Des Mirage 2000 et 4000 au Rafale, les Commandes de vol électriques ont permis de passer d’avions stables à des chasseurs volontairement instables, plus agiles et plus sûrs.

En résumé

L’introduction des Commandes de vol électriques (CDVE) a profondément transformé la conception des avions de chasse français. Avec le Mirage 2000, Dassault fait le choix d’une cellule à instabilité aérodynamique en tangage, rendue possible par un pilotage entièrement assisté par ordinateur. Le chasseur devient capable de vol en instabilité naturelle et d’atteindre des efforts de vol à +9 g tout en restant pilotable et sûr. Le Mirage 4000 sert ensuite de laboratoire volant : biréacteur, doté de canards actifs et de CDVE sur trois axes, il valide les architectures qui seront reprises sur le Rafale. Ce dernier pousse la logique à son terme avec une quadruple redondance numérique complétée par une chaîne analogique de secours, et une intégration intime entre commandes de vol et système d’armes. Les lois de pilotage ne se contentent plus de stabiliser l’avion : elles protègent automatiquement le domaine de vol protégé, gèrent les appontages, atténuent les turbulences et optimisent l’efficacité tactique. L’innovation n’est donc pas seulement électronique, elle est doctrinale : elle modifie la façon de concevoir le chasseur et le rôle du pilote.

La révolution des commandes de vol électriques

Les CDVE remplacent les liaisons mécaniques traditionnelles entre le manche et les gouvernes par des signaux électroniques traités par des calculateurs. Le pilote commande une intention de mouvement, pas directement une déflexion de surface. Les capteurs (vitesse, altitude, incidence, accélérations) alimentent les ordinateurs, qui calculent en temps réel la meilleure combinaison de gouvernes pour obtenir la réponse voulue.

Cette architecture ouvre la voie à une idée autrefois impossible sur un avion de combat : concevoir une cellule intrinsèquement instable pour en tirer des gains de performance. En reculant légèrement le centre de gravité vers ou au-delà du foyer aérodynamique, on réduit le moment de rappel de la voilure. L’avion devient plus « nerveux » en tangage, donc plus agile, mais il est aussi incapable de voler sans assistance permanente. Les CDVE assurent cette stabilisation active en permanence, plusieurs dizaines de fois par seconde.

Le Mirage 2000, premier chasseur français instable

Une aile delta et un centrage volontairement reculé

Le Mirage 2000 marque le retour de la grande aile delta dans la chasse française, mais avec une philosophie radicalement nouvelle par rapport au Mirage III. Il dispose d’une surface alaire accrue, d’un profil optimisé pour les hautes incidences et surtout d’un réglage de centrage qui lui confère une marge de stabilité statique réduite, voire négative en tangage.

Concrètement, cela signifie que si l’on « coupait » les CDVE, l’avion aurait tendance à amplifier spontanément les perturbations en tangage. Le nez monterait ou baisserait sans rappel suffisant, jusqu’à sortir du domaine de vol. Cette instabilité aérodynamique est assumée pour exploiter mieux l’aile delta : à haute incidence, le vortex en bord d’attaque génère une portance élevée, utile en combat rapproché, tant que les lois de pilotage maintiennent l’avion dans une zone sûre.

Des lois de pilotage centrées sur le facteur de charge

Les CDVE du Mirage 2000 reposent sur des lois de pilotage « g-commandées » : au manche, le pilote commande prioritairement un facteur de charge plutôt qu’un simple angle de profondeur. Le calculateur traduit la demande en déflexions optimales des gouvernes et des becs de bord d’attaque sur toute l’enveloppe de vol.

Résultat : l’avion peut exploiter pleinement sa structure dimensionnée pour des efforts élevés (jusqu’à environ +9 g) tout en respectant automatiquement certaines limites en incidence et en facteur de charge. En pratique, le pilote tire « à fond » au manche sans craindre de surcharger la cellule ou de dépasser un angle d’attaque critique. Cette protection est particulièrement précieuse à basse altitude, où un sur-g ou une perte de contrôle se paient très vite.

