En mai, l’ancien chef du renseignement finlandais a déclaré que lorsque son pays et la Suède rejoindront l’alliance, « la mer Baltique deviendra un lac de l’OTAN ». Les professionnels nordiques de la défense ont depuis souligné comment les deux pays fourniront à l’alliance des armes sophistiquées et des forces bien entraînées, ainsi que des itinéraires plus courts vers les points de tension potentiels et un flanc nord considérablement renforcé. 

Mais pour apprécier l’efficacité avec laquelle ils fermeront la Baltique à l’activité russe, il est important de comprendre leur longue histoire de coopération ainsi que la géographie militaire régionale. Cet héritage de coopération, entre eux ainsi qu’avec les membres actuels de l’OTAN, facilitera leur intégration rapide dans l’alliance. Toutefois, il reste du travail à faire pour permettre à l’OTAN de tirer pleinement parti de ses nouveaux membres et les grands pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni ont un rôle particulièrement crucial à jouer. Plus précisément, c’est l’approfondissement de la coopération militaire régionale, associé à une division du travail clairement définie, qui fera passer « le lac de l’OTAN » du statut de sobriquet à celui de réalité militaire. 

Histoire

La coopération militaire entre la Suède et la Finlande a une longue histoire – la Suède a fourni des armes à la Finlande lorsque celle-ci a combattu une tentative d’invasion soviétique jusqu’à l’immobilisation en 1939. Sous sa forme actuelle, la coopération a débuté modestement à la fin des années 1990, principalement dans le domaine naval. Commencée initialement comme une mesure de réduction des coûts, la coopération s’est étendue et approfondie depuis 2014, poussée par les inquiétudes croissantes face à une Russie ouvertement revancharde. Si la coopération est toujours la plus poussée entre les marines et les forces aériennes des deux pays, leurs armées se sont elles aussi entraînées plus étroitement au fil du temps, notamment lors d’exercices à grande échelle. 

Ces exercices donnent une idée de la manière dont la coopération pourrait se développer sous le parapluie de l’OTAN. Lors d’Aurora 17 – un exercice suédois impliquant plus de 19 000 soldats de Suède, de Finlande, des États-Unis et de plusieurs autres pays – les soldats finlandais se sont entraînés à défendre l’île de Gotland, stratégiquement importante. Dans l’exercice Northern Winds 19, centré sur l’armée, une brigade suédoise renforcée par un bataillon finlandais a défendu le nord de la Suède, le côté rouge étant joué par une brigade norvégienne renforcée par des troupes américaines et britanniques. Plusieurs unités suédoises et finlandaises ont effectivement été « jumelées », travaillant régulièrement avec une unité partenaire dans l’autre pays, avec laquelle elles partagent une spécialité commune ou des zones géographiques de responsabilité. Des liens étroits ont été établis entre le personnel à tous les niveaux de ces unités, ce qui facilite grandement la collaboration.

Ce qui est peut-être le plus révélateur, c’est que les forces aériennes suédoises, finlandaises et norvégiennes s’entraînent conjointement depuis plus de dix ans, participant régulièrement aux principaux exercices nationaux des forces aériennes de l’autre pays, ainsi qu’à l’organisation d’exercices multinationaux biannuels de grande envergure. En l’absence d’une adhésion formelle à une alliance, la coopération reste à un niveau d’interopérabilité mais sans aucune structure de commandement conjointe. Avec le soutien des États-Unis et du Royaume-Uni, l’OTAN peut approfondir cette coopération et l’étendre à d’autres pays de la région.

