Après des fermetures d’aéroports et des survols de sites, l’OTAN renforce son C2 et le C-UAS. Enquête sur l’ombre maritime et la riposte alliée.

En résumé

L’Europe a connu en septembre une série d’incidents coordonnés impliquant des drones au-dessus d’aéroports, de sites énergétiques et d’infrastructures militaires en Allemagne du Nord et au Danemark. L’aéroport de Copenhague a été fermé près de 4 heures, avec une cinquantaine de vols déroutés et des dizaines de milliers de passagers affectés. Dans le même temps, la Marine nationale a arraisonné le pétrolier Boracay (ex-Pushpa) au large de Saint-Nazaire, soupçonné d’appartenir à la « shadow fleet » russe, tandis que l’AIS du navire avait été coupé à plusieurs reprises. Ces événements s’ajoutent à l’incursion d’une vingtaine de drones en Pologne, à la violation de l’espace estonien par des MiG-31, et à l’alerte en Roumanie. Face à ce schéma de pression hybride, l’OTAN accélère l’intégration du NATINAMDS, renforce l’Air Policing, et généralise des capacités C-UAS plus agiles. L’enjeu est clair : maintenir la dissuasion collective par un C2 rapide, des capteurs mieux fusionnés et une coordination civile-militaire sans friction.

Le panorama des incidents et la chronologie opérationnelle

La succession d’alertes s’est déroulée selon une logique de saturation : d’abord, près d’une vingtaine d’engins ont pénétré l’espace aérien polonais le 9-10 septembre, déclenchant un scramble et, fait inédit pour l’Alliance, des tirs sur des cibles aériennes non habitées. Le 13 septembre, une alerte a aussi touché la Roumanie, dans la zone du Danube, avec un drone ayant franchi la frontière. Le 19 septembre, l’Estonie a signalé l’intrusion de trois MiG-31 restés environ douze minutes au-dessus de Vaindloo, sans plan de vol ni transpondeur, suscitant une réunion du Conseil de l’Atlantique Nord. À partir du 22 septembre, une série d’incidents par drones a perturbé le ciel nordique : fermeture temporaire de Copenhague (environ 4 heures), haltes techniques sur d’autres plateformes danoises et norvégiennes, puis multiplication d’échos et d’observations au-dessus d’infrastructures allemandes en Schleswig-Holstein et Mecklembourg-Poméranie occidentale. À Kiel, les survols ont touché des zones très sensibles : le chantier TKMS (sous-marins), un hôpital universitaire, un site énergétique côtier et le canal Nord-Ostsee-Kanal ; plus à l’est, des observations répétées ont eu lieu près du commandement de la Marine à Rostock et du port, tandis que la raffinerie de Heide, qui alimente l’aéroport de Hambourg, a elle aussi été mentionnée dans les signalements. Cette chronologie dessine un pattern cohérent : tests répétés des réactions, observation de sites duals (civil/militaire) et perturbation ciblée du trafic aérien. Elle renforce la thèse d’opérateurs expérimentés, dotés de plateformes de taille moyenne et capables d’exploiter les « angles morts » de la surveillance classique.

Le rapport civil-militaire et l’effet sur l’aviation commerciale

Les fermetures d’aéroports restent le révélateur le plus visible pour le public. À Copenhague, la suspension des mouvements aériens pendant environ 240 minutes a conduit à dériver près de 50 vols et à bouleverser le plan de transport de quelque 20 000 passagers. Techniquement, l’arbitrage est simple : tant que la trajectoire d’un drone reste indéterminée, l’intégrité des trajectoires IFR ne peut être garantie, d’où le choix de figer le trafic. Côté gestion du réseau, le Network Manager d’EUROCONTROL peut réallouer des créneaux et réorienter les flux, mais chaque minute perdue se traduit en roulage supplémentaire, en consommation de carburant et en rotation retardée. L’autre effet, moins commenté, réside dans la mobilisation des moyens de police du ciel : les CAOC d’Uedem et de Torrejón supervisent les demandes d’assistance, les restrictions temporaires d’espace aérien et l’activation de zones spécifiques pour intercepter sans menacer le trafic civil. Pour les services de la navigation aérienne, l’interface avec les forces armées repose sur la doctrine Flexible Use of Airspace : des volumes TSA/TRA s’ouvrent et se referment en fonction des besoins tactiques, avec publication agile. Le retour d’expérience des incidents danois montre l’intérêt d’une détection spectrale multi-capteurs autour des hubs, d’alertes partagées ATC/forces et de procédures standardisées pour passer d’une alerte « probable » à une alerte « confirmée » sans sur-réactions. À l’échelle européenne, la coordination civil-militaire performante se mesure en minutes : moins de 10 minutes pour qualifier l’écho ; moins de 30 minutes pour stabiliser un plan de vol réseau reconfiguré ; moins de 60 minutes pour rétablir un taux de mouvements proche du nominal une fois la menace écartée.

