Le Su-57 Felon s’affiche au Dubai Airshow 2025, revendique un premier client étranger et une version Su-57E modernisée, entre marketing et réalité industrielle.

En Résumé

Le Su-57 Felon est au centre d’une opération de séduction offensive au Dubai Airshow 2025. Moscou affirme avoir livré deux exemplaires à un client étranger non nommé, alors qu’une quinzaine seulement de Su-57 de série seraient réellement opérationnels en Russie, pour un objectif de 76 appareils d’ici 2028. L’avion est présenté dans une configuration Su-57E export avec de nouvelles tuyères à poussée vectorielle 2D, un grand écran de cockpit unique et des options de motorisation comme le moteur AL-51F-1 ou l’Izdeliye 177S.

Dans le discours officiel, l’appareil profiterait directement des retours d’emploi de la guerre en Ukraine, ce qui alimenterait un regain d’intérêt international. En pratique, les sorties restent rares, les informations vérifiables limitées et la production confrontée aux sanctions technologiques. Le Su-57 se positionne comme avion de chasse de 5e génération à bas coût face au F-35, mais avec des compromis clairs sur la furtivité, le volume produit et l’écosystème industriel.

Un Su-57 Felon exporté : un signal politique plus qu’un saut capacitaire

La revendication de la première exportation du Su-57 Felon repose sur une annonce soigneusement calibrée : deux appareils auraient été remis à un client non identifié, qui les aurait déjà mis en service opérationnel. Tout le monde pense à l’Algérie, qui apparaît régulièrement dans les fuites et analyses, avec un volume souvent évoqué autour d’une douzaine d’appareils. Cette discrétion sert deux objectifs : alimenter la communication russe, tout en laissant une marge à un acheteur qui n’a aucune envie d’assumer publiquement le choix d’un chasseur russe en pleine guerre.

Sur le plan quantitatif, la base reste étroite. Les données ouvertes indiquent environ 30 Su-57 livrés aux forces russes fin 2024, prototypes compris, sur un contrat global de 76 appareils à livrer d’ici 2028. Même en tenant compte d’une montée en cadence annoncée, on reste loin des volumes du F-35, produit à plusieurs centaines d’exemplaires. Pour un client export, cela signifie un parc réduit, une logistique fragile et une dépendance forte à un industriel sous sanctions.

La tarification est l’un des principaux arguments russes. Les estimations compilant sources ouvertes situent l’appareil entre 35 et 45 millions de dollars pièce, soit de l’ordre de 32 à 41 millions d’euros, en fonction des taux de change. Sur le papier, c’est sensiblement moins qu’un F-35A, souvent cité autour de 80 millions de dollars. Mais cette comparaison brute masque la réalité : l’acheteur ne paie pas seulement un avion, il paie un système, un soutien, un standard, des armes, un réseau d’entraînement et un accès durable à des pièces de rechange. De ce point de vue, le Su-57 reste un pari risqué pour tout pays dépendant des pièces électroniques occidentales, y compris en transit par des pays tiers.

Enfin, cet « export » est d’abord un signal politique. Pour Moscou, il s’agit de prouver que son programme de chasseur de 5e génération ne se limite pas à quelques prototypes et à la propagande. Pour l’acheteur, il s’agit de marquer un positionnement stratégique régional, voire d’envoyer un message à un voisin ou à Washington. Techniquement, deux appareils ne changent pas l’équilibre militaire ; symboliquement, ils installent une relation longue avec un fournisseur qui a besoin de devises autant que de vitrine.

Un chasseur furtif forgé par la guerre en Ukraine, mais très peu exposé

La communication russe insiste sur le retour d’expérience tiré de la guerre en Ukraine. Selon Rostec, les pilotes remontent des données depuis la « zone de combat » et le Su-57 serait ajusté en continu. Sur le papier, l’idée est logique : tester en opération un appareil de nouvelle génération permet de valider capteurs, liaisons de données, armement et maintenance en conditions réelles.

La réalité observable est moins flatteuse. Les Su-57 sont employés avec parcimonie, à distance, essentiellement pour tirer des munitions guidées depuis l’espace aérien russe ou depuis des zones relativement protégées. Il n’y a pas d’indications crédibles de pénétrations répétées à basse altitude dans un environnement dense en missiles sol-air modernes. Moscou n’a aucun intérêt à exposer un appareil rare, coûteux et politiquement sensible à un risque de destruction filmée et diffusée sur les réseaux. L’épisode de l’attaque ukrainienne contre la base d’Akhtubinsk en 2024, qui a visiblement endommagé au moins un Su-57, montre au passage que même stationné loin de la ligne de front, l’appareil reste vulnérable à des drones longue portée.

Ce contexte explique la prudence russe. Les vols existent, certains tirs air-sol seraient imputables au Su-57, mais à un rythme faible. À la différence des F-35 américains ou israéliens, engagés de façon répétée sur plusieurs théâtres, le Su-57 reste peu documenté en opération. L’argument « combat proven » est donc largement politique : il rassure un acheteur potentiel qui veut éviter de servir de cobaye, mais il repose surtout sur des déclarations unilatérales.

