La famille Nomad de Sikorsky introduit des drones VTOL à aile soufflée, autonomie MATRIX, Group 3/4, pour ISR, appui, et contested logistics.
En résumé
Sikorsky présente Nomad, une famille de drones VTOL à double proprotor et aile soufflée (rotor blown wing) qui décollent à la verticale « sur la queue » avant de basculer en vol horizontal. L’industriel décline plusieurs tailles : un Nomad 50 (envergure 3,1 m) a déjà volé en 2025 ; le Nomad 100 (envergure 5,5 m, catégorie Group 3) entame ses essais en vol ; un Nomad Group 4 est validé en revue de conception préliminaire. Le cœur logiciel s’appuie sur MATRIX, l’autonomie de Sikorsky dérivée des programmes DARPA (ALIAS, EVADE, ANCILLARY). Les missions visées : ISR brigade/division, appui léger (Hellfire, SDB), « runway independence » et contested logistics en Indo-Pacifique ou depuis un pont de frégate. L’architecture modulaire (propulsion électrique/hybride, modules remplaçables) vise la maintenance au contact par 2 à 3 opérateurs via tablette, et l’intégration réseau capteur-tireur avec des hélicoptères habités (UH-60M/SH-60, CH-53K). L’enjeu est clair : produire, à coût soutenable, des vecteurs endurants, rapides à déployer, qui prennent en charge des tâches today pilotées par des hélicos, en libérant des équipages pour les segments les plus risqués et en densifiant la masse tactique.
Le concept et l’architecture : une aile soufflée pour marier hélico et avion
Le pari technique de Nomad consiste à combiner stationnaire et croisière efficace sans rotor principal ni mécanisme complexe de basculement du fuselage. La cellule « tail-sitter » repose sur deux proprotors en bout d’aile rectiligne. Au décollage/atterrissage, la poussée « souffle » l’aile (rotor blown wing) et génère portance à très faible vitesse, ce qui réduit le disque rotor et facilite l’opération depuis un quai, une clairière ou le pont d’un destroyer. En transition, l’appareil pivote de 90° et adopte un vol d’avion : traînée réduite, meilleure finesse, vitesse de croisière plus élevée qu’un hélicoptère (objectif opérationnel : rester sous 250 kt pour les classes Group 3/4 tout en maximisant l’endurance).
La chaîne propulsive varie selon la taille : électrique pur pour Nomad 50 (gains en signature et maintenance), hybride pour Nomad 100 (génératrice diesel + batteries) afin d’allonger le rayon d’action et l’endurance à masse contenue. Sur les variantes supérieures (futur Group 4), un groupe motopropulseur conventionnel apporte densité énergétique et capacité d’emport. Les ailes rectilignes simplifient la structure et l’implantation de points d’emport externes (capteurs, « launched effects », charges logistiques), tout en assurant une bonne stabilité en croisière.
L’autonomie MATRIX gère décollage, transition, navigation, évitement d’obstacles, approche et atterrissage. Elle a été éprouvée sur UH-60A/M et S-76 laboratoires, puis transférée sur le démonstrateur rotor blown wing et maintenant sur Nomad. Cette continuité réduit le risque logiciel et standardise l’interface opérateur : une tablette, un plan de mission, un suivi-santé. La modularité (« remove-and-replace ») des modules énergie/avionique vise des opérations par petite équipe, avec peu de boîtiers, câblage simplifié et diagnostics intégrés. En métrique, l’envergure annoncée passe d’environ 3,1 m (Nomad 50) à 5,5 m (Nomad 100) ; l’échelon Group 4 se rapproche des volumes et surfaces utiles d’un MQ-1C (envergure ~17 m) mais en configuration VTOL tail-sitter. Résultat attendu : une plateforme plus simple qu’un tiltrotor, plus rapide qu’un hélicoptère, apte aux sites sans pistes.
