L’arrivée des premiers F-16 danois marque un tournant pour la Fuerza Aérea Argentina, entre modernisation urgente, dépendance au soutien américain et défis budgétaires.
En résumé
L’Argentine vient de recevoir ses six premiers F-16 Fighting Falcon rachetés au Danemark, lors d’une cérémonie organisée le 6 décembre 2025 sur la base de Río Cuarto. Le président Javier Milei les a présentés comme des « anges gardiens » chargés de protéger l’espace aérien national, actant le retour des avions de chasse supersoniques dans la Fuerza Aérea Argentina après une décennie de vide capacitaire. L’accord global porte sur 24 F-16 danois modernisés, pour un budget de 300 millions de dollars environ pour les seuls appareils, complété par des paquets américains d’armement, de soutien logistique et de modernisation pouvant dépasser 900 millions de dollars supplémentaires. Derrière l’image politique et les formules fortes, ce programme de modernisation de la défense aérienne implique un effort massif de formation des pilotes, d’adaptation des bases, de montée en compétence des techniciens et de financement durable du maintien en condition opérationnelle. Il repositionne l’Argentine face à ses voisins équipés de F-16 ou de Gripen, tout en renforçant son soutien militaire américain, mais il ouvre aussi un débat interne sur les priorités budgétaires et la capacité du pays à assumer sur le long terme le coût de ces avions de chasse.
La présentation des F-16 à Río Cuarto comme symbole politique fort
La cérémonie de Río Cuarto a été pensée comme un moment fondateur pour le pouvoir de Javier Milei. Devant les premiers F-16 alignés sur le tarmac, le président a décrit ces avions comme des « anges gardiens » de l’espace aérien argentin, insistant sur la rupture avec des décennies de sous-investissement militaire.
Les six appareils sont arrivés en Argentine le 5 décembre 2025, après un convoyage depuis la base danoise de Skrydstrup, avec des escales en Espagne, aux Canaries puis au Brésil, sous escorte de ravitailleurs américains KC-135. Ils ont été officiellement présentés au public et aux autorités le lendemain, sur l’Área Material Río Cuarto, dans la province de Córdoba.
Cette arrivée met fin à une période de près de dix ans sans véritable avion de chasse supersonique dans la Fuerza Aérea Argentina, depuis le retrait des Mirage III et V en 2015. L’armée de l’air ne disposait plus que de A-4AR Fightinghawk modernisés et de biréacteurs d’entraînement IA-63 Pampa, adaptés à l’appui rapproché et à la formation, mais insuffisants pour la police du ciel à haute altitude ou la dissuasion régionale. Le discours officiel insiste donc sur un « retour dans le club » des forces aériennes dotées d’une capacité d’interception crédible.
Au-delà de l’image, cette mise en service publique envoie aussi un message vers l’extérieur : l’Argentine affiche sa volonté de redevenir un acteur militaire régional sérieux, capable de surveiller ses frontières, ses approches maritimes et l’Atlantique Sud, dans un contexte de tensions récurrentes avec le Royaume-Uni autour des Malvinas/Falklands.
Le contenu du contrat et le coût réel de la modernisation
Les 24 F-16 danois et la facture de base
Le cœur du programme repose sur l’achat de 24 F-16 danois d’occasion, dans des versions F-16AM/BM MLU (Mid-Life Upgrade) Block 15. L’accord signé en avril 2024 porte sur un montant d’environ budget de 300 millions de dollars, présenté par Buenos Aires comme la plus importante acquisition militaire depuis un demi-siècle.
Les appareils ont été exploités par la Royal Danish Air Force pendant plusieurs décennies, mais ont bénéficié du programme MLU, qui leur a apporté une avionique modernisée, un radar amélioré, une compatibilité avec des armements récents et une prolongation de leur durée de vie structurelle. À Rio Cuarto, la première tranche comprend quatre biplaces F-16BM, utiles pour la conversion opérationnelle, et deux monoplaces F-16AM destinés aux missions de combat.
Le calendrier de livraison prévoit quatre lots de six avions. Après cette première arrivée de fin 2025, trois autres tranches doivent suivre d’ici 2027–2028, selon un rythme d’une livraison par an, pour atteindre la dotation complète de 24 appareils.
Ce volume reste modeste à l’échelle régionale, mais il est cohérent avec la taille de la flotte actuelle et avec les capacités financières du pays. Il suffit néanmoins à constituer un noyau de défense aérienne crédible, capable de maintenir en permanence quelques avions de chasse F-16 armés en alerte et de déployer des détachements temporaires sur d’autres bases.
Les paquets américains d’armement, de soutien et de formation
Le contrat danois ne représente qu’une partie de l’addition. Comme les F-16 sont des avions conçus et exportés par les États-Unis, la transaction a nécessité l’aval de Washington et s’inscrit dans un ensemble plus large de soutien militaire américain.