Opportunité

Les avantages de la coopération suédo-finlandaise peuvent être le plus facilement perçus dans la possibilité de mieux défendre les États baltes. Plusieurs études ont souligné le défi que représente la défense de cette région en cas d’agression russe, notamment lorsqu’il s’agit de fournir un soutien aérien et des renforts avant que les défenses aériennes à longue portée et les missiles antinavires russes puissent être supprimés. Mais en utilisant les bases suédoises, les forces aériennes de l’OTAN pourraient augmenter leur rythme opérationnel et les renforts pourraient mieux contourner les menaces les plus aiguës émanant de l’exclave de Kaliningrad. Une coordination étroite entre le Danemark, la Norvège et la Suède peut également sécuriser les approches de la mer Baltique à partir de la mer du Nord, et maintenir ouvertes les lignes de communication maritimes vers la côte ouest suédoise, en particulier le port de Göteborg. Ces deux tâches seront essentielles pour assurer le flux des renforts et des approvisionnements. 

La coopération apporterait d’autres avantages dans le domaine maritime également. Aujourd’hui, la mer Baltique est généralement considérée comme un plan d’eau contesté, la Russie disposant d’une flotte de taille modérée opérant à partir de ses bases de Kaliningrad et du golfe de Finlande. Des trois marines régionales de l’OTAN capables de mener une guerre de surface, seule la Pologne se consacre entièrement à la mer Baltique, l’Allemagne et le Danemark ayant leurs priorités réparties entre la Baltique et l’Atlantique Nord. Cependant, avec l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, il y aura un changement drastique avec l’ajout au tableau de bord d’un nombre important de navires modernes conçus pour les conditions littorales, y compris la flotte de sous-marins modernes de la Suède. Suite à leurs investissements dans des batteries modernes de missiles antinavires côtiers, la Finlande et l’Estonie seraient en mesure de fermer le golfe de Finlande aux navires hostiles. Cela aurait pour effet de diviser la flotte russe de la Baltique en deux et de stopper tout mouvement par voie d’eau entre l’exclave de Kaliningrad et le continent russe. Toute opération de surface russe majeure serait à haut risque et, dans le cas d’un débarquement amphibie russe – peut-être contre Gotland, Åland ou les îles Bornholm – le maintien d’une tête de pont temporaire serait une entreprise coûteuse et résolument mortelle.

Enfin, la Suède et la Finlande pourront également travailler ensemble pour défendre la partie européenne du Grand Nord, la zone vaste et peu peuplée située en grande partie au-dessus du 65e parallèle et couvrant des parties de la Norvège, de la Suède, de la Finlande et de la Russie. Bien qu’il puisse être perçu comme une question secondaire pour l’OTAN, le Grand Nord est d’une importance cruciale pour la Russie, car il abrite la flotte russe du Nord basée autour de Mourmansk. C’est là que se trouve une grande partie des sous-marins qui constituent la capacité de deuxième frappe de la Russie. La région est également cruciale pour la surveillance des routes arctiques des frappes aériennes et de missiles à longue portée des États-Unis, et serait le point de départ de toute tentative russe d’intercepter les renforts américains en Europe. Par conséquent, la question de savoir comment défendre le nord de la Norvège au cas où la Russie tenterait de pousser plus à l’ouest est un problème de longue date pour les planificateurs de l’OTAN. La route la plus courte et la plus facile à emprunter pour atteindre le nord de la Norvège passe par la Finlande et la Suède. Cela a créé une situation intenable, où les trois pays ont mené leur propre planification indépendante pour ce qui, en pratique, serait un seul théâtre d’opérations. L’intégration des forces suédoises et finlandaises dans les plans de l’OTAN – en se concentrant sur la géographie et le terrain plutôt que sur les frontières nationales – facilitera grandement la défense du flanc le plus septentrional de l’alliance.

