La Russie perd ses MiG-29 plus vite qu’elle ne peut en produire ou en remettre en service. Attrition, budgets, limites industrielles et bascule vers la guerre des drones.
En résumé
Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie enregistre des pertes d’avions de chasse supérieures à ses capacités de remplacement, en particulier sur le MiG-29. Les destructions confirmées par sources ouvertes montrent que l’attrition dépasse largement les cadences industrielles russes, pourtant réorientées vers l’effort de guerre. Cette situation révèle des failles structurelles : stocks limités de cellules en réserve, difficultés de production, pénurie de composants critiques et arbitrages budgétaires contraints. Face à l’usure accélérée de l’aviation de combat, Moscou adapte sa posture, réduisant l’exposition de ses chasseurs et transférant une partie croissante de l’effort vers les drones et les munitions téléopérées. Ce basculement n’est pas un choix doctrinal mûri, mais une réponse contrainte à une guerre d’attrition que l’industrie aéronautique russe peine à soutenir sur la durée.

Le constat d’une attrition devenue structurelle
Les pertes aériennes russes documentées depuis 2022 dessinent une tendance claire. Selon des comptages fondés sur images et vidéos géolocalisées, la Russie a perdu plusieurs dizaines de MiG-29 détruits ou gravement endommagés. Les chiffres exacts varient selon les méthodes, mais la fourchette la plus souvent citée se situe entre 25 et 35 appareils confirmés comme hors de combat depuis le début du conflit.
Ce chiffre doit être mis en perspective. Avant la guerre, la Russie disposait d’un parc opérationnel estimé à environ 90 à 110 MiG-29, toutes versions confondues, dont une partie seulement réellement apte au combat de haute intensité. Le MiG-29 n’est plus au cœur de la doctrine russe, dominée par les Su-30, Su-34 et Su-35, mais il reste employé pour des missions de défense aérienne, d’interception et d’appui ponctuel.
La destruction d’un tiers du parc exploitable en moins de trois ans constitue un choc. Surtout, cette attrition n’est pas compensée par des livraisons neuves. Le MiG-29 n’est plus produit en série pour les forces russes. Les rares cellules assemblées concernent des commandes export ou des variantes spécifiques, sans impact direct sur les besoins opérationnels immédiats.
La limite industrielle du renouvellement russe
Contrairement à une idée répandue, la Russie ne peut pas “sortir” rapidement des avions de combat de ses chaînes de production. Le MiG-29 est un appareil conçu dans les années 1980, dont la chaîne industrielle a été largement démantelée ou reconvertie. Remettre en production une version standard nécessiterait des investissements lourds, des fournisseurs stabilisés et un calendrier incompatible avec une guerre en cours.
Moscou dispose théoriquement de cellules stockées. En pratique, leur état pose problème. Beaucoup ont été cannibalisées pour pièces, d’autres ont dépassé leur potentiel structurel, exprimé en heures de vol ou en cycles (décollages et atterrissages). Une remise en service exige des inspections lourdes, des remplacements d’éléments critiques et une certification militaire complète. Ce processus prend des mois, parfois plus d’un an par appareil.
La Russie a tenté de concentrer ses efforts sur des plateformes plus modernes, comme le Su-35S ou le Su-34M. Mais là aussi, les cadences sont limitées. Les estimations occidentales évoquent une production annuelle de 20 à 30 avions de combat toutes catégories confondues, un chiffre insuffisant pour compenser simultanément les pertes, l’usure et les besoins de montée en puissance.
Le poids des composants et des sanctions
Le renouvellement du parc ne dépend pas uniquement des chaînes d’assemblage finales. Il repose sur des centaines de sous-systèmes, dont certains intègrent des composants électroniques sensibles. Les sanctions ont fragilisé l’accès à des micro-électroniques de qualité, indispensables aux radars, calculateurs de tir et systèmes de navigation.
La Russie a développé des solutions de substitution, mais avec des performances inférieures et des taux de fiabilité variables. Cela se traduit par des avions moins disponibles, plus souvent immobilisés pour maintenance, et parfois déployés avec des capacités dégradées. Dans un contexte d’attrition élevée, chaque appareil indisponible accentue la pression sur le reste de la flotte.
Cette contrainte industrielle explique pourquoi Moscou privilégie la prolongation de cellules existantes plutôt que leur remplacement. Mais cette stratégie a une limite physique. Une cellule ne peut pas être prolongée indéfiniment sans compromettre la sécurité et les performances.
Le coût budgétaire d’une aviation sous tension
Sur le plan financier, la guerre pèse lourdement sur le budget russe. Les dépenses militaires ont dépassé 6 % du PIB, un niveau rarement atteint depuis la fin de la guerre froide. Une part croissante de ces crédits est absorbée par les opérations courantes : munitions, logistique, soldes et compensations.
