Pékin investit massivement dans la guerre électronique à impulsion électromagnétique pour neutraliser drones, avions et infrastructures. Les États-Unis et l’Europe tentent de suivre.

En résumé

La montée en puissance de la Chine dans le domaine de la guerre électronique transforme silencieusement l’équilibre militaire mondial. Pékin développe à la fois des armes à impulsion électromagnétique (EMP) nucléaires à haute altitude et des systèmes à haute puissance micro-ondes (HPM) capables de griller l’électronique de drones, de missiles ou d’avions de combat à distance. Ces technologies s’inscrivent au cœur de sa doctrine de “guerre informatisée”, qui vise la supériorité informationnelle en paralysant l’adversaire sans tir classique. Les États-Unis et plusieurs pays européens accélèrent leurs propres programmes, comme les systèmes THOR, Leonidas ou RapidDestroyer, mais reconnaissent un retard capacitaire. Les effets possibles sur les drones militaires, les avions de combat et l’infrastructure critique sont considérables : panne instantanée des capteurs, perte de communications, immobilisation de flottes entières. Dans ce contexte, la question n’est plus de savoir si ces armes seront utilisées, mais qui disposera en premier de protections efficaces et de systèmes de défense aérienne vraiment durcis face à ces attaques à l’effet à la vitesse de la lumière.

La nouvelle course à la guerre électronique impulsionnelle

Le cœur de cette nouvelle révolution militaire est la capacité à frapper l’électronique adverse plutôt que la structure physique des armes. La guerre électronique ne se limite plus au brouillage des radars ou des communications radio ; elle vise désormais à détruire purement et simplement les composants électroniques via une impulsion électromagnétique intense.

Depuis au moins 2017, la Chine met en service des armes à haute puissance micro-ondes capables de générer des impulsions d’énergie qui saturent les circuits électroniques. Selon une analyse citant des travaux de RAND, environ 90 % des brevets mondiaux liés aux armes HPM seraient détenus par des organisations chinoises ou affiliées, ce qui donne une idée de l’avance technologique recherchée par Pékin.

Pour Pékin, l’objectif est clair : pouvoir neutraliser la logistique militaire d’un adversaire avant même le début d’un combat conventionnel. Dans ce schéma, un tir HPM bien positionné près d’une base aérienne ou d’un nœud logistique critique pourrait immobiliser des dizaines d’appareils au sol, couper des réseaux de commandement ou désorganiser la défense aérienne, sans dégâts visibles de type cratère ou débris.

Le principe physique d’une impulsion électromagnétique

De l’EMP nucléaire aux armes à micro-ondes de forte puissance

Il existe deux grandes familles de menaces : l’EMP nucléaire à haute altitude (HEMP) et les systèmes à armes à énergie dirigée de type HPM.

Un HEMP résulte de la détonation d’une ogive nucléaire à plusieurs dizaines de kilomètres d’altitude. Le rayonnement gamma interagit avec l’atmosphère et génère une onde électromagnétique qui se propage sur de vastes régions, potentiellement à l’échelle d’un continent. Les tensions induites dans les lignes électriques et les circuits électroniques dépassent de loin les marges de tolérance normales et peuvent rendre inutilisable une grande partie de l’infrastructure critique d’un pays (réseaux électriques, transports, télécoms). La Chine modernise son arsenal nucléaire et pourrait, selon plusieurs évaluations, doubler le nombre de ses têtes d’ici 2035, ce qui inclut la possibilité d’ogives dédiées à ce type d’emploi.

Les systèmes HPM, eux, n’ont pas besoin d’ogive nucléaire. Ils concentrent une énergie électrique puis la libèrent sous forme d’onde micro-ondes focalisée, généralement dans une bande de fréquences de quelques centaines de MHz à plusieurs GHz. Cette onde vient se coupler dans les câbles, antennes, bus de données et cartes électroniques des systèmes ciblés, provoquant surtensions, échauffement local et destruction de composants sensibles.

Un effet à la vitesse de la lumière sur l’électronique

L’un des atouts stratégiques des HPM est la quasi-instantanéité. L’onde se propage à la vitesse de la lumière. Un système bien dimensionné peut “balayer” un volume aérien et désactiver simultanément plusieurs cibles, là où un missile antiaérien ne traite qu’un ou deux objectifs à la fois.

Les démonstrations américaines en donnent un avant-goût : le système Leonidas de l’entreprise Epirus a récemment neutralisé 61 drones sur 61 lors d’un tir réel, dont 49 en une seule impulsion, confirmant la capacité des HPM à traiter des essaims entiers. De la même manière, le démonstrateur THOR (Tactical High-power Operational Responder) de l’US Air Force Research Laboratory a montré qu’un faisceau micro-ondes correctement orienté peut faire chuter en quelques secondes un essaim de drones de petite taille.

