L’armée de l’air française retire ses KC-135RG au profit des A330 MRTT, renforçant ses capacités de ravitaillement et de transport stratégique.

Le 7 juillet 2025, l’armée de l’air et de l’espace française a officiellement retiré du service ses derniers avions de ravitaillement KC-135RG, marquant la fin d’un cycle de plus de 60 ans d’exploitation opérationnelle. Cédés par les États-Unis dans les années 1990, ces appareils ont assuré une part essentielle des missions de ravitaillement en vol pour les forces aériennes françaises, en métropole comme sur les théâtres extérieurs. Ils laissent désormais place à une flotte entièrement composée d’Airbus A330 MRTT Phénix, plus modernes et polyvalents.

La mise à la retraite des KC-135RG intervient avec la livraison d’un treizième A330 MRTT, consolidant une transition entamée en 2018. Cette évolution technologique améliore nettement les performances opérationnelles de la France en matière de ravitaillement, de transport de fret et de projection stratégique. Elle reflète aussi une volonté de rationalisation des moyens, avec la mise en œuvre d’un système multirôle unique remplaçant plusieurs plateformes.

La fin du service des KC-135RG soulève également des interrogations sur l’indépendance logistique française vis-à-vis des États-Unis, les anciens appareils ayant requis un soutien structurel américain pendant des décennies. Ce retrait met en évidence un basculement doctrinal, centré sur la polyvalence des moyens aériens et l’alignement sur les standards européens. Il s’agit moins d’une modernisation progressive que d’un changement de modèle logistique assumé.

Un avion de ravitaillement hérité de la guerre froide

L’origine américaine des KC-135RG français

Les KC-135RG intégrés à l’armée de l’air française entre 1997 et 2000 sont issus du parc des anciens KC-135E américains. Ces avions de ravitaillement à perche rigide ont été modifiés à l’époque pour intégrer les réacteurs CFM56 – de conception franco-américaine – offrant une poussée supérieure et une consommation réduite. La désignation « RG » correspond à la variante modernisée remise à niveau selon les standards de sûreté aéronautique français.

D’une capacité de ravitaillement de 91 000 litres de carburant, les KC-135RG pouvaient approvisionner aussi bien les Mirage 2000, les Rafale, ou les avions alliés dotés de perche compatible. L’autonomie dépassait les 6 500 kilomètres avec un plein, et la vitesse de croisière avoisinait 850 km/h. L’avion embarquait un opérateur de ravitaillement dédié, positionné à l’arrière, en visée directe sur le poste de ravitaillement.

Au total, 11 appareils ont été exploités par la France depuis la base aérienne 125 d’Istres. Ils ont joué un rôle central dans l’opération Chammal, la mission Barkhane au Sahel, et les exercices OTAN. Leur disponibilité moyenne s’élevait à 60 %, un taux jugé correct mais qui s’est détérioré depuis 2020 en raison du vieillissement des cellules et de la réduction des pièces détachées disponibles.

Des contraintes logistiques de plus en plus fortes

Avec un âge moyen dépassant 60 ans, les KC-135RG nécessitaient des inspections lourdes, des modernisations coûteuses et un savoir-faire technique devenu rare. Le maintien en condition opérationnelle passait par des sous-traitants américains, notamment pour les éléments structurels spécifiques comme les longerons, les fixations de perche ou les capteurs hydrauliques d’origine Boeing.

Les coûts de maintien à l’heure de vol s’élevaient à plus de 21 000 euros, sans compter les interruptions fréquentes dues à l’usure des circuits de carburant ou aux fissurations métalliques. En comparaison, le coût d’exploitation d’un A330 MRTT est estimé à 12 000 euros par heure de vol, tout en offrant une capacité de carburant largement supérieure : 111 000 litres.

