Budget défense 2026 à 25 Mds $ (≈ 23,5 Mds €), 20,6 % des dépenses. Analyse des raisons, de la soutenabilité et des capacités visées face au Sahel et au Maroc.

En résumé

L’Algérie valide pour 2026 un budget défense record évalué à 25 milliards de dollars (≈ 23,5 milliards d’euros), soit 20,6 % d’un budget national de 135 milliards de dollars (≈ 126,9 milliards d’euros). Cette trajectoire prolonge les hausses démarrées après 2022 : environ 18–22 Mds $ en 2023–2024, 24–25 Mds $ en 2025–2026. En toile de fond : rivalité structurelle avec le Maroc, instabilité sahélienne (Mali, Niger), besoin de renouveler des parcs hérités des années 2000 et d’accroître la défense anti-drones. La contrainte, elle, est macroéconomique : prix du Brent en baisse tendancielle vers 60–62 $/b en fin 2025 et 51–59 $/b projetés en 2026, déficit budgétaire annoncé autour de 40 Mds $. L’arbitrage politique est assumé : priorité aux forces armées. Les signaux d’acquisition (rumeurs de Su-57/Su-34, renforcement AA, drones MALE/HALE, guerre électronique) visent une supériorité régionale durable et une capacité de coercition aux frontières sud. La question n’est pas seulement “combien” mais “pour quoi” : disponibilité réelle, munitions intelligentes, MCO locale, et résilience d’approvisionnement sous sanctions. Les décisions de 2026 structureront dix ans d’effets militaires ; sans rigueur sur la maintenance et l’entraînement, l’addition ne livrera pas toute la valeur opérationnelle attendue.

Algérie: 25 Mds $ pour l’armée en 2026, vers l’escalade régionale ?

Le budget et sa trajectoire : une montée continue et assumée

Le projet de finances 2026 place la défense au premier rang des postes, devant les Finances : 20,6 % contre 20,3 %. En niveau, 25 Mds $ (≈ 23,5 Mds €) prolongent la marche engagée depuis 2022 : ~18–22 Mds $ en 2023–2024, 24 Mds $ en 2025, palier à 25 Mds $ en 2026. Rapporté à une population d’environ 47,4 millions d’habitants, l’effort représente ~525 € par personne et par an (conversion 1 $ = 0,94 €), nettement supérieur à la moyenne continentale. Sur dix ans, une enveloppe stable à 25 Mds $ porte 250 Mds $ cumulés (≈ 235 Mds €), soit la masse financière d’un renouvellement majeur multi-domaines (air, terre, mer, cyber). Le signal est clair : l’armée est centrale dans la politique publique. Cette hiérarchie se reflète aussi dans la part du budget dédiée aux investissements lourds (plateformes, munitions guidées, radars) et aux dépenses de personnel nécessaires pour tenir la montée en puissance (techniciens, spécialistes SIGINT/EW, instructeurs). L’Algérie reste premier dépensier militaire en Afrique, avec une part du budget de l’État autour de 21 % en 2024 selon les séries internationales, tendance prolongée en 2025–2026. À noter : la trajectoire n’est pas linéaire au dollar près (variations de change, reclassements budgétaires), mais l’inflexion reste fortement haussière par rapport aux moyennes 2010–2020 (8–11 Mds $). D’un point de vue de soutenabilité, l’État parie sur une base fiscale et parafiscale soutenue par les hydrocarbures et des arbitrages intrabudgétaires en faveur du régalien. Message stratégique : sanctuarisation.