La Chine cherche exactement ce type d’effet, mais avec une intégration plus large : systèmes terrestres, embarqués sur navires, missiles de croisière ou aéronefs, comme le suggèrent plusieurs analyses ouvertes.

La stratégie chinoise dans le spectre électromagnétique

Des armes à haute puissance micro-ondes pour le champ de bataille

Pékin assume désormais, dans sa littérature doctrinale, que la maîtrise du spectre électromagnétique est aussi décisive que la maîtrise du ciel au XXe siècle. Les documents officiels de la Central Military Commission évoquent la volonté de “dominer le domaine cyber et électromagnétique” au cœur d’une guerre “informatisée”.

Concrètement, cela se traduit par :

  • le développement de systèmes HPM terrestres comme le FK-4000, présenté à Zhuhai, conçu pour neutraliser des essaims de drones et s’intégrer à des réseaux de défense aérienne existants ;
  • l’intégration de charges HPM ou EMP sur missiles de croisière et vecteurs hypersoniques, afin de frapper des cibles stratégiques (bases, centres de commandement, hubs logistiques) sans avoir à les détruire physiquement ;
  • l’extension de ces capacités à la mer, avec des systèmes embarqués sur bâtiments de surface pour créer autour d’un groupe naval une bulle de déni d’accès électronique.

L’option HPM est aussi attractive sur le plan économique. Une impulsion micro-ondes coûte beaucoup moins cher qu’un missile sol-air de dernière génération, ce qui permet de traiter des menaces bon marché – drones commerciaux modifiés, munitions rôdeuses – sans épuiser les stocks de munitions classiques.

L’ambition de la guerre électronique cognitive

L’article de Popular Mechanics qui a mis en lumière ces évolutions insiste sur la dimension “cognitive electronic warfare” (CEW). L’idée est d’utiliser l’intelligence artificielle pour analyser en temps réel l’environnement électromagnétique, détecter des signaux anormaux, identifier un brouillage ou une attaque HPM, puis adapter automatiquement la réponse : changement de fréquence, modification de la forme d’onde, redéploiement des antennes.

La Chine n’est pas seule sur ce terrain, mais elle investit massivement dans les algorithmes de reconnaissance de signaux et les réseaux de capteurs distribués. L’objectif est double :

  • augmenter la probabilité de détecter l’attaque EM avant les effets physiques,
  • exploiter l’IA pour optimiser le profil de l’impulsion, en fonction du type de cible (radar, liaison de données, système de navigation).

Dans cette logique, l’EMP ou la HPM devient un composant parmi d’autres d’un système de armes à énergie dirigée et de brouillage, intégré à une architecture de commandement automatisée.

La Chine mise sur l’impulsion électromagnétique de combat

Les réponses américaines et européennes

Les programmes CHAMP, THOR et Leonidas

Les États-Unis ne découvrent pas le domaine. Ils ont testé dès les années 2010 le programme CHAMP (Counter-electronics High Power Microwave Advanced Missile Project), un missile de croisière capable de délivrer une impulsion HPM sur plusieurs cibles le long d’une trajectoire.

Aujourd’hui, l’effort se concentre sur la lutte anti-drones :

  • THOR, système HPM transportable dans un conteneur de 6 mètres, conçu pour la protection des bases, qui a neutralisé un essaim de drones lors d’une démonstration en 2023 ;
  • Leonidas, développé par Epirus, qui vient de démontrer sa capacité à neutraliser plus de 60 drones avec une seule plateforme, avec un contrat de 66,1 millions de dollars pour l’US Army afin de livrer plusieurs prototypes dans le cadre du programme IFPC-HPM.

Ces systèmes illustrent le virage américain vers des solutions à effet à la vitesse de la lumière, capables de traiter des menaces saturantes là où l’artillerie ou les missiles sol-air atteignent leurs limites en coût et en cadence de tir.

Le démonstrateur britannique RapidDestroyer et l’Europe

En Europe, le Royaume-Uni a annoncé en 2025 des essais réussis de RapidDestroyer, un système à haute puissance radiofréquence développé avec Thales, capable de neutraliser des essaims de drones lors de tests où plus de 100 appareils ont été engagés.

Les capacités restent pour l’instant à un niveau de démonstrateur, mais elles traduisent une prise de conscience : sans contre-mesures HPM, les forces terrestres et navales européennes risquent d’être dépassées par la prolifération des essaims low cost et par les systèmes HPM adverses.

La France, l’Allemagne ou l’Italie investissent davantage dans le durcissement électromagnétique des plateformes, la cyberdéfense et les moyens de brouillage classiques. Le véritable saut vers des armes HPM intégrées à grande échelle n’est pas encore acté politiquement, mais les signaux envoyés par Londres et Washington poussent à une réévaluation rapide.

