Un plan de l’OTAN veut déployer des technologies militaires innovantes en moins de 24 mois. Start-up, États et investisseurs sont appelés à coopérer.

Face à la rapidité des innovations militaires sur le terrain ukrainien, l’OTAN a présenté à La Haye un Plan d’adoption rapide visant à intégrer des technologies émergentes dans les armées européennes en moins de deux ans. Ce programme associe tests sur le terrain, financement ciblé, et réduction des freins administratifs. En parallèle, les start-up de défense européennes ont levé 5,2 milliards de dollars en 2024, soit une hausse de 24 % en un an. Cette dynamique montre une volonté politique forte de rapprocher technologie, sécurité et souveraineté industrielle. Mais pour réussir, les États devront transformer les promesses en actes, et les investisseurs, sortir de leur logique sectorielle classique pour répondre à des besoins opérationnels concrets.

Une prise de conscience imposée par la guerre

Depuis 2022, le conflit russo-ukrainien a accéléré l’intégration de technologies civiles à des usages militaires. Drones civils modifiés, logiciels de ciblage open source, dispositifs de brouillage produits en série limitée : l’innovation ne vient plus uniquement des grands groupes d’armement. Les start-up agiles et capables de produire vite sont devenues des acteurs opérationnels.

Pour les responsables de l’OTAN, cela impose une révision complète du cycle d’innovation-défense, historiquement long, cloisonné, et centré sur les grands industriels. Le sommet de La Haye, tenu en juillet 2025, a donc acté une orientation nouvelle. Les États membres ont annoncé une volonté d’atteindre 5 % du PIB en dépenses liées à la défense, la sécurité et la résilience (dont 3,5 % pour l’effort militaire direct), ce qui représente un changement d’échelle majeur.

Mais sans mécanisme d’intégration technologique rapide, cette hausse budgétaire risque d’alimenter les lenteurs historiques du secteur. C’est l’objet du Plan d’adoption rapide : relier directement les innovateurs technologiques et les utilisateurs militaires, via des cycles courts, des tests terrains et une coordination transnationale.

Un marché du capital-risque en forte croissance

Le financement de la tech défense européenne suit la dynamique. En 2024, les jeunes entreprises des secteurs défense, sécurité et résilience ont attiré 5,2 milliards de dollars de capital-risque, contre moins de 2 milliards en 2021. Cela représente 10 % de l’ensemble des levées de fonds technologiques en Europe, avec une croissance continue depuis trois ans.

L’exemple de Tekever, société portugaise de drones, est symbolique. Après 10 000 heures de vol opérationnel en Ukraine, elle a franchi le cap du milliard de valorisation et ouvert un second site de production au Royaume-Uni. Son succès montre que les technologies duales – civiles et militaires – peuvent passer à l’échelle si capital, production et débouchés sont au rendez-vous.

Mais beaucoup de start-up restent freinées par des processus d’achat publics trop rigides, une difficulté à obtenir des contrats initiaux, ou un manque d’accès aux financements post-amorçage (capital croissance, dette, bourse). Pour bâtir un écosystème robuste, les gouvernements devront agir à la fois sur les appels d’offres et sur les conditions d’industrialisation.

L’OTAN veut accélérer l'innovation militaire en Europe

Un plan OTAN pour industrialiser plus vite

Le Plan d’adoption rapide de l’OTAN repose sur plusieurs mécanismes concrets. Son objectif central est de réduire à moins de 24 mois le temps entre l’identification d’une solution technologique et son intégration opérationnelle. Il fixe aussi une étape intermédiaire de tests terrain en moins d’un an.

Pour y parvenir, l’alliance développe un réseau de centres d’essai appelés “innovation ranges”, où les entreprises sélectionnées peuvent valider leurs produits. Les projets approuvés reçoivent une “insigne d’innovation OTAN”, reconnaissance officielle de leur pertinence militaire.

Un cadre contractuel simplifié, appelé Task Force X, permettra à ces jeunes entreprises de collaborer directement avec des unités déployées, sans passer par les lourdes procédures classiques. L’OTAN incite également les pays membres à mutualiser leurs recherches de marché pour éviter la fragmentation et accélérer la diffusion des innovations entre alliés.

Enfin, les États s’engagent à mieux exprimer leurs besoins capacitaires prioritaires, en s’inspirant du modèle américain de la “National Defense Authorization Act”. L’objectif est de fournir aux innovateurs des signaux clairs pour orienter leur recherche, via une “porte d’entrée” centralisée vers les marchés publics de défense.

Une mobilisation encore trop inégale

Si l’impulsion est donnée au niveau de l’alliance, l’engagement réel des États reste très variable. L’Allemagne a annoncé un budget défense porté à 162 milliards d’euros d’ici 2029, en parallèle d’un effort pour raccourcir les délais contractuels à 60 jours. La France et l’Italie misent davantage sur leurs champions industriels existants, tandis que les pays baltes, la Pologne et les Pays-Bas multiplient les collaborations avec leurs start-up nationales.

L’Union européenne prévoit aussi un plan appelé Readiness 2030, avec une enveloppe de 150 milliards d’euros pour soutenir la base industrielle, notamment via des prêts garantis. Mais l’efficacité de cette politique dépendra de la coordination réelle entre les programmes nationaux et européens, encore souvent concurrents.

L’autre frein reste le manque de fonds de croissance spécialisés. Les investisseurs institutionnels, encore prudents face au secteur défense, doivent être incités à s’engager via des outils dédiés (fonds de croissance sectoriels, mécanismes de co‑investissement public-privé, garanties de long terme).

Une opportunité industrielle à structurer

Derrière les annonces, l’objectif est clair : faire de l’innovation défense un pilier économique et stratégique européen. Cela implique de mieux structurer les filières industrielles, de soutenir l’industrialisation rapide des prototypes, et de bâtir un marché commun de l’armement où les commandes sont groupées.

Des domaines comme l’intelligence artificielle militaire, la robotique autonome, la cybersécurité tactique ou les technologies quantiques de détection exigent des investissements lourds, un accompagnement stratégique, et un écosystème de test fiable. Sans cela, l’Europe restera dépendante des solutions américaines ou israéliennes, comme c’est encore le cas pour les drones armés ou les logiciels de traitement ISR.

Le Plan d’adoption rapide crée un cadre. Mais la réussite dépendra de l’alignement entre besoins militaires exprimés, capacités d’innovation disponibles, et capacité industrielle de montée en charge. Cela suppose de sortir d’une logique purement bureaucratique pour adopter une démarche pilotée par les résultats.

Une stratégie possible, mais non acquise

L’initiative lancée par l’OTAN peut constituer une bascule stratégique pour l’Europe, à condition d’éviter trois écueils : l’isolement des start-up, la lenteur administrative, et le manque de coordination transfrontalière.

Il faudra garantir un accès concret au marché public pour les jeunes entreprises, mobiliser les grands groupes comme intégrateurs plutôt que comme barrières d’entrée, et simplifier les outils de financement intermédiaires.

Le défi, en définitive, est politique autant que technique : bâtir une industrie technologique de défense européenne, capable de répondre vite, à grande échelle, et dans une logique collective. Ce chantier nécessite des décisions fermes et des moyens alignés. Sans cela, l’ambition de souveraineté technologique restera une déclaration de principe.

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