Les prochaines étapes

Outre les étapes évoquées ci-dessus, la consolidation des plans de défense de l’OTAN présentera d’autres avantages à long terme. Une étape cruciale consiste à fusionner les capteurs et les systèmes au-delà des frontières nationales. Par exemple, les systèmes radar terrestres finlandais et norvégiens sont basés plus à l’est que leurs homologues suédois, tandis que la Suède, à son tour, a une bien meilleure image de la situation sur et au-dessus de la mer Baltique grâce à son emplacement et à ses capteurs aéroportés. L’intégration donnera donc à tous les pays de la région une image plus globale de la situation, tant dans les airs qu’en mer. Cette fusion a déjà commencé avec l’accord récemment annoncé entre la Finlande et l’Estonie pour intégrer leurs défenses côtières, comprenant à la fois des capteurs et des missiles antinavires basés à terre. Les forces aériennes suédoises, finlandaises et norvégiennes bénéficieraient également du rapprochement des données des capteurs finlandais et des F-35 norvégiens avec les bases aériennes et les capacités de renseignement, de reconnaissance et de surveillance suédoises, ainsi que de la combinaison des ensembles complémentaires de munitions qualifiées que les trois pays utilisent actuellement. Enfin et surtout, le renforcement des États baltes – vraisemblablement par le biais du territoire suédois – serait grandement facilité par la fusion des données des capteurs et la coordination des ressources dans les domaines maritime et aérien. 

Des défis subsistent toutefois. Les États nordiques et baltes ont des cultures stratégiques différentes et sont actuellement axés sur des directions opérationnelles différentes. Alors que la Finlande et les pays baltes se sont principalement concentrés sur leurs frontières terrestres orientales, la Suède a donné la priorité à la puissance aérienne et à l’interdiction d’un assaut amphibie. Le Danemark, quant à lui, se concentre sur le domaine maritime, en particulier l’entrée de la mer Baltique, et la Norvège sur la défense de sa ligne côtière et de ses régions les plus septentrionales. En termes de culture stratégique, les pays frontaliers de la Russie ont vivement réagi à l’annexion de la Crimée par la Russie, alors que leurs voisins, malgré des budgets de défense en hausse, ont été plus lents à agir. Enfin, tous les pays nordiques et baltes ont accordé une grande importance à leur relation bilatérale avec les États-Unis, ce qui signifie que le recentrage de leurs efforts de défense sur l’OTAN pourrait nécessiter quelques finesses diplomatiques.  

Pour aplanir ces difficultés potentielles, le leadership des États-Unis et du Royaume-Uni sera important. En termes simples, ces pays disposent de capacités clés dans plusieurs domaines – comme la reconnaissance et la surveillance avancées du renseignement, les multiplicateurs de force aériens et les grandes unités expéditionnaires – qui font défaut dans les arsenaux de la Finlande et de la Suède ainsi que d’autres alliés européens plus petits. Dans le domaine maritime, l’Allemagne est également en train de devenir un acteur majeur dans la région. Il est vital que les grandes puissances de l’OTAN agissent comme des courtiers honnêtes et soutiennent les capacités cruciales. Alors que les nouveaux membres de l’OTAN ajustent leurs plans de défense actuels, le leadership américain peut également contribuer à l’élaboration d’une stratégie régionale qui permet aux partenaires de gérer des objectifs opérationnels spécifiques et de réaffecter des ressources limitées à des missions qui ne sont peut-être pas leur priorité absolue, mais qui seront nécessaires à l’alliance dans son ensemble. La Suède, en particulier, pourrait être amenée à adapter sa structure de forces en tant que membre de l’OTAN. La Suède a passé le dernier demi-siècle à regarder la mer Baltique en prévision d’un éventuel assaut amphibie et aéroporté sur ses côtes orientales. Si les unités et les systèmes dédiés à cette menace ont encore un rôle important à jouer, l’adhésion à l’OTAN va modifier le paysage géostratégique. 

Avec une coopération et une coordination encore plus grandes, la Suède et la Finlande seront en mesure non seulement de renforcer leur propre défense, mais aussi de mieux protéger une zone qui s’étend de la pointe arctique de la Norvège à la frontière des pays baltes avec la Russie. Les flottes russes de Mourmansk, Saint-Pétersbourg et Kaliningrad seront mieux contenues, et la capacité de Moscou à menacer le flanc nord de l’OTAN sera progressivement affaiblie.

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