La soutenabilité macroéconomique : pétrole, déficit et tempo d’investissements

L’Algérie finance historiquement ses dépenses par la rente énergétique. Or le Brent glisse depuis mi-2025 vers la zone 62–66 $/baril, avec des projections 2026 autour de 51–59 $/b selon les agences (moyenne annuelle) : mécaniquement, la recette export baisse à politique constante. Converti en euros, 62 $/b équivaut à ~58 €/b (à 0,94), 51 $/b à ~48 €/b. Dans le même temps, le gouvernement évoque un déficit d’environ 40 Mds $ (≈ 37,6 Mds €), ce qui force une hiérarchisation des investissements. Trois leviers existent pour rendre tenable un cap à 25 Mds $ : étaler les programmes d’armement (livraisons phasées), maximiser la MCO locale (réparations et pièces “chez soi”), et comprimer le coût à l’heure de vol via simulateurs/maintenance prédictive. Côté carburant, une armée qui vole beaucoup encaisse la volatilité : 1 € de plus sur le kérosène militaire se répercute immédiatement. Les arbitrages réalistes : prioriser les capteurs (radars, ISR, guerre électronique) et les munitions intelligentes à effet démultiplicateur, puis phaser les plateformes lourdes. Sur le plan budgétaire, la défense absorbe “un dinar sur cinq” ; ce ratio a des limites politiques si la croissance réelle faiblit. À court terme, la soutenabilité passe par des contrats assortis d’offsets industriels (sous-ensembles, MRO moteur/avionique), condition pour lisser la devise sortante et créer de l’emploi qualifié. À moyen terme, le risque majeur est la dépendance à un fournisseur unique sous sanctions : tout étau logistique se paie en disponibilité et en surcoûts. Une stratégie multi-sources (capteurs européens, drones turcs/chinois, systèmes russes) réduit le risque mais complique l’intégration C2.

La posture stratégique : Sahel, rivalité marocaine et effet de masse

La doctrine algérienne se structure autour de trois axes : verrou des frontières sud, parades à la pression marocaine à l’ouest, et profondeur stratégique méditerranéenne. Au sud, l’instabilité du Sahel (coup d’État, reconfiguration des présences étrangères, groupes armés) génère des flux d’armes, de munitions et de drones. Le besoin prioritaire est ISR : drones MALE/HALE, avions légers de surveillance, radars de veille terrestre, relais COM. Un budget à 25 Mds $ autorise le couplage capteurs-tireurs : surveiller (EO/IR, SAR-GMTI), identifier, frapper une troupe motorisée avec des munitions guidées (roquettes laser 70 mm, bombes à kit GNSS/INS) sans user les flottes de première ligne. À l’ouest, la compétition capacitaire avec le Maroc impulse une dynamique de rattrapage et de surenchère : défense aérienne multicouche, guerre électronique, munitions de précision longue portée (air-sol ou croisière), et lutte anti-drones. L’objectif est double : dissuasion par le coût infligé en cas d’incident, et liberté d’action sur son propre espace aérien. En Méditerranée, l’accent porte sur la surveillance maritime (ZEE, trafics) et la protection d’infrastructures critiques (pipelines, bases). Dans cette logique, les achats “vitrines” (chasseur furtif, bombardier tactique) ont moins de valeur que l’empilement de couches : radars VHF/UHF, systèmes à moyenne portée, guerre électronique offensive/défensive, drones de reconnaissance armés, hélicoptères d’attaque en parc suffisant. La clé n’est pas l’avion “hors norme”, mais la cohérence d’ensemble : détection, décision, tir, recomplètement munitions, et MCO qui tient. Les chiffres 2026 indiquent que l’Algérie a choisi d’investir ce “système de systèmes” plutôt que de rester sur un cœur mécanique vieillissant.