La famille et les classes DoD : des Group 3/4 taillés pour l’ISR et l’appui
Le département américain de la Défense classe les drones par groupes. Group 3 : masse de 25 à 600 kg, altitude normale < 5 500 m (18 000 ft), vitesse < 460 km/h ; Group 4 : masse > 600 kg, même altitude, vitesse libre. Le Nomad 100 (envergure ~5,5 m, masse typique ~150 kg) cible Group 3 et les rôles équivalents au RQ-7B Shadow de brigade (charge utile ~20–40 kg, endurance 8–9 h, plafond ~5 500 m). L’ambition est d’apporter la même persistance ISR, mais avec VTOL, donc déploiement depuis un navire ou un site sommaire. Le Group 4 Nomad vise l’échelon division/corps, dans la catégorie MQ-1C Gray Eagle (endurance 25–30 h, plafond ~8 800 m, charge utile ~360–490 kg selon sources), mais avec bascule verticale et opérations décentralisées sur petites aires.
Côté armement, une configuration Group 4 peut emporter 4 Hellfire (≈ 49 kg pièce) ou 2 SDB (≈ 113 kg unité), en plus des capteurs. Sur Group 3, l’appui « cinétique » reste plus limité, mais le recours à des launched effects (drones consommables largués) ouvre des options : brouillage, leurrage, capteurs passifs/actifs, mini-charges contre radars. On passe ainsi d’un « drone capteur » à un multiplicateur de forces qui étend la toile capteur-tireur. Pour l’US Army, un Nomad de brigade remplacerait progressivement des segments du Shadow (catapulte/récupération), allègerait la logistique et réduirait l’empreinte au sol. Pour l’US Navy et l’USMC, le déploiement depuis un DDG ou un navire logistique autorise des missions de guet, relais, ravitaillement léger sans monopoliser un MH-60. En metric, ces profils se traduisent par des emports de 40–200 kg selon taille, des rayons d’action de plusieurs centaines de kilomètres et des altitudes de travail inférieures à 5 500 m pour rester dans la classe et les besoins tactiques.
Les missions et la doctrine : ISR, appui léger et contested logistics
Les missions clefs couvrent trois volets. 1/ ISR multi-niveaux : boule EO/IR gyrostabilisée en nez (désignation laser, suivi auto), radars légers SAR/GMTI en option, relais COM pour étendre les réseaux VHF/UHF/TACSAT. Sur un théâtre indo-pacifique, cela permet de veiller les approches littorales, de pointer des menaces rapides (embarcations, missiles de croisière en phase terminale) et de fournir l’illumination pour un tir naval/aérien. 2/ Appui léger : sur Group 4, 4 AGM-114 (≈ 49 kg, portée 7–11 km) ou 2 SDB (≈ 113 kg, portée > 110 km en plané) offrent une frappe de précision sur cible mobile/lourde, tout en préservant la plateforme habitée. 3/ Contested logistics : le besoin prioritaire. L’US Army, l’USMC et l’USAF cherchent des vecteurs VTOL compacts capables d’acheminer charges « critiques » (pièces, batteries, sang, radios) entre bases dispersées (ACE, EABO). Un Nomad peut décoller d’un parking bétonné de 10 × 10 m, déposer 30–120 kg à 150–300 km et revenir sans infrastructure.
La transition verticale/horizontale réduit l’empreinte sonore et thermique dans la phase la plus détectable (décollage/approche). L’autonomie MATRIX permet les vols à équipage minimal côté sol et le transfert de contrôle « hand-off » entre unités (brigade → division → corps) au fil de la mission. Les « launched effects » étendent la portée de capteurs actifs/passifs et saturent l’adversaire : faux échos, leurres RF, brouillage sectoriel, micro-frappes. Pour les hélicoptères habités (UH-60M, MH-60R/S, CH-53K), Nomad enlève les tâches routinières et risquées (reco météo, drop léger, couloirs minés), tout en alimentant la boucle capteur-tireur. Les équipages restent sur des missions où l’humain apporte encore un avantage décisif—exfiltration, CSAR complexe, coordination multi-domaine.
