Face à la crise de recrutement et des coûts astronomiques, l’USAF retire plus d’avions qu’elle n’en achète. “Divest to Invest” : une stratégie à haut risque pour les soldats au sol.

En résumé

L’United States Air Force (USAF) a engagé en 2024-2025 un vaste plan de réduction d’effectifs et de désengagement d’appareils classiques, en réponse à une crise persistante de recrutement et à des coûts de maintenance en hausse. Dans ce cadre, la flotte d’Fairchild A-10 Thunderbolt II (A-10 Warthog) et plusieurs générations de F-15 et F-16 sont retirés bien plus rapidement que les nouveaux chasseurs — F-35 ou futurs avions de 6ᵉ génération — ne sont produits. Cette politique, présentée sous le slogan « Divest to Invest », mise sur des technologies de demain. Mais en sacrifiant des avions éprouvés, l’USAF pourrait bien trahir les soldats au sol qui perdent leur appui aérien — et fragiliser sa capacité réelle à opérer en guerre de haute intensité.

Le déclin quantitatif de l’USAF : un inventaire à la baisse

Depuis la fin de la Guerre froide, l’USAF n’a cessé de réduire la taille de sa flotte. Selon un rapport publié en 2025, la flotte de combat américaine compte aujourd’hui environ 2 026 chasseurs, contre plus de 4 253 à la fin des années 1980.
En 2024, l’USAF a annoncé vouloir retirer 250 appareils en un an, dont des A-10, F-15C/D, F-15E, certains F-16, ainsi que des appareils de transport, ravitailleurs et hélicoptères de soutien.
Ce plan ramène l’inventaire total sous la barre des 5 000 aéronefs, un seuil inédit dans l’histoire de l’armée de l’air américaine.
L’USAF justifie cette réduction par la volonté de moderniser la flotte, d’améliorer la qualité plutôt que la quantité, et de concentrer les ressources sur des programmes d’avenir.

A-10 Warthog

Le retrait de l’A-10 Warthog : symbole d’un virage radical

Le cas le plus emblématique de cette réduction est celui de l’A-10 Warthog. Conçu pour le soutien aérien rapproché et détrôné comme “tueur de chars”, l’appareil est en passe d’être totalement retiré. L’USAF prévoit de retirer les 162 A-10 restants dès l’année fiscale 2026, soit deux ans plus tôt que précédemment prévu.

En 2024, au moins 39 A-10 ont déjà été envoyés à la « boneyard », une mise en réserve de longue durée.
Le plan global prévoit de retirer jusqu’à 340 aéronefs de tous types (avions d’attaque, chasseurs, ravitailleurs, hélicoptères, avions de transport) d’ici la fin de la décennie.

L’argument de l’USAF : l’A-10 est « trop vulnérable » sur un champ de bataille moderne saturé de systèmes de défense aérienne avancés.
Mais l’appareil demeure apprécié des unités au sol pour son canon GAU-8/A de 30 mm, sa capacité à opérer à basse altitude et son efficacité pour le Close Air Support (CAS).

Le retrait précipité de l’A-10 — sans remplaçant direct clairement identifié — laisse planer un vide tactique important dans le soutien aux troupes terrestres.

Une crise de personnel et de disponibilité qui s’aggrave

À cette réduction de flotte s’ajoute un problème humain majeur. L’USAF souffre depuis des années d’une pénurie de pilotes, estimée à environ 2 000 postes vacants, dont plus de la moitié dans les unités de chasse.
La formation d’un pilote de combat prend des années. Réduire le nombre d’avions sans assurer un remplacement proportionné en pilotes revient à diminuer la profondeur stratégique de l’armée de l’air.
En parallèle, le rythme des heures de vol diminue, ce qui affecte la compétence opérationnelle des équipages, affaiblit la familiarité avec les appareils et compromet la capacité à mener des missions complexes.

Le retrait des A-10 et des F-15/E, combiné à un faible taux d’acquisition de nouveaux appareils (moins de 60 chasseurs par an contre un objectif initial de 72), creuse un écart critique dans la capacité de l’USAF à maintenir une force prête.

“Divest to Invest” : vendre pour financer l’avenir, un pari sur l’avenir

La stratégie adoptée par l’USAF est souvent qualifiée de “Divest to Invest” : vendre ou retirer les anciens avions pour réorienter les ressources vers de nouveaux programmes — drones, avions furtifs de 6ᵉ génération, guerre électronique, capacités spatiales, etc.

Dans le plan 2026, l’USAF a réduit les achats de F-35 et augmenté ceux destinés à d’autres technologies émergentes, comme les drones de combat autonomes ou les futurs avions de supériorité aérienne.
Les responsables affirment que cette modernisation est nécessaire pour affronter des adversaires de niveau comparable, dotés d’arsenaux sophistiqués, de défenses aériennes modernes et de capacités à contester l’air et l’espace.