En octobre 2024, le Département d’État a approuvé un paquet FMS (Foreign Military Sales) pouvant atteindre 941 millions de dollars, destiné à équiper et soutenir les F-16 argentins. Ce volet comprend des armements air-air, des équipements de communication sécurisés, des simulateurs, de la logistique, du soutien technique et de la formation.
Parallèlement, Lockheed Martin a obtenu un contrat d’environ 266 millions de dollars pour accompagner le transfert des F-16 danois vers l’Argentine et fournir des prestations de modernisation et de soutien logiciel. Le groupe danois Terma a également signé en 2025 un accord spécifique avec le ministère de la Défense argentin pour la modernisation de certains systèmes (guerre électronique, pylônes d’armement, pods) et l’appui à la mise en service opérationnelle.
Au total, si l’on additionne l’achat des avions, les équipements, la formation, la logistique et le soutien industriel, l’effort financier global pourrait approcher, voire dépasser, 1,5 milliard de dollars sur plusieurs années. Pour une économie argentine régulièrement confrontée aux crises de change et à l’inflation, cette charge suppose une volonté politique forte et durable, au-delà du seul mandat de Javier Milei.

La transformation de la Fuerza Aérea Argentina et la formation des équipages
L’arrivée des F-16 impose une transformation profonde de la Fuerza Aérea Argentina. La culture de l’avion delta et de la maintenance des Mirage laisse place à un avion de chasse F-16 multirôle, capable à la fois d’interception, de police du ciel, d’appui au sol et éventuellement de frappe maritime, selon les armements qui seront effectivement acquis.
Sur le plan humain, la priorité va à la formation des pilotes. Les biplaces F-16BM permettront de convertir progressivement une première génération de pilotes issus des escadrons A-4AR et Pampa. La chaîne de formation devra intégrer davantage de simulation, avec des simulateurs de vol haute fidélité, afin de réduire les coûts d’heures de vol et de sécuriser la montée en puissance.
Les équipages devront s’approprier des concepts d’emploi modernes : liaison de données tactique, combat en réseau, exploitation fine du radar et des systèmes de guerre électronique, travail en patrouilles coordonnées plutôt qu’en paires isolées. L’objectif affiché par Buenos Aires est de reconstruire une capacité d’interception supersonique crédible, capable d’identifier et, si nécessaire, de neutraliser des intrusions d’aéronefs militaires ou civils sur de longues distances.
Pour les mécaniciens et les techniciens, l’enjeu est tout aussi lourd. Le F-16 est un avion complexe, qui exige une chaîne de soutien organisée, des stocks de pièces, des procédures de maintenance rigoureuses et une discipline logistique stricte. Les accords avec Lockheed Martin et Terma doivent aider à transférer ces compétences, mais ils impliquent aussi une dépendance technologique envers des fournisseurs étrangers. La question de la localisation d’une partie du soutien en Argentine, voire de la participation de l’industrie locale aux travaux de maintenance lourde, sera centrale à moyen terme.
L’intégration opérationnelle dans les bases argentines
Les rôles respectifs de Río Cuarto et de Tandil
À court terme, les F-16 sont basés sur Río Cuarto, où les infrastructures de réception, d’atelier et de formation ont été renforcées. La base sert de hub de transition, le temps de former les premiers équipages, d’ajuster les procédures et de stabiliser la logistique.
Selon les informations publiées par l’ambassade des États-Unis, les appareils doivent ensuite rejoindre leur base permanente à Tandil, historiquement cœur de la chasse argentine, une fois les travaux d’infrastructure terminés et le personnel pleinement qualifié. Ce schéma permet de tirer parti de l’expérience accumulée à Tandil tout en limitant les risques pendant la phase initiale de intégration opérationnelle.
L’articulation entre les deux sites permettra de déployer une posture de défense aérienne plus souple. Tandil assurera l’alerte permanente et les missions d’interception, tandis que Río Cuarto conservera un rôle d’appui technique, de maintenance et de formation. Des détachements temporaires pourront compléter la couverture du territoire, notamment vers le sud et l’Atlantique.
Les missions prioritaires assignées aux F-16
Les F-16 reprendront d’abord le rôle de police du ciel, avec des patrouilles armées prêtes à décoller en quelques minutes, capables d’intercepter des aéronefs à haute altitude et grande vitesse, ce que ne permettaient plus les appareils précédents.
À moyen terme, une fois les pilotes formés et les stocks d’armement constitués, les F-16 pourraient aussi être employés pour l’attaque au sol et l’appui aérien rapproché, notamment dans des scénarios de lutte contre des menaces irrégulières ou pour protéger des infrastructures critiques. La capacité de frappe maritime reste un point d’interrogation, dépendant de l’acquisition éventuelle de missiles antinavires modernes compatibles avec l’avion.