Une montée en puissance du MRTT Phénix dans un format rationalisé

Le choix d’une plateforme unique et modulaire

Le programme MRTT Phénix a été lancé pour remplacer non seulement les KC-135RG, mais aussi les avions de transport stratégiques Airbus A310 et A340 utilisés auparavant pour le fret ou les évacuations sanitaires. Cette logique de mutualisation des capacités repose sur un avion multirôle, dérivé de l’A330-200, configuré pour le ravitaillement en vol, le transport de passagers, de fret, et de blessés médicalisés.

Le MRTT utilise un système de ravitaillement à perche rigide, opéré depuis un poste de contrôle numérique à vision panoramique. Il peut ravitailler deux chasseurs simultanément via nacelles sous les ailes, ou un gros porteur via la perche. L’intégration de l’architecture informatique militaire française (SIC-S) permet un suivi centralisé des opérations et une coordination interarmées.

La France a prévu 15 exemplaires au total, dont 13 sont livrés à ce jour. Chaque appareil coûte environ 210 millions d’euros, incluant les équipements militaires et les infrastructures au sol nécessaires. Les MRTT sont stationnés à Istres, mais également déployables vers les bases projetées comme Niamey, Djibouti ou les Émirats arabes unis.

Des performances renforcées et un périmètre d’action élargi

Par rapport au KC-135RG, l’A330 MRTT offre 22 % de carburant en plus, une cabine configurable selon les besoins, une capacité de transport de 272 passagers ou de 45 tonnes de fret, et une autonomie de 14 800 kilomètres sans ravitaillement. Il est aussi compatible avec les nouveaux avions en service, y compris les drones MALE européens, qui nécessitent des standards de liaison spécifiques.

Le MRTT dispose également d’une avionique civile modernisée, conforme aux normes de sécurité aérienne européenne, ce qui facilite son intégration dans les couloirs civils. Il peut voler en mode silencieux radar, opérer en nuit noire complète et intégrer des cycles de mission de 16 heures avec deux équipages. Cette souplesse rend possible des missions de dissuasion nucléaire aéroportée, avec les Rafale ASMPA.

L’outil MRTT constitue aujourd’hui un pilier de la dissuasion et de la projection stratégique française, renforçant sa capacité à mener des raids longue distance ou à maintenir une présence en zone Indo-Pacifique. La modernisation du format aérien est donc étroitement liée à la posture militaire française à l’extérieur du territoire national.

KC-135RG

Une rupture symbolique et doctrinale pour l’armée de l’air française

Fin d’un héritage transatlantique

L’abandon du KC-135RG marque la fin d’un lien logistique majeur entre Paris et Washington. Même modernisés, ces avions restaient liés à des normes américaines de maintenance, de ravitaillement et de doctrine. Leur remplacement par un système conçu et assemblé en Europe constitue un recentrage stratégique sur les capacités souveraines, en ligne avec la volonté française d’autonomie stratégique.

Cette transition se traduit également dans l’entraînement. Les pilotes et opérateurs MRTT sont désormais formés sur simulateur européen à Blagnac, et non plus sur plateforme américaine. Les cycles de maintenance sont réalisés par Airbus Defence and Space, avec un circuit logistique ancré en France et en Espagne. Le retrait du KC-135RG libère également des hangars spécialisés, qui seront réaménagés pour la flotte MRTT et le futur drone MALE Eurodrone.

Un gain opérationnel mais une perte d’endurance

Malgré les nombreux atouts du MRTT, certains anciens pilotes regrettent la robustesse mécanique du KC-135, capable de redécoller après une panne grâce à sa simplicité technique. Le MRTT, bien que plus fiable sur le papier, impose une logistique de maintenance plus lourde du fait de son avionique avancée et de ses composants intégrés.

De plus, l’indisponibilité d’un seul MRTT peut impacter fortement les plans de projection, étant donné le nombre réduit d’exemplaires. Un avion indisponible correspond à près de 7 % des capacités totales de ravitaillement stratégique de la France. Le format optimisé repose donc sur une disponibilité technique irréprochable, avec des marges d’erreur réduites.

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