Les témoignages de pilotes confirment que le Mirage 2000, malgré son « instabilité » et sa grande aile delta, reste étonnamment docile tant que les CDVE fonctionnent : l’avion passe rapidement d’un état à l’autre, mais la machine filtre les excès de pilotage et compense une partie des erreurs.

Le Mirage 4000, laboratoire volant des CDVE

Conçu comme un biréacteur lourd, le Mirage 4000 n’a jamais trouvé de débouché opérationnel, mais il a joué un rôle décisif dans la maturation des commandes de vol de Dassault. La cellule associe une aile delta à des plans canard mobiles, contrôlés par les CDVE sur trois axes.

Les plans canard, placés en avant de l’aile, introduisent une couche supplémentaire d’instabilité mais offrent un potentiel énorme pour contrôler le tangage, ajuster la portance instantanée et optimiser la répartition des charges aérodynamiques. Sur le Mirage 4000, il s’agit de « canards actifs » : ils participent en temps réel au contrôle de l’avion, en coordination avec la voilure et la dérive, sous la supervision des calculateurs.

Ce démonstrateur permet de valider plusieurs briques techniques reprises ensuite sur le Rafale :

  • lois de pilotage multi-axes pour une cellule instable canard-delta ;
  • intégration avancée entre avionique, CDVE et gestion des charges ;
  • redondances et architectures de calcul adaptées à un chasseur de nouvelle génération.

Le Mirage 4000 démontre aussi qu’un gros biréacteur, lourdement armé, peut rester très maniable si l’instabilité est correctement exploitée. Cette leçon sera centrale pour le futur chasseur omnirôle français.

commandes de vol électrique

Le Rafale, aboutissement de la philosophie CDVE

Une cellule instable et une architecture à quadruple redondance

Le Rafale reprend la formule canard-delta, mais dans une version optimisée : voilure plus compacte, canards de grande surface, centrage encore plus reculé. L’avion est conçu dès l’origine pour être instable et incapable de voler sans assistance électronique.

Pour maîtriser cette configuration, le Rafale s’appuie sur une architecture de quadruple redondance numérique : trois chaînes numériques indépendantes, reliées par des liaisons redondantes (dont des technologies fibre optique pour certaines générations), et une chaîne analogique de secours totalement dissemblable.

Chaque chaîne numérique dispose de ses propres calculateurs, alimentés par des capteurs distincts. En cas de panne d’une voie, les autres prennent immédiatement le relais. Si l’ensemble numérique venait à être compromis, une loi de secours analogique simple permettrait de conserver un pilotage dégradé mais contrôlable. Dassault revendique plus d’un million d’heures de vol sans accident imputable aux commandes de vol sur le Rafale, ce qui donne une idée du niveau de maîtrise atteint.

Une fusion intime entre CDVE et système d’armes

La grande différence avec le Mirage 2000 ne tient pas seulement à la géométrie ou à la redondance, mais à la fusion entre CDVE et système d’armes. Sur le Rafale, les commandes de vol ne se contentent pas de stabiliser l’avion. Elles dialoguent en permanence avec l’avionique de mission, les capteurs et les calculateurs de tir.

Quelques fonctions illustrent ce degré d’intégration :

  • contrôle automatique du vecteur vitesse pour l’appontage du Rafale M : l’ordinateur maintient la trajectoire optimale et la pente d’approche, en compensant rafales de vent et mouvements du pont ;
  • protection dynamique du domaine de vol protégé : limitation automatique en facteur de charge, en incidence et en vitesse, même lors de manœuvres brutales ou en situation de stress ;
  • lois d’anti-turbulence et de réduction de charges : à très basse altitude et haute vitesse, les CDVE filtrent une partie des rafales, réduisent la fatigue de structure et améliorent le confort du pilote au moment critique de la pénétration et de la délivrance d’armement.

