie et capacités souveraines
Un des arguments en faveur du SCAF est la possibilité de transfert de technologies avancées entre partenaires. Le développement concomitant d’un avion de sixième génération, de drones autonomes et d’un réseau de données sécurisé requiert des innovations poussées dans les domaines de la furtivité, de l’intelligence artificielle, des capteurs et des communications.
La coopération européenne peut permettre à chaque pays de bénéficier d’une base technologique élargie, réduisant la duplication des efforts nationaux et partageant les coûts de R&D. Cela est particulièrement pertinent pour des technologies que peu de pays maîtrisent seuls, notamment les logiciels de fusion de données en temps réel, les matériaux furtifs ou les architectures de réseaux sécurisés.
Toutefois, les transferts de technologie sont souvent au cœur des disputes industrielles. Les entreprises veulent protéger certains savoir-faire et leurs parts de marché, menant à des négociations complexes sur ce qui peut être partagé, ce qui doit rester exclusif et comment organiser la propriété intellectuelle des innovations résultantes.
L’avenir du programme et ses alternatives
Alors que Paris et Madrid réaffirment leur foi dans le SCAF, l’attitude réservée de Berlin laisse planer une incertitude substantielle sur l’avenir du programme. Les discussions en cours, y compris entre les dirigeants politiques européens, viseront à répondre à ces questions d’ici la fin de l’année, avec un sommet prévu où les chefs d’État devraient peser les options.
Certains analystes évoquent même la possibilité que l’Europe diverge en plusieurs programmes similaires, par exemple en rejoignant ou en coopérant davantage avec le Global Combat Air Programme (GCAP), mené par le Royaume-Uni, l’Italie et le Japon, dont le calendrier est un peu plus avancé.
Une autre alternative serait de concentrer les efforts européens sur des éléments du système comme le Combat Cloud ou les drones autonomes tout en ralentissant l’ambition du NGF, scenario que quelques responsables ont envisagé si les obstacles politiques persistent.
Regards croisés sur la défense européenne
L’évolution du SCAF reflète un débat plus large sur la capacité de l’Europe à mener des programmes de défense ambitieux en coopération. Les divergences politiques et industrielles mettent en lumière des questions de souveraineté, d’équité industrielle et de vision stratégique. Ainsi, l’évolution du SCAF sera un indicateur clé de la maturité de l’Europe en matière de défense autonome au cours des prochaines décennies.
Sources
Breaking Defense, France, Spain reassert faith in Europe’s next-gen future fighter, but Germany stays mum.
Reuters, Germany, France, Spain move to end deadlock in fighter jet dispute.
Reuters, Powerful German union calls for Dassault’s expulsion from fighter jet programme.
Wikipedia, Système de combat aérien du futur (SCAF).
Wikipedia, Future Combat Air System (FCAS).
Valeurs Actuelles, La France et l’Allemagne pourraient abandonner leur projet d’avion de chasse du futur au profit d’un cloud de combat.
Retrouvez les informations sur le vol en avion de chasse.