Mais ce pari repose sur l’hypothèse que ces technologies futures seront livrées à temps, fonctionneront comme prévu et pourront remplacer les capacités concrètes aujourd’hui apportées par des avions éprouvés, robustes, polyvalents — comme l’A-10.

Les risques d’un trou capacitaire pour les troupes au sol

Retirer des A-10, c’est enlever l’un des piliers du support aérien rapproché (CAS). Plusieurs experts arment que l’USAF risque de trahir les soldats au sol, qui dépendaient de cet appui pour neutraliser blindés, fortifications ou positions ennemies en contact direct.

Sans un remplaçant crédible tourné vers le CAS — que ce soit un avion, un drone ou une configuration capable de s’engager dans un environnement contesté — ces unités devraient se débrouiller autrement ou s’en remettre à des alliés, ce qui fragilise la cohérence tactique.

De plus, réduire le nombre d’avions et d’équipages diminue la profondeur stratégique : en cas de guerre prolongée ou de pertes élevées, l’USAF pourrait manquer de moyens pour renouveler ses forces, alors qu’il faudra plusieurs années pour former de nouveaux pilotes et produire de nouveaux appareils.

Certains retours d’expérience récents — conflits asymétriques, guerres de haute intensité, menaces anti-accès/zone-interdite (A2/AD) — montrent que la polyvalence, la robustesse et la disponibilité rapide d’appareils simples et spécialisés restent cruciales. En les sacrifiant, l’Air Force mise gros sur un avenir incertain.

Les arguments de l’USAF : un avenir différent, une force agile

Du côté des dirigeants de l’USAF, la réduction n’est pas une reculade mais une adaptation. Ils arguent que le monde a changé : les guerres ne seront plus celles de l’Irak ou de l’Afghanistan, mais des conflits de haute intensité contre des adversaires technologiquement avancés. Dans ce contexte, la qualité, la furtivité, la connectivité et l’électronique avancée pèsent plus que le nombre brut d’avions.

Ils soutiennent que le maintien d’une flotte nombreuse et coûteuse en maintenance affaiblit financièrement les marges pour l’innovation. Le désengagement permettrait de libérer des milliards pour le développement d’armes hypersoniques, de drones autonomes, de capacités spatiales ou cyber.

Enfin, l’USAF mise sur une force plus “agile”, capable de se réinventer, de s’intégrer à des coalitions, de miser sur des technologies distribuées plutôt que sur une force de frappe massive traditionnelle.

F-35 USA

Un pari incertain : quand la modernité coûte cher

La stratégie “plus petit, plus moderne” repose sur des hypothèses lourdes. Premièrement, que les programmes futurs seront livrés dans les délais et sans surcoût majeur. Or l’histoire récente de l’aéronautique militaire américaine montre que les retards, les surcoûts et les annulations sont fréquents.

Deuxièmement, que les besoins tactiques actuels — soutien au sol, missions de proximité, disponibilité immédiate — pourront être remplis par des systèmes encore à développer. Cela reste spéculatif.

Troisièmement, qu’en cas de conflit majeur, la réduction des effectifs ne compromettra pas la capacité à mener des opérations prolongées simultanément sur plusieurs théâtres. Avec une flotte rajeunie mais plus réduite, cet équilibre devient instable.

Changer d’échelle, de doctrine, de structure peut parfois s’imposer. Mais dans ce cas, l’USAF ne se contente pas de moderniser ; elle se dépouille. Le pari du “Divest to Invest” est aussi une forme de pari sur l’avenir — un avenir incertain, souvent éloigné des réalités tactiques des soldats au sol. Le risque est que, dans cette course à la modernité, l’armée de l’air perde ce qui fait sa puissance : la fiabilité, la disponibilité immédiate, le soutien aux troupes.

Le pari pourrait payer. Ou dévoiler un trou béant dans la posture aérienne américaine au moment où le monde pourrait basculer.

Sources

Rapport du Mitchell Institute for Aerospace Studies – “Want Combat Airpower? Then Fix the Air Force Pilot Crisis”, 2025.
Article “Air Force Plans to Divest 250 Aircraft in 2025, Shrinking Fleet to New Low” – Air & Space Forces Magazine, mars 2024.
Article “The US Air Force’s small, aging fleet is losing its edge over China” – Business Insider, septembre 2025.
Communiqué 2026 budget – plan de retrait de la flotte A-10 Warthog, US Air Force, juin 2025.
Analyse “The A-10 Warthog is starting to ‘circle the drain’” – National Security Journal, juillet 2025.
Rapport “Air Force overhauls 2026 Budget: Full A-10 retirement” – Task & Purpose, juin 2025.

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