Analyse détaillée du coût réel, des risques sécuritaires et des implications stratégiques liés à l’achat des F-35 par la Suisse.

La Suisse investit dans le F‑35 Suisse dans le cadre du programme Air 2030, visant à moderniser son aviation. L’achat de 36 avions de chasse au constructeur Lockheed Martin représente un tournant pour l’armée de l’air Suisse. Le choix s’est appuyé sur une évaluation mêlant performance, coûts d’achat et économiques à long terme. Pourtant, des surcoûts inattendus et des enjeux de sécurité opérationnelle et stratégique suscitent un débat technique rigoureux.

Dans cet article, nous passons en revue les différents volets : le budget stabilisé annoncé, les dérives financières en cours de contrat, les dimensions de sécurité liées au vol en avion de chasse, à l’intégration du F‑35 dans l’espace aérien helvétique, ainsi qu’à l’alignement stratégique avec les alliés.

F‑35 en Suisse

Le budget annoncé pour le F‑35 Suisse

Le 30 juin 2021, le Conseil fédéral propose l’achat de 36 F‑35A au coût de 6 036 millions CHF (≈ 6,48 milliards €). Cette enveloppe couvre :

  • 3 828 M CHF pour la cellule,
  • 1 927 M CHF pour logistique, formation, infrastructure,
  • 107 M CHF pour munitions,
  • 86 M CHF pour systèmes de planification,
  • 87 M CHF de réserve (82 M pour risques, 5 M pour inflation).

Les premiers avions seront fabriqués aux États-Unis (8 unités dès 2027 pour la formation), 24 en Italie (Leonardo) et 4 assemblés en Suisse par RUAG dans le cadre des compensations. Les coûts d’exploitation annuels sont estimés à 9,66 M CHF par avion, soit 347 M CHF/an pour la flotte. Sur 30 ans, le total achat + exploitation est évalué à 15,5 milliards CHF (≈ 16,6 milliards €).

Les surcoûts et tensions contractuelles

Malgré un contrat dit « à prix fixe », divers éléments perturbent le budget. En juin 2025, la Suisse signale des surcoûts de 500 M à 1,5 M CHF. Le gouvernement américain invoque l’inflation, la hausse des matières premières et du coût énergétique, estimant que la clause fixe était limitée dans le temps.

Reuters précise que l’ajustement pourrait atteindre 1,5 milliards CHF (≈ 1,6 milliards €). Ce différend a conduit la Suisse à engager des discussions diplomatiques avec les autorités US et la DSCA. L’enjeu : déterminer si le contrat signé en septembre 2022 (valable pour 10 ans) inclut des ajustements .

À ce jour, le gouvernement helvétique défend le prix initial, lequel, selon lui, couvrait les variations estimées. Mais les partenaires US insistent pour ajuster le montant. Bloquer l’accord pourrait compromettre les délais de livraison et créer un vide capacitaire dès 2032, à mesure que les F/A‑18 suisses seront retirés .

Impacts sur la sûreté du vol en avion de chasse

Le F‑35A est un appareil de dernière génération avec capacités furtives, avionique intégrée, liaison de données sécurisée. Il remplit des missions multiples : défense aérienne, surveillance, frappe précise. Pour la Suisse, cela signifie une modernisation majeure de sa sécurité aérienne. Le Conseil fédéral et le DDPS soulignent qu’il remplace efficacement les F/A‑18 et F‑5, assurant une police du ciel performante.

Un point technique crucial concerne le volume sonore : les premières mesures confirment que le F‑35 est environ 3 dB plus bruyant que les F/A‑18C/D, ce qui soulève des conséquences locales, notamment en Valais et Romandie, autour de Payerne et Emmen. L’impact acoustique doit être évalué et des mesures d’atténuation définies.

Autre enjeu : la sécurité informatique. Le F‑35 transporte et échange des données sensibles. L’intégration dans un pays non-NATO, sans classification équivalente US, pose des risques pour la confidentialité des données, l’entraînement, la chaîne logistique. Des protocoles américains exigent des bases sécurisées, ce qui a entraîné des mesures de sécurité rapprochées, notamment autour de Unterbach, pour éviter toute collecte d’informations par services étrangers.

F‑35 en Suisse

Enjeux stratégiques et interoperability

Sur le plan stratégique, le F‑35 permet à la Suisse d’interopérer avec les alliés comme l’OTAN ou l’UE, notamment pour les exercices comme Frontex ou joint ISR (Intelligence, Surveillance, Reconnaissance). Son adoption est motivée autant par l’efficacité technique que par l’intégration dans un réseau de défense partagé .

Le principal concurrent, le Dassault Rafale, supposé 15 % plus coûteux sur 30 ans (≈ 20,1 milliards CHF contre 18,2 pour le F‑35) . Le Eurofighter Typhoon et Boeing F/A‑18E/F étaient globalement plus onéreux à vie.

L’axe de sécurité neutre de la Suisse se confronte ici à la dépendance vis-à-vis des États-Unis. Certains, comme le mouvement « Stop F‑35 » et la GSoA, estiment qu’un avion de chasse non-américain aurait mieux respecté la neutralité. Autre critique : la présence d’équipements US embarqués obligera la Suisse à dépendre du soutien logistique et du maintien à jour autorisé par Washington.

La décision suisse

La commande des F‑35 en Suisse est à la fois un projet technologique ambitieux et une opération financière et diplomatique délicate. Le budget initial, calibré par Air 2030, était techniquement sérieux, distinguant coûts d’achat, exploitation et provisions pour incertitudes. Mais la mise en œuvre révèle la fragilité des contrats « à prix fixe » en contexte inflationniste et contraintes industrielles post‑COVID.

Les surcoûts attendus entre 0,5 et 1,5 milliard CHF testent la solidité des engagements bilatéraux. L’industrie US joue la montre : sans accords clairs, la planification suisse peut vaciller, tout comme le calendrier prévu des livraisons entre 2027 et 2030.

Sur le plan technique et sécuritaire, la fiabilité et la modernité du F‑35 constituent une avance indéniable pour la police du ciel helvétique. Mais la Suisse doit renforcer ses dispositifs de protection numérique, assurer une infrastructure conforme aux standards US, contenir les impacts acoustiques. L’implication diplomatique est forte : la gestion de la controverse sur Unterbach en est un exemple criant.