Produire un avion de combat moderne coûte cher. Un chasseur multirôle de génération 4++ représente plusieurs dizaines de millions d’euros à l’unité, sans compter le soutien initial. Dans un contexte de sanctions, ces coûts augmentent, car les chaînes logistiques sont plus longues et moins efficaces.
Pour Moscou, remplacer un MiG-29 perdu par un appareil neuf n’est pas seulement une question industrielle, mais un arbitrage budgétaire. Chaque rouble investi dans un chasseur est un rouble qui ne finance pas des drones, des missiles ou des obus d’artillerie, consommés à un rythme massif.
L’adaptation tactique face aux pertes
Confrontée à cette réalité, la Russie a adapté l’emploi de ses avions. Les MiG-29 sont de moins en moins engagés en profondeur au-dessus du territoire ukrainien. Ils opèrent davantage depuis l’arrière, lançant des missiles à distance, ou assurant des patrouilles de dissuasion.
Cette posture réduit le risque, mais limite l’efficacité. Un chasseur qui reste en retrait perd une partie de sa valeur tactique. Il devient un vecteur de missiles plutôt qu’un outil de supériorité aérienne. Cette évolution reflète une contrainte plus qu’un choix.
L’Ukraine, de son côté, exploite cette prudence accrue. Les systèmes sol-air, combinés à des drones de reconnaissance, créent des bulles de menace qui compliquent l’engagement russe. Chaque sortie devient un calcul de risque, et chaque perte est plus difficile à accepter.
Le basculement progressif vers la guerre des drones
L’incapacité à remplacer rapidement les MiG-29 accélère un mouvement déjà perceptible : la montée en puissance des drones. Pour la Russie, un drone coûte infiniment moins cher qu’un avion de combat, tant à l’achat qu’à l’exploitation. Il ne mobilise pas de pilote et peut être produit en grande série.
Les drones ne remplacent pas totalement un chasseur, mais ils en compensent certaines fonctions. Reconnaissance, frappe ponctuelle, saturation des défenses adverses : autant de missions désormais confiées à des systèmes sans pilote. Ce transfert de charge réduit la pression sur l’aviation habitée, mais révèle aussi ses limites.
Ce basculement est subi autant que choisi. Il traduit l’impossibilité de maintenir une aviation de combat classique à un rythme d’attrition élevé sans une base industrielle robuste et ouverte. La Russie privilégie donc des solutions “consommables”, acceptant des pertes élevées de drones pour préserver des actifs plus rares.

L’impact stratégique au-delà du MiG-29
La question ne se limite pas à un type d’appareil. Le cas du MiG-29 est symptomatique d’un problème plus large : la difficulté de soutenir une guerre d’attrition aérienne prolongée face à un adversaire capable d’infliger des pertes régulières.
Même si le MiG-29 n’est plus l’épine dorsale de l’aviation russe, son érosion rapide envoie un signal clair. Les plateformes héritées de l’ère soviétique arrivent en fin de cycle, et leur remplacement est lent, coûteux et politiquement contraint.
À moyen terme, cette situation pourrait forcer Moscou à revoir ses priorités doctrinales. Moins d’avions, mais plus de missiles et de drones. Moins de présence aérienne permanente, mais plus de frappes ponctuelles. Ce n’est pas nécessairement un aveu de faiblesse, mais c’est un changement subi, dicté par la réalité industrielle et économique.
Une guerre qui redéfinit la valeur de l’aviation
La destruction de plus de MiG-29 que la Russie ne peut en remplacer n’est pas un simple indicateur tactique. C’est un révélateur stratégique. Elle montre que, dans une guerre moderne, la supériorité aérienne ne se mesure plus uniquement en nombre d’avions, mais en capacité à soutenir l’effort dans le temps.
Pour Moscou, chaque MiG-29 perdu est un rappel brutal des limites de son appareil industriel. Pour Kyiv, c’est la preuve qu’une stratégie combinant défense sol-air, renseignement et frappes ciblées peut éroder un adversaire technologiquement supérieur.
La suite dépendra de la capacité russe à transformer son industrie, à sécuriser ses chaînes d’approvisionnement et à accepter un modèle de combat où l’avion habité n’est plus l’outil central. La guerre des drones n’est pas une mode. Elle est devenue, par contrainte, une réponse à l’usure accélérée de l’aviation de combat.
Sources
- Oryx — Russian Aircraft Losses in Ukraine
- International Institute for Strategic Studies — The Military Balance
- Reuters — Russia’s defence industry struggles to replace combat losses
- The War Zone — Russian Fighter Jet Attrition And Production Limits
- Stockholm International Peace Research Institute — Military Expenditure Database
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