Le F‑15 Eagle a lancé avec précision un missile ASM‑135 ASAT pour détruire le satellite Solwind P78‑1 en orbite en 1985 lors d’un essai unique.
Une mission unique a été menée par l’US Air Force en 1985. Un F‑15A Eagle spécialement modifié a largué un missile anti‑satellite ASM‑135 ASAT depuis une altitude de 11 600 m. L’objectif visé était le satellite Solwind P78‑1, à environ 555 km d’altitude. Le pilote, le major Wilbert D. « Doug » Pearson, a exécuté une trajectoire dite zoom‑climb à Mach 1,22 et 3,8 g pour lancer le missile dans les premières phases de l’espace. L’impact a produit une collision à très grande vitesse, détruisant le satellite par « hit‑to‑kill » et générant un champ de débris suivi sur plusieurs années. Cet essai fut le seul du genre jamais réalisé à ce jour. Il révèle un croisement rare entre ingénierie aéronautique avancée, stratégie spatiale et contrôle des armements.
Le programme ASM‑135 ASAT depuis 1982
Le programme ASM‑135 ASAT a été lancé par l’US Air Force en 1982 avec un objectif opérationnel clair : intercepter des satellites en orbite basse à l’aide d’un chasseur F‑15A. Le missile devait être compatible avec un avion déjà éprouvé, afin d’éviter le développement d’une nouvelle plateforme. Vingt F‑15A ont été spécialement modifiés. Ces adaptations comprenaient l’ajout d’un pylône central pour supporter le missile, la mise à jour de l’ordinateur de mission pour gérer le tir balistique, et l’intégration d’un système de refroidissement spécifique destiné aux capteurs infrarouges du véhicule d’interception. Les essais au sol ont précédé une série de vols captifs, menés sans lancement, afin de tester la stabilité de l’ensemble en conditions réelles. Ces essais ont permis de valider la mécanique du système et le comportement en haute altitude. Le premier tir réel a eu lieu en janvier 1984, sans cible, et a permis de démontrer que le missile pouvait atteindre les couches supérieures de l’atmosphère. Cette phase de validation était indispensable avant toute tentative d’interception orbitale. Le programme se situait à la frontière entre aéronautique tactique et expérimentation spatiale, avec un niveau de complexité technique rare dans les armements de l’époque.
Le test du 13 septembre 1985 : déroulé précis
Le 13 septembre 1985, l’US Air Force a conduit un tir expérimental unique depuis un F‑15A modifié. L’appareil immatriculé 76‑0084, surnommé Celestial Eagle, était piloté par le major Wilbert D. Pearson depuis la base d’Edwards, en Californie. L’avion a effectué une montée à haute incidence, à 65 degrés, atteignant une vitesse de Mach 1,22 à environ 11 600 mètres d’altitude, tout en subissant une charge de 3,8 g. Cette manœuvre avait pour but d’atteindre la fenêtre balistique optimale pour le lancement. Le missile ASM‑135 ASAT a été largué automatiquement depuis le pylône central. Une fois les étages propulseurs séparés, le véhicule d’interception, ou MHV (Miniature Homing Vehicle), a poursuivi sa trajectoire pour intercepter le satellite Solwind P78‑1, situé à environ 555 kilomètres d’altitude. Le MHV, d’une masse de 14 kg, a percuté le satellite à une vitesse relative estimée à 6 700 m/s, provoquant sa désintégration complète. Ce tir constitue à ce jour la seule destruction réussie d’un satellite orbital depuis un avion de chasse en vol. Il représente un jalon technique dans l’histoire des capacités antisatellites des États-Unis, avec une précision et une coordination rarement égalées depuis.
Aspects techniques du missile ASM‑135
Le missile ASM‑135 ASAT reposait sur une architecture à deux étages, conçue pour atteindre des cibles en orbite basse depuis un avion tactique. Le premier étage utilisait un moteur dérivé du missile AGM‑69 SRAM, modifié pour fournir la poussée initiale à haute altitude. Le deuxième étage, motorisé par un propulseur Altair 3, assurait la montée vers l’exoatmosphère et la mise en vitesse du véhicule d’interception. Ce dernier, appelé MHV (Miniature Homing Vehicle), pesait environ 14 kilogrammes et était équipé d’un capteur infrarouge passif, refroidi à l’hélium liquide. Ce système de détection était monté à l’intérieur de l’avion, à la place du canon Vulcan M61A1, et maintenu à température cryogénique jusqu’à la séparation.
Après la libération du MHV, celui‑ci entamait une rotation stabilisatrice rapide. Il disposait de 56 micropropulseurs, alimentés en gaz comprimé, qui lui permettaient de corriger finement sa trajectoire pendant les dernières secondes de vol. La méthode d’interception reposait sur un impact cinétique direct, sans ogive. Le principe du « hit‑to‑kill » impliquait une collision à très haute vitesse avec la cible pour la détruire. Le tir de 1985 reste le seul succès documenté d’un missile air‑air ayant neutralisé un objet spatial par cette méthode.
Débris spatiaux et conséquences pour la recherche
L’interception du satellite Solwind P78‑1 par le missile ASM‑135 a entraîné la création d’environ 285 débris orbitaux identifiés par les systèmes de suivi. Ces fragments se sont dispersés à des altitudes comprises entre 400 et 600 kilomètres, dans une orbite similaire à celle du satellite cible. À l’époque, la NASA avait estimé que certains de ces débris pourraient persister en orbite jusqu’au début des années 1990, voire au‑delà, en fonction de leur masse, de leur surface projetée et de la densité atmosphérique.
La majorité des objets recensés étaient de petite taille et non réfléchissants. Ils n’ont pas été repérés par les radars traditionnels, probablement en raison de dépôts de suie ou de matériaux composites absorbants. Cette caractéristique a limité leur traçabilité à long terme. En 2004, soit près de 20 ans après le test, seuls huit débris restaient officiellement catalogués par les réseaux de surveillance spatiale.
Cet essai a alimenté les premières discussions concrètes sur les risques liés aux armes antisatellites et aux débris orbitaux persistants. Il a également contribué à la prise de conscience institutionnelle sur la nécessité de limiter les tests cinétiques dans l’espace, en raison de leurs conséquences sur les activités scientifiques et militaires en orbite basse.
Fin du programme et répercussions géopolitiques
Malgré le succès technique, le Congrès américain interrompit le programme en 1988 pour plusieurs raisons : coût excessif (estimé à plus de 3,6 milliards de dollars), risques de relance de la course aux armements spatiaux, et débats sur la conformité avec les traités du domaine spatial. Le programme resta unique. L’essai ASM‑135 illustre la capacité d’un chasseur comme le F‑15 à atteindre la défense spatiale. L’utilisation du zoom climb prouvait son rapport poussée/poids impressionnant pour atteindre une zone hors atmosphère dense. L’approche “hit‑to‑kill” exclut tout risque d’explosion nucléaire ou chimique en orbite. Toutefois, ce type d’arme génère des débris problématiques, même si ici ils furent de courte durée. Sur le plan diplomatique, l’essai envoya un message clair à l’URSS, tout en posant la question de l’extension des conflits dans l’espace — un aspect jamais résolu.
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