Les achats probables : avions, DCA, drones et munitions de précision

Des signaux convergents évoquent l’intérêt pour des Su-57 et Su-34 russes ; plusieurs fuites non vérifiées parlent de 12 Su-57 et 14 Su-34. Prudence : aucune annonce contractuelle publique consolidée. Si ces acquisitions se confirment, elles impliquent des chaînes logistiques distinctes : moteurs (AL-41/Izdeliye 30), radars AESA/pha-num, OBOGS, logiciels mission, armements (R-77-1, Kh-59/31, KAB guidées). Le coût total ne réside pas dans l’étiquette unitaire mais dans les lots initiaux (simulateurs, stocks de pièces, bancs, moyens de test), les infrastructures (abris, moyens d’environnement), et la formation. En parallèle, la défense aérienne intégrée restera une priorité : couches SHORAD/VSHORAD anti-drones, moyenne portée modernisée, radars basse fréquence pour détecter les faibles SER, et suites EW. Côté drones, l’Algérie a déjà exploré des solutions diverses ; le palier 2026 autorise l’industrialisation locale d’assemblage et la montée en dotation (stations, liaisons, pods SIGINT). Les munitions guideront l’effet : roquettes guidées (coût au tir très inférieur à un missile), bombes à kit GPS/INS, munitions rôdeuses à emploi terrestre ou aérien. L’arbitrage optimal : renforcer l’heure de vol utile (simulateurs haut niveau), prioriser capteurs/missiles sol-air et munitions intelligentes, puis phaser les plateformes les plus coûteuses. Sans quoi, la masse de plateformes coûteuses mais peu disponibles dégrade l’effet réel. Bref : acheter des effets avant d’acheter des silhouettes.

Algérie: 25 Mds $ pour l’armée en 2026, vers l’escalade régionale ?

L’industrie et la disponibilité : MCO locale et risque sanctions

Le choix budgétaire 2026 a une contrepartie : éviter la dépendance à une chaîne d’approvisionnement étrangère sous tension. Deux impératifs : localiser une part de la maintenance (cellule, moteurs, avionique “ligne”) et sécuriser les flux critiques (pièces chaudes, électroniques, capteurs). Concrètement, il faut des contrats de performance : disponibilité garantie (ex. ≥ 75 %), pénalités/facteurs d’incitation, et transfert de compétences mesurable (nombre de chantiers MRO réalisés sur sol algérien, délais moyens, MTBF). Les simulateurs de haute fidélité réduisent de 20 à 40 % certaines heures réelles, libérant du carburant et du potentiel moteur ; c’est la ligne la moins sexy mais la plus rentable. À l’échelle opérationnelle, chaque 5 points de disponibilité gagnés équivalent à “une cellule supplémentaire” par escadrille de 12 sans achat neuf. L’autre enjeu, ce sont les munitions : constituer des stocks tampons pour 60–90 jours d’intensité modérée, avec une ligne de recomplètement annualisée. L’Algérie doit aussi gérer l’interopérabilité de capteurs multi-sources (russes, européens, turcs, chinois) : formats de données, chiffrement, déconfliction EW. Faute d’architecture C2 robuste, l’empilement de matériels hétérogènes crée des angles morts. Enfin, la formation technique (EW, radars, drones) conditionne la vitesse de montée en régime. Sans techniciens qualifiés et bien payés, une flotte “moderne” reste au sol. Ce sont des dépenses récurrentes, moins visibles que l’achat d’un chasseur, mais déterminantes pour convertir 25 Mds $ en effet concret.

Ce que ce budget change vraiment sur dix ans

À enveloppe constante, l’Algérie peut : remplacer des flottes clefs (avions de combat, hélicos d’attaque), densifier sa défense aérienne, déployer une trame ISR permanente au sud, et professionnaliser la lutte anti-drones. Le critère d’évaluation sera simple : disponibilité des équipements, heures de vol utiles générées, taux de tir de munitions guidées et réactivité des chaînes logistiques. La tentation est connue : acheter des plateformes “phares” puis rogner sur la MCO. Mauvais calcul. Les forces qui dominent sont celles qui tirent, réparent vite, et reviennent sur zone avec des capteurs à jour. Ce budget peut produire cet effet-là, mais seulement si les crédits d’exploitation suivent la même pente, si les approvisionnements critiques sont sécurisés, et si la pluralité de fournisseurs reste maîtrisée par une architecture C2 exigeante. L’Algérie joue ici une carte rationnelle : convertir une rente volatile en avantage militaire durable. Le pari sera jugé à l’aune de la disponibilité réelle, pas à la longueur des communiqués.

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