Enfin, l’interopérabilité avec les États-Unis et certains alliés de l’OTAN est clairement mise en avant par Washington. Les standards de communication, les procédures et le type d’appareils faciliteront une participation argentine à des exercices multinationaux, renforçant l’intégration politico-militaire de Buenos Aires dans le camp occidental.
Les enjeux stratégiques régionaux et les choix d’alignement
L’acquisition des F-16 s’inscrit dans un contexte régional très concurrentiel. Le Chili dispose déjà d’une flotte de F-16 modernisés, le Brésil introduit le Gripen E, et plusieurs pays voisins modernisent leurs moyens de surveillance aérienne. Sans une flotte d’avions de chasse crédibles, l’Argentine risquait de se retrouver durablement marginalisée et dépendante de ses partenaires pour la protection de son espace aérien.
En choisissant le F-16, Buenos Aires renonce de facto à d’autres options qui avaient été évoquées par le passé, comme des chasseurs chinois ou russes. Le signal envoyé est clair : l’Argentine se rapproche stratégiquement des États-Unis et de leurs alliés européens, Danemark en tête, en échange d’un accès à des technologies éprouvées, à un vaste écosystème de soutien et à des financements structurés via les mécanismes FMS.
Cette orientation n’est pas neutre sur le plan politique. Elle renforce l’influence américaine dans la définition des capacités militaires argentines et réduit la marge de manœuvre pour des partenariats alternatifs. À l’inverse, elle offre une certaine assurance en matière de disponibilité de pièces, d’accès aux mises à jour logicielles et de participation à des programmes de modernisation futurs, tant que la relation politique reste stable.
Dans l’Atlantique Sud, le renforcement de la chasse argentine ne remet pas en cause la supériorité britannique autour des Malvinas/Falklands, mais il complique un peu la planification d’un éventuel conflit et accroît le coût potentiel d’une escalade. La simple existence d’une flotte de F-16 capables d’employer des missiles air-air modernes pèse déjà sur les calculs des acteurs régionaux.
Les défis financiers et capacitaires des prochaines années
Si la réception des premiers F-16 a une forte portée symbolique, la véritable bataille se jouera sur la durée. Un avion de chasse moderne est coûteux à exploiter : carburant, pièces, maintenance lourde, rotation des moteurs, mise à jour des logiciels, formation continue des équipages. Les programmes similaires menés ailleurs montrent que le coût d’exploitation annuel peut dépasser plusieurs dizaines de milliers de dollars par heure de vol, même avec des avions d’occasion.
Pour que ces F-16 ne se transforment pas en flotte « vitrines » clouée au sol faute de crédits, l’Argentine devra garantir des budgets de fonctionnement stables, sur une décennie au moins. Cela suppose d’isoler autant que possible les dépenses de défense des soubresauts macroéconomiques, et d’accepter qu’une part significative de ces budgets soit captée par un nombre réduit de capacités à haute valeur ajoutée.
Sur le plan capacitaire, l’enjeu sera de ne pas s’arrêter à l’achat de cellules, mais de bâtir un système complet : radars terrestres modernisés, défense aérienne sol-air, réseau de commandement et contrôle, moyens de ravitaillement en vol, coopération avec les autres armées. Sans cet environnement, les F-16 resteront performants au niveau tactique, mais sous-employés au niveau stratégique.
Enfin, l’intégration de l’industrie locale dans la chaîne de soutien, même à un niveau modeste (maintenance de composants, fabrication de pièces, participation à des centres régionaux de MCO), pourrait réduire les coûts à long terme et créer un minimum d’autonomie. À défaut, la dépendance à des prestataires étrangers restera forte, et chaque crise budgétaire se traduira par une baisse de disponibilité des avions.
La réception de ces premiers F-16 Fighting Falcon ne clôt donc pas un dossier ; elle en ouvre plusieurs, qui vont des choix d’alignement géopolitique aux arbitrages budgétaires, en passant par l’architecture future de la défense aérienne argentine. La manière dont Buenos Aires gérera ces questions dans les cinq à dix prochaines années dira si ces « anges gardiens » resteront un symbole ponctuel ou deviendront réellement la colonne vertébrale durable de la supériorité aérienne régionale.
Sources :
– Reuters, dépêche du 16 avril 2024 sur l’accord pour 24 F-16 danois
– Argentina’s Ministry of Defence / Danish Ministry of Defence, communiqués sur la vente de F-16
– France 24, Buenos Aires Times, articles de décembre 2025 sur la cérémonie de Río Cuarto
– AeroTime, FlightGlobal, documents FMS sur le paquet américain de 941 millions de dollars
– Lockheed Martin, Terma, communiqués 2024–2025 sur les contrats de soutien et de modernisation des F-16 argentins