Le pilote ne gère plus seulement une machine, il exploite un système intégré qui optimise, en arrière-plan, la stabilité, la précision de trajectoire et la sécurité. Cela se traduit directement en efficacité tactique : temps de préparation réduit, précision accrue sur la trajectoire d’attaque, meilleure répétabilité des profils de vol.

Ce que l’instabilité contrôlée change pour le pilote et la tactique

L’instabilité aérodynamique n’a de sens que si elle apporte un avantage tangible en combat. Sur Mirage et Rafale, le gain se mesure en plusieurs points :

  • meilleure réponse en tangage et en roulis, donc capacité à générer des taux de virage élevés dans le plan vertical ;
  • réduction de la traînée de compensation en croisière, grâce à un centrage reculé, ce qui améliore rayon d’action et consommation ;
  • aptitude à voler à forte incidence, utile en combat rapproché pour pointer le nez indépendamment du vecteur vitesse.

Le revers de la médaille est une dépendance totale à l’intégrité des CDVE. Dassault a répondu par une philosophie de « pas de mode manuel » : le pilote ne reconfigure jamais l’avion pour revenir à un pilotage purement mécanique. Tout est pensé pour que la redondance, la dissimilarité des chaînes et la qualité du logiciel suffisent à maintenir un niveau de sécurité au moins équivalent, et souvent supérieur, aux avions classiques.

Sur le plan tactique, cette confiance dans le système permet aux équipages d’exploiter le chasseur au plus près de ses limites structurelles sans se censurer. Là où un pilote de génération précédente devait constamment « gérer la marge », un pilote de Mirage 2000 ou de Rafale sait que les protections et les lois de pilotage empêcheront les sorties de domaine les plus brutales. La charge mentale peut alors se reporter vers la mission : gestion de la situation tactique, emploi de l’armement, coopération avec d’autres plateformes.

Une innovation structurante pour les générations à venir

Des premières CDVE analogiques au vol en instabilité naturelle du Mirage 2000, du rôle de démonstrateur du Mirage 4000 à la maturité du Rafale, la France a construit une lignée cohérente d’avions conçus autour de leurs commandes de vol. Le futur SCAF/NGF, comme la plupart des programmes de chasseurs de 6ᵉ génération, poussera encore plus loin cette logique avec davantage d’automatisation, d’intelligence artificielle et de coopération homme-machine.

Mais l’essentiel est déjà là : l’avion de combat moderne n’est plus un « objet volant » que l’on stabilise a posteriori. C’est un système dynamique dont l’instabilité aérodynamique est choisie, contrôlée et exploitée pour gagner des marges de manœuvre, d’emport et de performance. Les Commandes de vol électriques en sont le cœur discret. Sans elles, la silhouette élégante des Mirage et du Rafale resterait un simple exercice de style. Avec elles, elle devient une arme cohérente, capable d’opérer au plus près des limites physiques sans les franchir.

Sources

– COMAERO / Académie de l’Air et de l’Espace, « Un demi-siècle d’aéronautique en France », chapitres sur les CDVE et l’instabilité, 2000.
– F. Alcalay, « Estimation de paramètres de vol avion et détection de défaillances », thèse ISAE-SUPAERO, 2018 (protections de domaine de vol).
– Fiche Dassault Aviation, « Rafale – Design and optimise » et « Rafale – Introduction », données sur la cellule instable et le système de commandes de vol.
– Fiche et documentation techniques sur le Mirage 2000 (Wikipédia FR, Mirage-jet.com, guides de vol), informations sur l’aile delta instable, les CDVE et les lois g-commandées.
– Airvectors.net, « Dassault Mirage 2000 & 4000 », description historique et technique des programmes, rôle du Mirage 4000 comme démonstrateur.
– Divers témoignages et analyses de pilotes (Portail-Aviation, interviews Mirage 2000, documents de vulgarisation technique) sur les qualités de vol et l’emploi tactique.

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