Un PC-12 modifié et un drone SHARCS ont mené une mission EC réussie, validant le programme allemand luWES contre les défenses sol-air ennemies.

L’Allemagne a mené en juin 2025 la première démonstration opérationnelle de guerre électromagnétique aérienne (Electronic Combat, EC) sur son territoire. Ce test a été réalisé dans le cadre du programme national luWES (Luftgestützte Wirkung im elektromagnetischen Spektrum) qui vise à doter la Bundeswehr de capacités complètes de brouillage et de neutralisation électronique. Une mission simulée d’évacuation de civils en zone hostile a été menée à bien grâce à un Pilatus PC-12, modifié pour le brouillage à distance, et un drone SHARCS chargé de perturber les communications adverses. Un avion de transport Airbus A400M a pu atterrir sans être détecté par le système de défense aérienne SA-8 simulé. Tous les flux de mission ont été traités via un réseau cloud sécurisé, avec assistance par intelligence artificielle pour l’analyse des signaux. Cette démonstration valide les choix techniques de l’Allemagne en matière de guerre électronique non-cinétique et amorce la phase industrielle du programme luWES, qui doit être pleinement opérationnel dans les années à venir.

Une mission démonstrative réussie contre un système sa-8 simulé

La démonstration s’est déroulée sur la base de Manching, en Bavière, et a impliqué une coordination étroite entre les industriels Airbus, HENSOLDT, Rohde & Schwarz, MBDA, PLATH, bKEC, IBM et Schönhofer. Le scénario reposait sur une évacuation de civils en zone de crise, protégée par un système de défense sol-air SA-8 Osa, capable de détecter des cibles à plus de 25 kilomètres et d’engager jusqu’à 12 km d’altitude.

Un PC-12, modifié avec des capteurs d’écoute et des émetteurs de brouillage, a été employé en tant que plateforme de guerre électronique à distance (stand-off jammer). Il a localisé, identifié et neutralisé le système SA-8 sans tirer de munition, en utilisant des signaux électromagnétiques pour perturber son fonctionnement. Ce type de manœuvre permet de supprimer temporairement les capacités radar et missile adverses, tout en évitant les effets collatéraux liés aux frappes cinétiques.

Une fois le brouillage établi, un A400M a pu simuler l’atterrissage et l’évacuation des civils sans être repéré ni engagé. Cette séquence démontre l’efficacité tactique d’un brouillage bien coordonné et la capacité de la Bundeswehr à mener des missions dans des environnements interdits sans recourir à la force destructrice.

Allemagne guerre electronique

Le rôle du drone sharcs et de l’infrastructure numérique

La démonstration s’est également appuyée sur un drone expérimental SHARCS (Signal High Agility Relay & Communication Suppression), opérant en tant que brouilleur d’accompagnement (stand-in jammer). Ce type de drone agit à proximité immédiate de l’ennemi pour saturer les communications ou désorganiser le commandement adverse. Grâce à sa petite taille et sa faible signature radar, le SHARCS peut s’approcher des installations sans être repéré et y appliquer des perturbations ciblées.

L’ensemble des données – détection, identification, évaluation des effets, retour de mission – a été traité via un réseau sécurisé basé sur le cloud. Des algorithmes d’intelligence artificielle ont analysé en temps réel les signaux captés pour affiner le choix des fréquences de brouillage, maximiser l’effet perturbateur et éviter l’interférence entre plateformes amies.

Cette infrastructure numérique connecte en permanence les différents éléments du dispositif : avions, drones, centres de commandement, simulateurs d’environnement électromagnétique. Elle permet une coordination tactique immédiate, réduisant le temps de réaction à quelques secondes. Cette architecture distribuée répond aux exigences d’un combat aérien moderne, saturé en signaux et hautement mobile.

La capacité à combiner plusieurs couches de guerre électronique – stand-off, stand-in, escorte – dans un cadre interconnecté constitue le cœur du concept luWES, qui s’inscrit dans les standards tactiques de l’OTAN.

Une architecture modulaire pensée pour le combat moderne

Le programme luWES, initié par le ministère allemand de la Défense, a pour objectif de mettre en œuvre une architecture modulaire permettant à la Bundeswehr de conduire des opérations électromagnétiques indépendamment de ses alliés. Ce programme repose sur trois types de plateformes complémentaires :

  • Stand-off jammers : avions à long rayon d’action équipés de systèmes de brouillage puissants opérant en périphérie des zones hostiles. Ils agissent hors de portée des défenses aériennes adverses. Le PC-12 testé en fait partie, tout comme le futur A400M EW.
  • Escort jammers : avions ou pods montés sur chasseurs, volant aux côtés des forces de frappe pour assurer une couverture immédiate. Le Typhoon-EK, une variante du Eurofighter Typhoon, sera doté du pod Kalaetron Attack développé par HENSOLDT.
  • Stand-in jammers : drones ou missiles se faufilant à l’intérieur du dispositif ennemi pour perturber de façon précise les nœuds de commandement. Des systèmes comme le SPEAR-EW de MBDA ou le SHARCS illustrent cette catégorie.

À terme, l’ensemble de ces capacités sera intégré dans une chaîne d’action numérique, avec pour objectif une couverture opérationnelle continue de l’espace électromagnétique. L’intégration de moyens de renseignement comme le Bombardier Global 6500 PEGASUS, spécialisé dans l’écoute stratégique, viendra compléter ce dispositif.

Les implications stratégiques pour la défense allemande et européenne

La réussite de cette démonstration donne à l’Allemagne un avantage significatif dans un domaine technologique jusqu’ici dominé par les États-Unis. En se dotant de solutions nationales de guerre électronique, Berlin entend renforcer son autonomie stratégique et contribuer à la montée en puissance de l’industrie européenne de défense.

La guerre électromagnétique est un secteur en forte croissance, estimé à plus de 25 milliards d’euros d’ici 2032 à l’échelle mondiale. L’Allemagne ambitionne d’y tenir un rôle majeur, à travers le développement et l’exportation de solutions modulaires, interopérables et adaptées aux contraintes budgétaires des pays européens et partenaires OTAN.

D’un point de vue militaire, la capacité à neutraliser un réseau de défense sol-air sans tir ni frappe permet des interventions plus discrètes, politiquement acceptables, notamment dans les scénarios d’évacuation, de déploiement rapide ou de gestion de crise. Le programme luWES permettrait également de compenser les lacunes de certains partenaires européens qui ne disposent pas de moyens de guerre électronique tactique embarquée.

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Les défis techniques et perspectives industrielles

Le passage à une capacité opérationnelle complète du programme luWES nécessite encore plusieurs étapes. Il faudra industrialiser les plateformes démontrées, qualifier les pods et les logiciels selon les normes OTAN, et assurer leur interopérabilité avec les autres moyens aériens (Typhoon, Eurodrone, NH90).

Les efforts de R\&D devront aussi se concentrer sur la résistance aux brouillages ennemis, la cybersécurité des architectures cloud et la durabilité des systèmes embarqués. Les essais futurs devraient intégrer des scénarios plus complexes, avec brouillage adverse actif, densité radar élevée et temps de réponse réduit.

Selon les prévisions, les premiers systèmes opérationnels devraient être livrés entre 2027 et 2030, avec un premier noyau capable d’intervention électromagnétique limité. D’ici là, la Bundeswehr continuera de s’appuyer sur des partenariats avec les industriels pour faire évoluer le design des systèmes et en accélérer la certification.

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