La piste maritime, les navires écrans et l’AIS coupé

La saisie du pétrolier Boracay (ex-Pushpa) par la Marine nationale, au large de Saint-Nazaire, a braqué les projecteurs sur la « shadow fleet » : navires mal déclarés, changements d’identité et de pavillon, itinéraires opaques et pratiques de contournement des sanctions. Le Boracay transportait environ 750 000 barils (≈ 119 000 m³) de brut, soit une cargaison équivalente à plus de 119 millions de litres, tout en ayant désactivé par moments ses transmissions AIS. Le soupçon est simple : un navire stationné à proximité de routes aériennes et de sites stratégiques peut héberger des antennes, servir de relais data, voire de base de lancement/mise à l’eau pour des plateformes à décollage assisté. Le fait que Copenhague ait été perturbé alors qu’un trafic maritime suspect croisait en mer du Nord et en mer Baltique alimente l’hypothèse d’une synchronisation « mer-air ». Les arguments contraires existent : faible rayon utile des multicopters commerciaux, sensibilité aux vents côtiers et à la pluie, et nécessité d’un guidage précis pour éviter les zones de suppression. Mais ces limites s’effacent si l’on considère des systèmes modifiés : porteurs à voilure fixe, hand-launch, radiofréquences discrètes, antennes directionnelles et navigation inertielle couplée à des repères visuels. En mer, la détection est plus ardue : les bruits électromagnétiques d’une route dense masquent mieux les émissions, et la distance à la côte réduit la densité de capteurs terrestres. Le signal faible le plus parlant reste l’extinction de AIS près de zones sensibles ; elle n’est jamais une preuve en soi, mais devient probante lorsqu’elle coïncide avec des anomalies aériennes.

L’Europe sous pression : les drones russes testent la défense de l’OTAN

La réponse opérationnelle : NATINAMDS, Air Policing et C-UAS

Au sol, l’Alliance renforce ses réseaux de détection passive (RF, EO/IR, acoustique) et active (radars basses vitesses/hautes fréquences) autour des hubs et des sites stratégiques. En l’air, l’Air Policing demeure l’outil quotidien : QRA en 24/7, scramble coordonné par les CAOC, et mise en garde systématique des aéronefs non coopératifs. Sur la couche « sous radar », l’effort porte sur le C-UAS : détection multi-capteurs, identification probabiliste et neutralisation graduée (brouillage directionnel, capture filets, laser C-UAS, effets cinétiques sous contraintes de sécurité). Les délais cibles sont désormais chiffrés : < 5 minutes pour confirmer un contact, < 10 minutes pour engager une neutralisation non létale en zone aéroportuaire, < 20 minutes pour une action cinétique en zone militarisée (hors tiers). Côté C2, l’objectif est une fusion des capteurs sur une Recognized Air Picture immédiatement actionnable, avec corrélation automatique et piste unique. L’intégration au NATINAMDS assure la continuité sol-air et la coordination avec les couches supérieures (AWACS, senseurs navals, radars de défense sol-air). L’expérience des incidents récents accouche d’indicateurs concrets : taux de pistes fusionnées sans intervention humaine, latence de corrélation, taux de fausses alertes, et temps « plan-vers-action » pour les équipes d’intervention. Il est illusoire d’espérer une étanchéité parfaite ; le vrai critère de performance devient la vitesse d’observation-décision-action, y compris quand l’adversaire cherche à saturer le système par grappe d’objets lents et peu observables.

Les conséquences stratégiques : risque hybride et dissuasion collective

Politiquement, la multiplication de survols et d’incursions vise autant la perception que le rapport de forces. Fermer un grand aéroport européen pendant 4 heures ne produit pas de dommages matériels majeurs, mais instille l’idée d’une vulnérabilité diffuse. L’Alliance ne peut se contenter d’une réaction défensive ; la réponse crédible passe par une combinaison de transparence contrôlée (informations factuelles sur les incidents), de renforcement ciblé (patrouilles, radars déployables, frégates AAW en couverture) et de coûts imposés si l’attribution se confirme (sanctions logistiques sur les navires liés à la « shadow fleet », saisies, restrictions portuaires). Sur le plan militaire, les États baltes ont demandé des consultations sous l’article 4 après l’épisode des MiG-31. Côté doctrinal, les chefs aériens ont, dès 2024, mis la modernisation AirC2 au premier rang : plans d’opérations automatisés, interfaces opérateur plus sobres, cybersécurité des réseaux, et boucle d’apprentissage exercice-retour d’expérience. Les chiffres parlent : plus de 400 décollages sur alerte ont été recensés l’an dernier autour du théâtre européen, tendance stable début 2025. La prochaine étape est claire : consolider la chaîne des preuves (capteurs, imagerie, traces RF), améliorer l’attribution dans des délais politiques, et montrer que la coercition hybride ne « paye » pas. Les capitales qui nient le lien entre incidents aériens et navires-écrans se trompent de débat ; la bonne question est de savoir à quelle vitesse une coalition européenne peut neutraliser des moyens clandestins tout en maintenant la liberté de survol civil. C’est sur cette capacité à traiter l’ambiguïté que se jugera la solidité de la dissuasion collective.

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