Les choix industriels et la soutenabilité : masse, coût et MCO au contact
Sikorsky vise une production « à la famille » : même logique d’aile soufflée, interfaces communes, avionique homogène, ce qui crée des économies d’échelle sur capteurs, calculateurs, logiciels, liaisons. La modularité notamment du « power module » (bloc énergie remplaçable) réduit les immobilisations. En zone austère, l’équipe de 2–3 militaires échange un module, relance l’auto-test et redécolle. Peu de boîtiers = moins de pannes, diagnostics plus rapides. Sur la facture d’exploitation, l’hybride baisse la consommation en croisière ; l’électrique pur supprime vidanges/filtrations mais réduit l’endurance. Les tailles supérieures assument des groupes thermiques classiques pour rester au-delà de 5–10 h de vol utile avec charge.
Côté coût par effet, l’intérêt n’est pas le « prix par heure » isolé, mais le coût total pour obtenir une heure de capteur au-dessus d’un point, ou pour livrer 50 kg sur 200 km en zone menacée. Sur ce calcul, un Group 3 VTOL tail-sitter peut s’avérer plus compétitif qu’un hélico léger—moins de personnels, pas de piste, moins de maintenance lourde. À l’inverse, en mer formée, les exigences de tenue au vent et de contrôle précis en approche pont imposent du développement (capteurs d’état de mer, lois de contrôle, marges de puissance), ce qui alourdit la R&D. L’arbitrage est net : accepter un « panier de mission » limité sur Group 3, et consacrer Group 4 aux charges utiles lourdes (radar, armes, fret). Côté réseau, l’interopérabilité (STANAG, clés crypto) conditionne l’adoption dans des forces alliées ; elle doit être pensée dès la conception sous peine d’avoir un excellent drone… isolé du reste du système de forces.
Les conséquences capacitaires : atouts, limites et angles morts
Techniquement, Nomad coche les cases actuelles : runway independence, persistance, masse distribuée, intégration aux réseaux sensor-to-shooter. Stratégiquement, il densifie la trame ISR et logistique à bas coût humain, ce qui compte dans un conflit de haute intensité. Sur un théâtre insulaire, un peloton de Group 3 couvrira des arcs de 200–300 km, dresse un rideau capteurs/leurres et livre « juste à temps » des charges critiques. Les limites existent. Les tail-sitters restent sensibles au vent de travers en approche verticale ; l’ergonomie « fuselage vertical » impose de soigner les protections capteurs/antenne en posé brutal. La charge utile de Group 3 ne remplacera pas un hélicoptère pour du fret massif ; le Group 4 devra démontrer sa robustesse pont/naval et sa signature RF/IR maîtrisée.
Sur le plan tactique, les adversaires réagiront par capteurs passifs, écoute RF, optique-IR longue focale et munitions sol-air à bas coût. D’où l’intérêt des launched effects pour saturer, tromper et disperser le feu adverse. Enfin, l’illusion d’un « drone qui fait tout » est dangereuse : l’ISR, la guerre électronique et la logistique exigent des réglages contradictoires (altitude, emport, profils). La bonne réponse n’est pas un appareil unique, mais une famille cohérente, exactement l’option choisie par Sikorsky. À court terme, la bascule est probable : des missions ISR/relai aujourd’hui tenues par UH-60/SH-60 passeront côté Nomad. À moyen terme, si le Group 4 tient ses promesses d’emport (~200–500 kg utiles) et d’endurance (> 10 h), on verra apparaître des schémas d’appui léger et de ravitaillement tactique où l’hélicoptère habité ne descend plus qu’en dernier recours. C’est rationnel, et c’est le sens du temps : produire de la présence aérienne à grande échelle, à coût soutenable.
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