Le radar CAPTOR‑E / ECRS Mk 0/Mk 1/Mk 2 du Eurofighter marque un tournant technologique. Champ de vision, modules GaN, guerre électronique : tout est expliqué.

En résumé

Le Eurofighter Typhoon, équipé du radar CAPTOR-E (aussi appelé ECRS Mk 0/Mk 1/Mk 2 selon la version), franchit un palier majeur dans les radars de chasse grâce à deux innovations clés : une antenne AESA monté sur un pivot rotatif permettant un champ de vision de 200 degrés (contre environ 120° pour un AESA fixe), et l’intégration de modules émetteurs/récepteurs (T / R Modules) en nitrate de gallium (GaN) assurant une meilleure puissance, une bande passante élargie et une efficacité thermique accrue. Le futur ECRS Mk 2 va encore plus loin en combinant détection, suivi multi-cibles et guerre électronique offensive dans un seul système. Cette avancée repositionne le Typhoon face aux tout derniers avions de combat, alerte l’industrie européenne et redéfinit les équilibres technologiques de l’aviation militaire.

Le radar du Eurofighter : technologie et enjeux

Le Eurofighter Typhoon est un chasseur multirôle développé par un consortium européen et destiné à répondre aux missions d’air-supériorité et d’attaque coordonnées. Au cœur de sa modernisation se trouve le radar CAPTOR-E, développé par le consortium Euroradar / Leonardo et ses partenaires.
La transition majeure consiste à abandonner l’antenne à balayage mécanique (CAPTOR-M) pour une antenne à balayage électronique actif (AESA). Cette technologie permet un faisceau radar beaucoup plus rapide, une meilleure capacité de suivi de plusieurs cibles simultanées et une résistance accrue au brouillage.
L’enjeu est double : d’une part offrir à l’appareil une supériorité sensorielle dans un environnement de plus en plus contesté électromagnétiquement ; d’autre part assurer à l’industrie européenne un leadership technologique face à des concurrents américains ou russes.
D’un point de vue technique, les chiffres parlent : le document constructeur indique une portée de détection supérieure à 200 km, ainsi qu’un champ de regard de 200° grâce à la monture pivotante de l’antenne.

Radar Eurofighter Typhoon

L’antenne orientable : un champ de vision élargi

Classiquement, dans les radars AESA, l’antenne est fixée dans la structure de l’avion avec un schéma électronique de balayage, mais limitée à un champ de vision typique de ±60° en azimut (soit environ 120°). Dans ce dispositif, l’avion doit manœuvrer pour orienter le radar.
Le CAPTOR-E adopte une antenne monté sur un pivot rotatif (souvent via un mécanisme dit “gimbal” ou “swashplate”) permettant d’orienter l’antenne en azimut plus largement, tout en conservant les avantages de l’AESA. Ce choix permet d’atteindre un champ de regard d’environ 200° sans nécessité de tourner tout l’avion.
Techniquement, cela apporte :

  • Une capacité accrue à surveiller une zone plus large, utile notamment en manœuvres aériennes ou dans la chasse à longue portée.
  • Une réduction des « zones mortes » radar, où l’avion adverse pourrait se cacher.
  • Une meilleure capacité de suivi latéral (azimut) et donc un avantage en “F-Pole” dans un combat aérien.
    En comparaison, de nombreux radars AESA fixes sur des appareils modernes restent limités à un champ d’environ 120°, ce qui réduit leur couverture sans manœuvre avion.

Modules T/R GaN : puissance, bande passante et guerre électronique

Une autre innovation majeure du CAPTOR-E réside dans les modules émetteur-récepteur (T/R Modules) à base de Nitrate de Gallium (GaN). Les versions ECRS Mk 1 (et avenir Mk 2) utilisent ce type de composants.
Les avantages du GaN par rapport à l’ancien Gallium Arséniure (GaAs) sont nombreux :

  • Une densité de puissance plus élevée : ce qui permet une émission radar plus forte tout en réduisant l’encombrement.
  • Une meilleure efficacité thermique : ce qui améliore la gestion de la chaleur dans un avion de chasse.
  • Une plus large bande passante : ce qui autorise des fonctions supplémentaires comme le brouillage, la guerre électronique ou la transmission de données.
    Dans le contexte du Typhoon, cela signifie que le radar ne sert plus uniquement à détecter et suivre des cibles, mais devient une plateforme multi-fonction capable de lutter contre les systèmes adverses, de surveiller le spectre électromagnétique et d’intégrer des fonctions de guerre électronique.
    Le choix industriel et stratégique est fondamental. L’intégration du GaN marque le passage à une électronique de radar « 1ère ligne » pour les futures décennies.

Versions ECRS Mk 0, Mk 1 et Mk 2 : trajectoire et capacités

Le radar CAPTOR-E est décliné sous trois variantes principales du système appelé European Common Radar System (ECRS) : Mk 0, Mk 1, Mk 2.