Pour un observateur extérieur, cette utilisation limitée traduit un double constat : la Russie ne dispose pas encore du volume d’appareils nécessaire pour les utiliser comme outil courant, et elle craint l’impact stratégique d’une perte documentée. Un chasseur de 5e génération détruit par une défense sol-air ukrainienne équipée de systèmes occidentaux serait un coup porté à la crédibilité du programme bien plus sérieux que la perte d’un Su-35. Sur ce point, la prudence opérationnelle contredit le discours triomphant.

Un avion de chasse de 5e génération aux performances contrastées

Sur le plan des principes, le Su-57 se définit comme un avion de chasse de 5e génération multirôle : furtivité, supercroisière, manœuvrabilité élevée, senseurs intégrés, liaisons de données, armement en soutes. La cellule à double dérive, les entrées d’air latérales, les soutes ventrales et latérales répondent à cette logique. L’avion emporte deux grandes soutes principales pour des missiles air-air longs et moyens, ainsi que des compartiments latéraux pour des missiles à courte portée.

La furtivité du Su-57 reste cependant orientée vers l’avant. Les estimations de surface équivalente radar issues de sources ouvertes situent l’appareil très au-dessus du F-35, surtout sur les aspects latéraux et arrière. La présence de volumes moteurs visibles, de jonctions marquées et de nombreux panneaux trahit un compromis : réduire la signature sans aller jusqu’aux exigences extrêmes imposées par les programmes américains. C’est un choix pragmatique, mais il place le Su-57 plutôt dans une catégorie intermédiaire, entre 4,5e et 5e génération sur le critère strict de furtivité.

L’avion dispose néanmoins d’atouts sérieux : charge utile interne et externe importante, radar AESA, capteurs électro-optiques, intégration attendue avec des drones lourds de type S-70. Le cockpit du prototype T-50-9 présenté à Dubaï a reçu un grand écran unique, de type « wide area display », plus proche des standards occidentaux modernes. Cette évolution va dans le bon sens : un large écran configurable améliore la conscience de situation et facilite la fusion de données capteurs, à condition que le traitement logiciel soit à la hauteur.

Le problème reste l’écosystème. Un chasseur de 5e génération n’est pas qu’une cellule furtive : c’est un ensemble complet de maintenance, de mise à jour logicielle, de simulation, de gestion de configuration. Or la Russie, sous sanctions, a déjà du mal à stabiliser son parc d’avions plus anciens. Les difficultés à produire des appareils civils comme le MC-21 ou le Superjet en version pleinement « russifiée » donnent un aperçu honnête des limites industrielles. Imaginer un cycle de mise à jour rapide pour un Su-57 à l’export relève davantage de l’acte de foi que de l’analyse.

SU-57 Felon

Un moteur AL-51F-1, des tuyères 2D et un Izdeliye 177S encore à prouver

La promotion de la version Su-57E à Dubaï passe beaucoup par la propulsion. Aujourd’hui, la plupart des Su-57 russes volent avec des moteurs dérivés de l’AL-41F-1, déjà utilisé sur le Su-35. L’objectif est clairement d’aller vers le moteur AL-51F-1, parfois désigné Izdeliye 30, pensé pour offrir plus de poussée, une consommation réduite et une signature radar et infrarouge abaissée. Les données publiques évoquent environ 110 kN de poussée à sec et jusqu’à 180 kN avec postcombustion, ce qui permettrait une supercroisière vers Mach 1,6 et une vitesse maximale de l’ordre de Mach 2.

La nouveauté mise en avant au Dubai Airshow 2025 est l’adoption de tuyères à poussée vectorielle 2D à section rectangulaire sur la maquette Su-57E. L’objectif principal est la discrétion : une sortie de jet aplatie réduit la signature radar arrière et permet aussi de mieux contrôler la signature infrarouge en mélangeant les gaz chauds avec de l’air plus froid. Ce choix rapproche le Su-57E du F-22 sur le plan conceptuel. En contrepartie, les pertes de poussée associées à ce type de tuyère ne sont pas nulles, et demandent une mise au point fine.

Parallèlement, la Russie met en avant l’Izdeliye 177S, présenté comme un moteur « de cinquième génération » dérivé de l’AL-41 mais intégrant des technologies de l’AL-51F-1. Ce moteur est proposé à la fois comme motorisation possible pour des Su-57E export et comme option de modernisation pour des Su-30 ou Su-35. Sur le papier, cette modularité est une manière intelligente de mutualiser les développements. Dans les faits, il faudra observer la fiabilité, la durée de vie et la capacité de production réelle.

Là encore, la contrainte industrielle est le point faible. Développer un moteur moderne, le produire en série, fournir des pièces et tenir les temps entre révisions est exigeant, même pour des industriels occidentaux qui disposent de réseaux de sous-traitants stables. Pour un client export, acheter un chasseur sur la promesse d’un nouveau moteur encore peu diffusé, dans un pays visé par des sanctions massives, revient à accepter un risque logistique majeur. Les responsables politiques peuvent assumer ce risque pour des raisons stratégiques ; les forces aériennes, elles, devront en gérer les conséquences quotidiennes pendant trente ans.