Les effets concrets sur drones, avions de combat et infrastructures

Des drones militaires particulièrement vulnérables

Les drones militaires modernes – des petits quadricoptères tactiques aux grands systèmes MALE – reposent sur une architecture saturée d’électronique : autopilotes, GPS, liaisons de données, charges utiles optroniques.

Face une attaque HPM :

  • les antennes et câbles agissent comme des “antennes parasites” qui injectent l’onde directement dans les circuits ;
  • les convertisseurs, processeurs et mémoires flash peuvent être détruits par des surtensions de quelques centaines de volts seulement ;
  • la perte de liaisons de commande entraîne un crash quasi immédiat pour les drones non autonomes.

Les essais américains comme ceux de Leonidas – 61 drones neutralisés, dont 49 en une seule impulsion – montrent à quel point un essaim peu protégé peut être balayé en une fraction de seconde.

Des avions de combat dépendants du tout-électronique

Les avions de combat contemporains dépendent eux aussi totalement de l’électronique : commandes de vol électriques, radars AESA, calculateurs de mission, liaisons de données tactiques. Une impulsion suffisamment puissante à proximité d’une base ou d’un théâtre aérien pourrait :

  • endommager des calculateurs au sol lors des opérations de maintenance ;
  • perturber les systèmes de navigation en vol, voire provoquer des pannes lentes et difficiles à diagnostiquer ;
  • rendre temporairement inopérantes des flottes entières, sans qu’un ennemi ait tiré un seul missile air-air.

Les défenses sol-air, radars, systèmes C2 et réseaux de communication ne sont pas mieux lotis : même avec des protections basiques (blindage, filtrage, mise à la terre), une partie de l’électronique reste exposée, en particulier les capteurs en bout de ligne.

Pour les armées comme pour les opérateurs d’infrastructure critique, le coût des mesures de durcissement est élevé : il faut revoir l’architecture des réseaux, ajouter des couches de blindage, segmenter les systèmes, prévoir des redondances analogiques ou “low tech”. Les estimations faites pour le durcissement de réseaux électriques aux États-Unis et à Taïwan chiffrent ces efforts à plusieurs centaines de millions, voire plusieurs milliards de dollars pour un pays entier.

Un nouveau front stratégique pour les démocraties

La montée en puissance chinoise dans ce domaine ne signifie pas que Pékin détient un monopole définitif. Les États-Unis, le Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, l’Europe continentale disposent d’une base industrielle et scientifique solide pour rattraper une partie du retard.

Mais la tendance est nette :

  • l’attaque devient plus facile à dissimuler (un camion, un conteneur ou un navire peuvent emporter un système HPM discret) ;
  • la frontière entre opérations militaires et attaques contre l’infrastructure critique civile se brouille ;
  • le coût d’entrée pour des acteurs non étatiques pourrait baisser si des systèmes dérivés civils ou duals apparaissent sur le marché.

Pour les démocraties, l’enjeu n’est pas seulement technologique. Il est doctrinal et politique. Il faut décider jusqu’où investir dans ces capacités offensives, comment durcir des sociétés entières dépendantes de l’électronique, et comment intégrer la menace EMP/HPM dans la planification de crise, au même titre que le cyber ou les missiles hypersoniques.

La guerre du spectre ne fait que commencer. La Chine a pris une longueur d’avance en intégrant ces armes au cœur de sa stratégie de supériorité informationnelle. Les États-Unis et l’Europe n’ont plus le luxe de considérer l’EMP comme un scénario de science-fiction : c’est désormais un paramètre central de la dissuasion et de la survie des forces aériennes, navales et terrestres sur un champ de bataille saturé d’électronique.

Sources (sélection) :

– Matt Berman, “China Is Pursuing Electronic Warfare that Can Kill Enemy Weapons Instantly”, Popular Mechanics, 28 février 2025.
– Tin Pak, Yu-cheng Chen, “Could Taiwan Survive an EMP Attack by China?”, The Diplomat, 7 mai 2025.
– “Weaponizing the Electromagnetic Spectrum: The PRC’s High-powered Microwave Warfare Ambitions”, China Brief, Jamestown Foundation, 9 mai 2025.
– “FK-4000”, China Aerospace Science and Industry Corporation, présentation au China International Aviation & Aerospace Exhibition (Zhuhai Airshow 2024).
– “THOR (weapon)”, Air Force Research Laboratory, démonstrations 2019–2023.
– “Epirus Leonidas High-Power Microwave Weapon”, Epirus / U.S. Army IFPC-HPM program, essais 2023–2025.
– “UK tests microwave weapon to disable drone swarms”, Financial Times, 16 avril 2025 (programme RapidDestroyer, Thales / UK MoD).

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