  • ECRS Mk 0 est la version de base déjà en production et livrée aux clients export du Typhoon, comme le Koweït ou le Qatar.
  • ECRS Mk 1 est une version améliorée pour l’Allemagne et l’Espagne, équipée de modules T/R évolués et d’un traitement radar accru.
  • ECRS Mk 2 représente un saut technologique : il est conçu pour combiner les fonctions radar traditionnelles avec des capacités de guerre électronique offensive (EA) et de cyberattaque. Le premier vol d’essai a eu lieu fin 2024.
    Cette trajectoire illustre deux logiques : d’un côté le maintien des capacités opérationnelles immédiates (Mk 0), de l’autre la préparation d’un système de nouvelle génération (Mk 2) capable de répondre aux menaces du futur.
    En comparaison avec d’autres chasseurs modernes (par exemple le F‑35 Lightning II ou le Dassault Rafale), le Typhoon avec ECRS Mk 2 se place parmi les plus avancés dans la fusion radar/ guerre électronique.

Comparatif avec d’autres radars de chasse modernes

Pour situer l’innovation, il faut comparer à d’autres plateformes :

  • Les radars AESA fixes typiques sur beaucoup d’avions offrent de très belles performances mais restent limitées par le champ de vision fixe. Le CAPTOR-E, grâce à son antenne orientable, creuse l’écart.
  • Face au F-35, par exemple, le CAPTOR-E revendique une détection possible de certains adversaires à plus de 59 km selon des sources.
  • Le Rafale, équipé de son radar AESA RBE2, reste performant mais ne dispose pas d’antennes orientables de ce type et ne semble pas encore doté des mêmes fonctions de guerre électronique intégrées.
  • Enfin, la combinaison radar + guerre électronique de l’ECRS Mk 2 place le Typhoon potentiellement en tête en termes de flexibilité et de supériorité dans un environnement électromagnétique dense.
    Ainsi, l’innovation du CAPTOR-E ne se limite pas à un simple « update » radar : elle modifie profondément la façon dont un avion de chasse perçoit, traite, décide et agit dans le spectre radar et électronique.

Implications pour l’industrie européenne et la stratégie militaire

Cette technologie a des répercussions multiples. Sur le plan industriel, cela renforce le rôle de la filière européenne (Leonardo, Airbus, Hensoldt, Indra) dans le domaine des radars de chasse. Elle valide que l’Europe peut développer des radars de 4.5 / 5ᵉ génération.
Sur le plan stratégique, cela change la donne de la guerre aérienne et électronique. Un avion comme le Typhoon équipé de l’ECRS Mk 2 peut opérer dans des environnements anti-accès / zone d’interdiction (A2/AD) avec de meilleures chances de survie et de domination. L’intégration de fonctions de brouillage ou d’attaque électronique au sein du radar remet en cause la séparation traditionnelle entre radar et système EW.
Enfin, pour les armées utilisatrices, cela impose des considérations nouvelles : la maintenance, la chaîne d’approvisionnement, le soutien logistique, la formation des pilotes et des opérateurs radar doivent évoluer. Une technologie aussi pointue exige un investissement constant.

Les défis et limites à prendre en compte

Malgré ses atouts, le CAPTOR-E (et plus largement l’ECRS) présente des défis.
D’abord, l’intégration d’un pivot rotatif ajoute une complexité mécanique et peut poser des contraintes de fiabilité ou de maintenance dans le temps. Le système orientable doit résister aux vibrations, à l’usure, aux contraintes aéronautiques.
Ensuite, pour que les capacités « guerre électronique » deviennent pleinement opérationnelles il faut non seulement les modules, mais aussi une doctrine adaptée, un réseau de données fiable, et une synchronisation avec d’autres capteurs (infrarouge, optronique). Le simple fait d’avoir le radar ne suffit pas à être maître du spectre.
Par ailleurs, bien qu’annoncée une portée « plus de 200 km », les conditions réelles (masques terrain, contre-mesures, furtivité) peuvent grandement réduire les performances. Le chiffre reste un indicateur plutôt qu’une garantie.
Enfin, la montée en puissance de cette plateforme motive les concurrents à accélérer leur propre développement, ce qui renouvelle dès maintenant la pression technologique.

Radar Eurofighter Typhoon

Une vision pour l’avenir

Le radar CAPTOR-E / ECRS Mk systéme représente un pivot pour le Eurofighter Typhoon. À moyen terme, il pourrait permettre de prolonger sa durée de vie et renforcer son rôle dans les flottes européennes.
En parallèle, l’industrie radar européenne acquiert une crédibilité accrue, ce qui peut ouvrir des marchés export nouveaux. Les clients qui recherchent une solution haut de gamme mais non américaine peuvent se tourner vers ce système.
Sur le plan tactique, l’avion avec ce radar devient moins dépendant d’un simple tir de missile, mais évolue vers un rôle de plateforme de guerre électronique, de coordination de réseau, de « cœur » d’une architecture de combat aérien réseau-centré.
La question qui reste ouverte : comment cette technologie sera exploitée dans les flottes existantes, avec quels délais, et comment s’organisera l’entraînement et le soutien logistique associé.

À l’heure où l’espace électromagnétique et les capacités de guerre électronique prennent une place croissante dans les conflits modernes, le Eurofighter Typhoon doté de son radar CAPTOR-E / ECRS Mk 0-1-2 incarne un changement d’époque. Il ne s’agit plus seulement de « voir l’ennemi », mais de le dominer, de le surveiller, de le neutraliser et de piloter par l’information. L’Europe, avec cette initiative, se positionne comme un acteur capable de rivaliser sur le terrain des radars de chasse de nouvelle génération.

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