Un client étranger et une géopolitique des exportations sous tension

L’annonce de la livraison à un client étranger arrive dans un contexte particulier : depuis 2022, les exportations d’armement russes ont été réduites de moitié, selon Rostec, officiellement parce que l’industrie donne la priorité aux besoins nationaux. La réalité est moins présentable : sanctions financières, contrôle renforcé des composants, risque de sanctions secondaires pour les pays acheteurs, concurrence accrue de la Chine sur les marchés « non alignés ».

Pour un pays comme l’Algérie, acheter le Su-57E est autant un choix politique qu’un choix technique. Il s’agit de maintenir un lien privilégié avec Moscou, d’envoyer un signal à un voisin comme le Maroc et de se distinguer par un matériel de prestige. Mais ce choix s’accompagne d’un coût caché : exposition au risque de sanctions, dépendance à un fournisseur qui lui-même peine à se fournir en électroniques, difficulté potentielle à intégrer l’avion dans des réseaux de défense aérienne plus larges.

Par ailleurs, le positionnement du Su-57 sur le marché se fait souvent par comparaison avec le F-35. Le discours russe consiste à se présenter comme alternative pour les pays refusés par Washington : Iran, Syrie, éventuellement Turquie ou Émirats arabes unis si les dossiers F-35 butent sur des désaccords politiques. Mais si les États-Unis ouvrent davantage l’accès au F-35, comme le laissent entendre certaines discussions avec Riyad ou Ankara, le Su-57 perd une partie de son intérêt : pourquoi accepter un standard isolé, avec un soutien incertain, si le principal système occidental devient accessible ?

Enfin, il faut être lucide : pour l’instant, personne ne peut sérieusement parler de « flotte » Su-57 export. Deux avions livrés, un client supposé, quelques discussions en coulisses, ce n’est pas un succès commercial massif. C’est une tête de pont, une vitrine et un prétexte à communication. Pour transformer l’essai, il faudra plus qu’une maquette brillante sur un salon : il faudra des livraisons régulières, des heures de vol, des exercices conjoints et des retours d’expérience crédibles.

Une visibilité réelle du Su-57 sur le marché, entre démonstration et limites

La présence du Su-57 au Dubai Airshow 2025 marque une étape logique : si la Russie veut vendre son chasseur furtif, elle doit le montrer, le faire voler, ouvrir ses soutes, exhiber son cockpit et ses moteurs. La démonstration en vol du prototype, avec ouverture des soutes internes, est un prolongement des efforts de communication déjà visibles à MAKS ou Zhuhai : on montre ce qui est montrable, on tait ce qui reste fragile.

Techniquement, l’appareil affiche désormais une cohérence acceptable : furtivité partielle mais réelle, capteurs modernes, intégration prévue avec des drones, options de motorisation avancée, cockpit actualisé. Pour un pays qui part d’un parc de Su-27 modernisés, c’est une marche significative. Mais la comparaison avec les écosystèmes américains est sévère : volumes produits, réseau logistique, cycles de modernisation logiciel, niveaux de furtivité, expérience opérationnelle, tout penche en faveur du F-35 et, dans une moindre mesure, du F-22.

D’un point de vue strictement militaire, le Su-57 peut intéresser un nombre limité de clients : ceux qui n’ont pas accès aux chasseurs occidentaux avancés, qui assument un alignement politique sur Moscou et qui acceptent de vivre avec les contraintes des sanctions. Pour eux, c’est un moyen de disposer d’un appareil au moins partiellement furtif, avec une charge militaire importante et un niveau raisonnable de modernité. Pour tous les autres, l’offre reste surtout un instrument de pression dans les négociations avec Washington : évoquer l’achat de Su-57 est un moyen classique d’obtenir un meilleur dossier F-35.

Franchement, le Su-57 n’est ni le « tueur de F-35 » vanté par certains médias russes, ni un échec complet comme le prétend une partie du commentaire occidental. C’est un programme ambitieux pour un pays dont l’appareil industriel est en difficulté, qui tente de rester dans le club très fermé des concepteurs de chasseurs de 5e génération. Ses atouts sont réels, ses limites aussi. L’exportation de deux avions ne change pas la donne, mais indique que certains États sont prêts à miser sur cette carte, au moins en complément d’autres équipements. Le reste dépendra moins des maquettes sur salon que de la capacité de la Russie à produire, soutenir et faire évoluer ce système sur vingt ans, dans un contexte économique et technologique qui joue clairement contre elle.

Sources

– The War Zone, « Su-57 With New Upgrade Options, Russia Claims First Foreign Delivery Has Already Occurred ».
– Wikipédia, « Sukhoi Su-57 ».
– Defence Security Asia, articles sur le Su-57E et le moteur Izdeliye 177S.
– Reuters, analyses sur Rostec et les exportations d’armement russes.
– Business Insider et Meta-Defense, articles sur la première livraison export présumée à l’Algérie.

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